mini miss

Le 17 septembre 2013, lors de l’étude du projet de loi Egalité Femmes-Hommes, les sénateurs votaient, par 196 voix pour et 146 voix contre, l’amendement 72 bis présenté par la sénatrice Chantal Jouanno, interdisant les concours de beauté pour les enfants de moins de 16 ans, couramment appelés concours de « mini-miss ». Ce texte sera examiné prochainement à l’Assemblée Nationale et il semble qu’il puisse être remis en cause. Nous nous devons de réagir pour qu’il n’en soit rien.

Afin que cette avancée fondamentale pour le respect des enfants ne reste pas lettre morte, le groupe de travail des thérapeutes de l’Association Stop aux Violences Sexuelles*, qui représente différentes écoles et courants de pensée, a souhaité prendre la parole pour expliquer clairement ce qui se joue dans la mise en place de tels concours par des adultes, afin que tous puissent faire acte de protection de l’enfance en pleine conscience.

Sémantiquement le mot anglais « miss » trouve son équivalent français dans le terme « Mademoiselle », qui a longtemps été un usage d’état civil, caractérisant une femme adulte non mariée. Accoler « mini », c’est-à-dire petite, faisant référence à une enfant et « miss » désignant une femme représente donc une contradiction, voire une invraisemblance qui pervertit le statut de l’enfant. Cet abus de langage s’avère d’ores et déjà symptomatique.

L’objet de cette tribune est de bien faire comprendre en quoi les concours de mini-miss constituent une sexualisation précoce des petites filles et les conséquences développementales et sociétales pour les enfants qui y sont exposées ; il en serait de même pour des concours réalisés avec des garçons.

L’hyper sexualisation des petites filles est une grave atteinte à sa construction psychologique

Ces concours réalisent une sexualisation précoce des petites filles en les identifiant à des objets de désir adultes à une période où leur corps et leur psychisme n’est pas celui d’une femme. Au niveau symbolique, mettre la femme et l’enfant sur un même plan sexuel a en effet la même valeur qu’une transgression de l’interdit de l’inceste. Cet interdit – au même titre que celui du meurtre – est pourtant un des fondements d’une société saine, très mis à mal aujourd’hui, et qui est le respect des êtres humains sans distinction d’âge.

La société actuelle, en valorisant l’apparence physique au détriment de la valeur plus profonde de l’être humain, pervertit un peu plus chaque jour les représentations sociales de l’enfance et de la féminité.

Cela fait pourtant maintenant un grand nombre d’années que la thérapeute allemande Alice Miller a alerté dans son ouvrage « Le drame de l’enfant doué », (doué faisant référence au potentiel intrinsèque de l’enfant), des dangers de l’instrumentalisation de l’enfant en demande d’amour et d’attention, et dont l’adulte abuse, consciemment ou inconsciemment.

En effet, l’enfant, par peur de perdre l’amour de ses parents, ne respecte pas ses besoins profonds et s’adapte en général inconsciemment à la demande de l’adulte, qui peut ainsi mettre en place toutes les conditions pour favoriser l’abus physique, émotif, voire sexuel de l’enfant.« Chez beaucoup d’entre nous, les besoins de protection, de sollicitude, de tendresse, la soif d’amour ont été sexualisés de très bonne heure. » Alice Miller.

C’est ainsi que l’enfant-objet, va s’identifier totalement à cette apparence, cette forme, cette poupée de séduction déjà sexuée avant l’âge. La petite fille devient une petite femme soumise au diktat de la mode et de l’apparence, à des normes qui n’ont pas cours normalement à son âge. On lui vole son enfance, son innocence et elle devient objet de désir de l’adulte avec l’illusion d’être aimée. Mais intérieurement elle sent très bien que c’est son apparence, sa « beauté » qui est valorisée et elle va associer le fait d’être « belle » à la possibilité d’être aimée. Pire, elle va s’identifier à cet objet de désir offert aux yeux des adultes et assimiler le désir à l’amour. Le lit est tout préparé pour l’abus sexuel. Les limites sont franchies. La maturité sexuelle et émotionnelle de l’enfant n’est pas respectée. La petite fille n’a pas appris à considérer son corps comme étant à elle. Son corps ne lui appartient pas.

Des dangers méconnus

La trop jeune miss est offerte aux regards, dans un jeu d’adultes qui n’ont sans doute pas compris tous les risques profonds qu’ils lui font encourir et où, par avance, l’enfant est condamnée à être dévorée des yeux, lardée de regards qui la sexualisent trop tôt, à un âge où elle devrait jouer à ses jeux à elle.

De plus ces enfants sont par ailleurs soumises à une compétition entre elles, qui les condamne à gagner pour être aimée du parent qui les y présente. Une pression les plonge alors bien trop tôt dans un monde brutal où elles sont objet de consommation.

Adulée un jour, oubliée le lendemain, manipulée par un parent qui se projette en elle, l’enfant n’est pas elle-même, juste un prolongement narcissique de ce parent, souvent mère, qui n’a pas été miss, pas été vue, aimée, applaudie, désirée, et qui demande à l’enfant de le faire à sa place.

Ces concours sont une réelle maltraitance, une catastrophe absolue, et réalisent un anachronisme qui crée un cataclysme dans la psyché d’un être qui n’a pas encore terminé de se construire et qui va le faire à cette issue sur des bases complètement erronées. Toute sa vie va en être affectée. 

Il serait par ailleurs indispensable d’inviter les parents à s’interroger sur les raisons profondes qui les poussent à inscrire leur enfant à ce type d’événement et à leur faire conscientiser que ce n’est pas le rôle de leurs enfants d’apporter le soulagement à leurs blessures passées.

Quant aux organisateurs de telles manifestations, il serait intéressant de les questionner sur les valeurs humaines de ces concours qu’ils veulent défendre en envisageant tous les contournements possibles de la loi.

L’inconscience des parents

En quoi opposer entre eux de jeunes enfants sur la dimension de l’apparence physique et les juger depuis un regard d’adulte, basé sur des conventions et des stéréotypes sexualisés, est-il censé les aider à se développer de façon sereine et respectueuse de leur individualité ? En quoi les traiter comme des poupées vivantes pourrait-il impacter de façon positive leur vision d’elles-mêmes, du monde et du rôle féminin ?

Il est donc à retenir que l’exhibition d’un enfant, même si elle peut sembler valorisante au premier abord, le met en réalité dans la position d’un objet narcissique pour l’adulte qui la permet. Ceci constitue une forme d’emprise, d’assujettissement, sans possibilité pour l’enfant de se ressaisir de lui-même puisque son intériorité n’est pas encore construite. L’enfant reste alors collé à l’adulte dans son désir de lui plaire. Son aliénation n’en sera que plus profonde.

Il s’agit donc en effet d’informer le public et les législateurs que ces concours réduisent l’enfant à être un corps-objet du désir de l’autre, un corps-image, un enfant-vitrine, réduit à son apparence, à son extériorité, le privant ainsi du recours à son être le plus profond, celui qui se fonde dans la solitude et la différenciation. Le fait de plaire à l’autre et de devoir correspondre aux critères actuels de beauté ne fait que renforcer son souci de se conformer pour être accepté. Le moindre écart n’en sera que plus violent.

Madame la Ministre Najat Vallaud-Belkacem avait précisé dans la phase de vote de l’amendement de Madame Jouanno « il faudrait être en mesure de démontrer qu’il y a atteinte à la dignité humaine, à l’ordre public ou à la santé de l’enfant« .

 

Groupe de travail des thérapeutes de l’Association Stop aux Violences Sexuelles : Christiane Berthelet-Lorelle, Nicolle Collin, Mary Lespinasse, Véronique Loubaton, Anne Plantade, Lison Robichon-Bussière, Sabine Seguin et al.