Les virus sont parfois nos ennemis, mais parfois aussi nos amis. Dans la lutte contre les bactéries pathogènes, ils peuvent être des alliés précieux, pour éliminer ces bactéries quand nos médicaments ne fonctionnent plus. Mais plus important encore, ils ne sont pas sources de nouvelles résistances aux antibiotiques chez les bactéries. C’est la conclusion d’une étude menée par INRAE, parue le 25octobre 2021 dans la revue ISME Communications.

(Mise à jour le 26 octobre 2022 ) C’est un fait, de plus en plus de bactéries résistent aux antibiotiques. Le grand public sait déjà, grâce aux campagnes d’information, que la principale explication vient d’une « pression de sélection » élevée sur les bactéries, due à un usage massif et inapproprié d’antibiotiques, en santé humaine, mais aussi en santé animale.

Mais ce n’est pas la seule explication. Un groupe de mécanismes présents chez les bactéries est en jeu également : les « transferts horizontaux de gènes ». Les bactéries sont en effet capables d’échanger des morceaux d’ADN entre elles. Certains morceaux d’ADN échangés n’apportent rien de particulier, d’autres pourraient apportent du matériel conférant une résistance aux antibiotiques. Si les scientifiques comprenaient quels mécanismes transmettent des morceaux porteurs de gènes de résistance, alors une piste pourrait se dessiner dans la lutte contre les bactéries résistantes grâce aux virus de bactéries.

Les bactéries échanges des morceaux d’ADN ?

Ces morceaux d’ADN peuvent être soit libérés dans l’environnement (ils sont alors en libre-service pour toutes les autres bactéries qui peuvent les incorporer), soit transmis via une « reproduction » entre deux bactéries, appelée conjugaison. Une troisième voie de transmission de gènes utilise les bactériophages, ces petits virus de bactéries, qui sont capables de passer leur ADN d’une bactérie à l’autre.

Les bactériophages, un vecteur de résistance ?

Depuis 10 ans, un sujet divise la communauté scientifique : les bactériophages, notamment ceux utilisés en phagothérapie, sont-ils capables oui ou non de transmettre aux bactéries des gènes de résistance aux antibiotiques ? Un article scientifique*, paru dans Nature Communication en 2016, a répondu par l’affirmative à cette question, mais cette réponse ne fait pas l’unanimité.

Cette controverse a interpellé une équipe de chercheurs d’INRAE, spécialistes des bactériophages. Ils ont ainsi mené des travaux de métagénomique (analyse de l’intégralité des gènes) sur des bactériophages provenant de 14 fermes porcines. Grace à des analyses informatiques approfondies, ils ont pu disséquer finement l’ADN de tous ces bactériophages et leur conclusion est nette : les bactériophages étudiés ne possèdent pas un seul gène de résistance aux antibiotiques. Ils ne peuvent donc pas être fournisseurs de gènes de résistance pour les bactéries.

Ces travaux permettent d’éclairer la question de l’antibiorésistance, au cœur d’enjeux de santé publique. Les bactériophages conservent leur statut d’alliés dans la lutte contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, via la phagothérapie. Cette pratique, encore peu répandue, propose d’utiliser des bactériophages sur les patients infectés par des bactéries résistantes à tous les antibiotiques. Les bactériophages attaquent et détruisent ces bactéries, sans possibilité de transmettre des gènes de résistance à d’autres bactéries. Un espoir, parmi d’autres, pour lutter contre ce phénomène grandissant d’antibiorésistance.

* Haaber et al. Bacterial viruses enable their host to acquire antibiotic resistance genes from neighbouring cells. Nat Commun. 2016;7:13333.

Référence les virus de bactéries

Billaud, M., Lamy-Besnier, Q., Lossouarn, J. et al. Analysis of viromes and microbiomes from pig fecal samples reveals that phages and prophages rarely carry antibiotic resistance genes. ISME COMMUN. 1, 55 (2021). https://www.nature.com/articles/s43705-021-00054-8

 

A lire :

L’antibiorésistance un fait social total

L’antibiorésistance, communément appelé AMR (Anti Microbial Resistance), est le terme employé pour désigner le fait que certaines bactéries deviennent insensibles aux traitements antibiotiques.

L’antibiorésistance est reconnue comme un enjeu de santé publique majeur à l’échelle planétaire, touchant indistinctement les pays industrialisés et les pays à faibles et moyens revenus. Au même titre que la pandémie Covid-19, le phénomène de l’antibiorésistance ébranle la totalité de la société et de ses institutions, à la différence près, et non des moindres, qu’il agit à bas bruit, aggravant le pronostic de nombreuses maladies. Très diversifié dans sa survenue et ses conséquences, il est difficile à évaluer et à enrayer. Longtemps réservée au seul domaine médical, la problématique de l’antibiorésistance est de plus en plus appréhendée par les sciences humaines et sociales, en recherche de compréhension d’un fait biologique fortement conditionné par les situations socio-économiques et socio-écologiques des territoires dans lesquels il se développe.

Porté par les sciences humaines et sociales, cet ouvrage collectif ouvre de nouveaux champs d’investigation et de compréhension pour penser l’antibiorésistance comme un fait social et non plus seulement biologique. Il mobilise des compétences en sciences médicales (médecine et pharmacie, humaine et vétérinaire), en sciences du vivant (écologie, microbiologie), de l’ingénieur (environnement), et en sciences humaines et sociales (anthropologie, philosophie). Il s’adresse aux étudiants, chercheurs ou professionnels qui travaillent sur cette problématique ou y sont confrontés dans leur quotidien.

Éditions Quæ | 168 pages | 32 €

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