Des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’Université de Lille, au sein du laboratoire Lille Neuroscience et Cognition, ont découvert un des mécanismes par lequel les perturbateurs endocriniens peuvent altérer le développement des fonctions reproductrices des individus dès la naissance. À l’échelle neuronale, ils ont observé chez l’animal comment une exposition à de faibles doses de bisphénol A (un perturbateur endocrinien reconnu) quelques jours après la naissance, perturbe l’intégration des neurones à GnRH dans leur circuit neural et altère leur activité de régulation des fonctions reproductrices. Les résultats de cette étude font l’objet d’une publication dans la revue Nature Neuroscience.

Chez les mammifères, la reproduction est régulée par les neurones à GnRH, une population de neurones qui, au cours du développement embryonnaire, apparaît au niveau du nez puis migre vers le cerveau jusqu’à l’hypothalamus. Bien établis dans le cerveau à la naissance, ces neurones contrôleront tous les processus associés aux fonctions reproductrices : la puberté, l’acquisition des caractères sexuels secondaires et la fertilité à l’âge adulte.

Pour assurer leurs fonctions, les neurones à GnRH doivent s’entourer d’un autre type de cellules neurales : les astrocytes. L’arrimage de ces dernières aux neurones à GnRH est une étape déterminante pour leur intégration dans le réseau neuronal. La rencontre entre ces deux types de cellules survient à la période dite de « mini-puberté », qui débute une semaine après la naissance chez les mammifères, lors de la première activation des neurones à GnRH (c’est à ce moment qu’ont lieu les premières sécrétions des hormones sexuelles).

« Un échec de l’intégration des neurones à GnRH lors de la mini-puberté peut entraîner une prédisposition à développer des troubles de la puberté et/ou de la fertilité, mais aussi affecter potentiellement le développement du cerveau et ainsi entraîner des troubles de l’apprentissage ou encore des désordres métaboliques tels qu’un surpoids », explique Vincent Prévot, directeur de recherche à l’Inserm et dernier auteur de l’étude.

Mais comment se déroule cette rencontre entre neurones à GnRH et astrocytes ? Selon les résultats de ces travaux, les astrocytes n’arrivent pas là par hasard mais répondent à des signaux moléculaires émis par les neurones à GnRH, qui les recrutent dès leur apparition dans l’hypothalamus.

L’exposition précoce au bisphénol A empêche la communication entre les neurones à GnRH et les astrocytes

Pour aller plus loin, les chercheurs ont souhaité comprendre l’importance de cette rencontre entre astrocytes et neurones à GnRH dans le développement des fonctions reproductrices des mammifères lors de la période de mini-puberté. De récentes études ayant montré que le réseau neuronal à GnRH est particulièrement sensible aux perturbateurs endocriniens et qu’il existe une association entre ces derniers et les troubles de la puberté, les chercheurs se sont intéressés à l’impact de l’exposition à l’un de ces perturbateurs endocriniens, le bisphénol A, chez le rat.

Le bisphénol A est un composé utilisé dans la fabrication industrielle des plastiques dont le caractère perturbateur endocrinien est aujourd’hui largement reconnu. Il est utilisé par exemple dans la fabrication de récipients alimentaires tels que les bouteilles et biberons. On le retrouve également dans les films de protection à l’intérieur des canettes et des boîtes de conserve ou encore sur les tickets de caisse où il est utilisé comme révélateur. En France, le bisphénol A est interdit dans les biberons et autres contenants alimentaires depuis 2015. Il a été remplacé par des substituts comme le bisphénol S ou BPS ou le bisphénol B ou BPB qui suscitent eux aussi des interrogations quant à leur innocuité.

« Malgré son interdiction, le bisphénol A est toujours présent dans notre environnement du fait de la dégradation lente des déchets plastiques, mais également car il se trouve dans des contenants alimentaires achetés avant 2015 et qui ont été conservés. Avec le recyclage des déchets, le bisphénol A contenu dans des plastiques datant d’avant 2015 a également pu se retrouver dans des produits neufs », explique Vincent Prévot.

Pendant les 10 jours suivant la naissance, des rats femelles ont reçu des injections de bisphénol A à faibles doses. Grâce à une technique de marquage des astrocytes, les chercheurs ont pu observer que sous l’effet du bisphénol A, les astrocytes ne parviennent pas à s’arrimer de manière permanente aux neurones à GnRH. L’absence d’une telle association entre ces cellules nerveuses entraîne alors un retard pubertaire ainsi qu’une absence de cycle œstral chez les rates adultes (équivalent du cycle menstruel chez la femme), ce qui suggère que les fonctions reproductives sont affectées.

« Nos résultats soulèvent l’idée que l’exposition précoce à des produits chimiques en contact avec les aliments, tels que le bisphénol A, peut perturber l’apparition de la puberté et avoir un impact durable sur les fonctions reproductrices, en empêchant les neurones à GnRH de construire, dans l’hypothalamus, un environnement approprié et nécessaire à leur rôle de chef d’orchestre de la fertilité », explique Ariane Sharif, Maître de Conférences à l’Université de Lille qui a codirigé l’étude.

Dans la continuité de ces travaux, les scientifiques cherchent désormais à comprendre par quel mécanisme précis le bisphénol A empêche la communication entre les neurones à GnRH et les astrocytes. Une des hypothèses avancées est que le bisphénol A pourrait agir directement sur les récepteurs des astrocytes et les empêcher de s’arrimer aux neurones à GnRH. L’équipe de recherche s’intéresse par ailleurs à l’action du bisphénol A sur l’ADN et aux traces qu’il pourrait y laisser.

Sources :

GnRH neurons recruit astrocytes in infancy to facilitate network integration and sexual maturation

Giuliana Pellegrino 1 *, Marion Martin 1 *, Cécile Allet 1 *, Tori Lhomme 1, Sarah Geller 2, Delphine Franssen 3, Virginie Mansuy 4, Maria Manfredi-Lozano 1, Adrian Coutteau-Robles 1, Virginia Delli 1, S. Rasika 1, Danièle Mazur 1, Anne Loyens 1, Manuel Tena-Sempere 5, Juergen Siepmann 6, François P. Pralong 4, Philippe Ciofi 7, Gabriel Corfas 8, Anne-Simone Parent 3, Sergio R. Ojeda 9, Ariane Sharif 1$ and Vincent Prevot 1$

1 Univ. Lille, Inserm, CHU Lille, Laboratory of Development and Plasticity of the Neuroendocrine Brain, Lille Neuroscience & Cognition, UMR-S 1172, FHU 1000 days for 15 Health, Lille, France.

2 Center for Integrative Genomics, University of Lausanne, Lausanne, Switzerland.

3 Neuroendocrinology Unit, GIGA Neurosciences, University of Liège, Liège, Belgium.

4 Service of Endocrinology, Diabetology and Metabolism, University Hospital and Faculty of Biology and Medicine, Lausanne, Switzerland.

5 Department of Cell Biology, Physiology and Immunology, University of Cordoba, Cordoba, Spain; Instituto Maimonides de Investigación Biomédica de Cordoba (IMIBIC/HURS), Cordoba, Spain; CIBER Fisiopatología de la Obesidad y Nutrición, Instituto de Salud Carlos III, Cordoba, Spain.

6 Univ. Lille, Inserm, CHU Lille, U1008, Lille, France.

7 Inserm U1215, Neurocentre Magendie, Bordeaux, France;University of Bordeaux, Bordeaux, France. 8 Kresge Hearing Research Institute, Department of Otolaryngology-Head and Neck Surgery, University of Michigan, Ann Arbor, Michigan 48109.

9 Division of Neuroscience, Oregon National Primate Research Center-Oregon Health & Science University, Beaverton, OR 97006, USA.

*These authors contributed equally; $ These authors jointly supervised this work.

Nature Neuroscience, 18 novembre 2021
DOI : 10.1038/s41593-021-00960-z

 

 

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