Les médecins affirment avoir les moyens de donner des traitements, même coûteux, à des patients âgés. Le seul critère doit être la qualité de vie de la personne.

C’est l’histoire d’une dame de 90 ans et peu fière de son poulailler. « C’est la première chose qu’elle m’a dite quand je l’ai reçue : “Docteur, j’ai 14 poules et je continue à m’en occuper tous les jours”. Et quand je lui ai expliqué qu’il était possible d’envisager un traitement de cardiologie interventionnelle, mais qu’à son âge il y avait des risques, elle m’a répondu qu’elle s’en fichait. Et que si cette intervention était le seul moyen de rester encore active et autonome, elle voulait le faire… », raconte le professeur Yves Juillière, cardiologue au CHU de Nancy. Faut-il soigner les patients très âgés comme les autres ?

Depuis, quelques mois ont passé. Le professeur Juillière n’a pas de nouvelles des poules mais il sait que sa patiente va bien. « Cela aurait été impensable de ne pas lui proposer une intervention sous prétexte qu’elle avait 90 ans, explique- t-il. L’âge, bien sûr, entre en ligne de compte en médecine. Car à 85 ans, on peut bien sûr être plus fragile qu’à 60 ans. Mais le seul critère qui nous guide, c’est le bénéfice que pourrait ou non apporter un traitement un peu lourd à un patient. » Faut-il cesser ou diminuer les traitements aux patients les plus âgés ? C’est du Benelux que nous vient ce débat un peu abrupt. Tout est parti d’une députée néerlandaise qui, en mars, s’est interrogée sur l’opportunité de délivrer certains soins aux plus de 70 ans (lire page suivante). Le quotidien de Bruxelles, Le Soir, a ensuite repris la balle au bond en affirmant que, pour maintenir l’équilibre de la « Sécu », 40 % des Belges ne seraient pas opposés à l’idée de ne « plus administrer de traitements coûteux qui prolongent la vie des plus de 85 ans ». Ce chiffre choc, qui a interpellé plus d’un médecin, y compris en France, est en fait un peu ancien. Il provient d’une étude publiée en 2014 dans un rapport de l’Institut national d’assurance-maladie de Belgique.

Faut-il soigner les patients très âgés comme les autres ?

Mais le débat reste d’actualité. Face à l’arrivée de traitements au prix parfois astronomique, notamment dans le domaine du cancer, certains médecins se demandent s’ils vont pouvoir continuer à soigner tout le monde de la même manière. « Pour l’instant, il n’existe pas de consignes pour éviter de traiter des patients très âgés uniquement pour des raisons de coût. Mais j’ai le sentiment que le débat devient de plus en plus âpre dans les hôpitaux », souligne le docteur Véronique Lefebvre des Noettes, gériatre et psychiatre à l’hôpital Émile-Roux de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne).

Professeur émérite d’oncologie à l’université de Lyon, Jean-Pierre Droz affirme, lui, que, dans le domaine du cancer, la tendance est plutôt de traiter de plus en plus de patients âgés que l’inverse. « Il y a une vingtaine d’années, on traitait peu le cancer à partir d’un certain âge. Pas mal de gens, y compris des médecins, estimaient que cela ne va- lait pas la peine d’infliger des traitements parfois lourds à ces patients. Mais, aujourd’hui, on a conscience qu’une personne de 80 ans, en bon état général, peut très bien espérer vivre dix ou quinze ans de plus si on soigne son cancer. »

Faut-il forcément traiter, agir au seul motif qu’on ne sait pas?

Pour le professeur Droz, l’âge en soi ne peut pas être un critère pour décider d’un traitement. « La première question est celle de la nature du cancer. S’agit-il d’une tumeur agressive qui menace à court terme la vie de la personne ou bien d’une tumeur d’évolution lente? Prenons le cas d’un patient de 85 ans chez lequel on découvre un cancer de la prostate dont on sait qu’il va mettre dix ou quinze ans avant de menacer sa vie. Dans ce cas, il est très probable qu’il va mourir d’autre chose. Et alors, il est sans doute plus sage de ne pas proposer des traitements pouvant avoir un impact sur sa qualité de vie. »

Voilà aussi le « maître-mot » selon le docteur Lefebvre des Noettes : la qualité de vie. « Il faut toujours se demander si tel traite ment va améliorer ou détériorer la qualité des dernières années de vie qui restent à la personne. » Un principe auquel tout le monde souscrit volontiers. Ensuite, au quotidien, il y a parfois des discussions un peu « fortes » entre les gériatres et des médecins d’autres disciplines.

Des Français favorables aux soins des plus âgés

Le cancer après 75 ans. Plus d’un nouveau cas de cancer sur trois touche les personnes de 75 ans et plus. Un million de Français âgés de 75 ans et plus ont ou ont eu un cancer au cours de leur vie.

L’avis des Français. Selon une enquête Ipsos, publiée en 2017 par la Ligue contre le cancer, 85 % des Français estiment que tout doit être mis en œuvre pour soigner une personne âgée et 64 % n’adhèrent pas à l’idée que soigner le cancer d’une personne âgée coûte trop cher à la Sécurité sociale.

 

Faut-il soigner les patients très âgés comme les autres ? Dossier complet à retrouver dans La Croix

Sabine Cessou