Depuis plusieurs années, le regard de la société évolue sur la Trisomie 21, même s’il reste beaucoup à faire pour vaincre les a priori et les peurs qui entourent ce handicap. Décryptage de La Croix.

C’est une exposition un peu atypique qui a été inaugurée, mercredi 20 mars, à la mairie du 5e arrondissement de Paris, juste en face du Panthéon. L’association Tombée du nid y expose pendant trois jours 21 photos de personnes atteintes de trisomie 21. Une opération organisée la veille de la Journée mondiale de la trisomie 21 et parrainée par des personnalités comme les journalistes Anne-Sophie Lapix et Julien Courbet, le chanteur Vianney ou encore le photographe Yann Arthus-Bertrand.

À l’instar de ce « Grand shooting de la trisomie 21 », des initiatives mettent régulièrement en avant, ces dernières années, les personnes porteuses du syndrome de Down : ouverture de restaurants baptisés « Café Joyeux » à Paris et à Nantes, présentation de la météo sur France 2 par une jeune femme trisomique, publicités de grandes marques mettant en scène des mannequins atteints par ce handicap… Mais ces initiatives ponctuelles sont-elles le signe plus général d’un changement de regard? Pour Marie-Françoise Mizery, aucun doute : en vingt et un ans – l’âge de son fils Jean-Baptiste –, le regard de la société a bel et bien changé. « Quand il était enfant, il n’était pas rare que l’on m’interpelle. On m’a dit plusieurs fois, alors qu’il était avec moi dans la rue ou chez des amis : “Mais comment oses-tu exposer ton fils, sortir avec lui?” Les gens disaient cela naturellement. À l’époque, c’était comme ça: on ne sortait pas ces enfants. »

C’est précisément pour contrer cette logique d’enfermement que cette habitante des Hauts-de- Seine a proposé à son fils de participer au concours de photographies de Tombée du nid. « Il faut faire connaître ces enfants. Aujourd’hui, beaucoup de couples avortent parce qu’ils ont peur : ils ne connaissent pas ce handicap. S’ils le connaissaient, ils s’apercevraient que certes, ce n’est pas rose tous les jours, mais ce n’est pas noir non plus. Il faut que la société s’habitue à voir ces personnes », estime-t-elle. Son fils travaille aujourd’hui, à mi-temps, dans une cantine scolaire.

Il n’existe aucun chiffre fiable sur le nombre de trisomiques vivant en France. Les estimations varient entre 35 000 et 70 000. L’Institut Jérôme- Lejeune suit régulièrement plus de 8 000 patients.

Les trisomiques ont gagné 30 ans d’espérance de vie en 30 ans

Valérie Péan, qui vit à Lamballe avec son mari et ses trois enfants –dont Maëlys, 11 ans –, évoque tantes. « Évidemment, si l’on com- pare à la situation qu’ont connue les parents d’il y a quarante ans, cela n’a rien à voir. Mais tout un tas de petites choses prouvent qu’il reste beaucoup à faire », insiste-t-elle. Elle énumère les signes qui montrent, selon elle, que la trisomie « fait encore peur ». « Dans les files d’attente, il arrive que les gens posent un regard insistant sur Maëlys, ou fassent des remarques, raconte-t- elle. Je me souviens d’une petite fille qui s’est un jour approchée tout près d’elle et a dit plusieurs fois : “Elle est handicapée ?” Est-ce que cette petite fille côtoie d’autres enfants handicapés à l’école ? Je ne sais pas. En tout cas, je n’ai jamais entendu ce genre de remarque dans la bouche des copains de classe de ma fille, car elle a sa place à l’école. »

Dans son cabinet situé au rez- de- chaussée de l’Institut Jérôme-Lejeune, premier centre de consultation européen pour la trisomie 21, à Paris, le docteur Aimé Ravel, pédiatre et généticien depuis trente-cinq ans, constate lui aussi des évolutions chez les patients et dans la manière dont ils sont perçus. Premier constat: le niveau intellectuel des enfants trisomiques a augmenté. « Ceux qui naissent sont très souvent ceux qui ont échappé aux tests permettant de détecter leur handicap. On voit de moins en moins les patients les plus gravement atteints », explique ce spécialiste. D’où des enfants trisomiques qui naissent en meilleure santé.

Un constat qui se combine au fait que la trisomie est de mieux en mieux prise en charge. Récemment, plusieurs programmes de recherche financés par la Fondation Jérôme- Lejeune ont par exemple permis de mieux comprendre – et donc soigner– des pathologies associées à la trisomie, comme l’apnée du sommeil. « Les trisomiques ont gagné trente ans d’espérance de vie en trente ans », poursuit le docteur Ravel, leur es- pérance de vie moyenne tournant désormais autour de  65  ans.

 L’agence de biomédecine estime qu’en 2016, au moins 576 enfants porteurs d’une trisomie 21 ont vu le jour, tout en précisant qu’il s’agit là d’une « valeur basse, car un certain nombre de grossesses avec un enfant diagnostiqué comme porteur de T21 sont perdues de vue ».

De nouveaux tests font craindre une hausse des avortements

Le paradoxe interroge. Et il est résumé, en un mot, par Grégoire François-Dainville, le directeur général de l’Institut Jérôme- Lejeune: « L’image des trisomiques s’améliore. Mais en même temps, le nombre d’interruptions médicales de grossesse ne baisse pas. » De- puis 2014, entre 1 400 et 1 600 interruptions médicales de grossesse (IMG), possibles jusqu’à la veille de l’accouchement, sont effectuées chaque année en France à la suite d’une suspicion de trisomie 21.

Depuis la fin des années 1970 et la mise en place des premiers tests anténataux pour détecter cette anomalie chromosomique, le nombre de naissances a régulièrement baissé, pour atteindre près de 600 par an aujourd’hui, selon l’agence de biomédecine.

Mais les tests d’amniocentèse, qui consistent à analyser le liquide amniotique après l’avoir prélevé, ainsi que les examens pratiqués lors de l’échographie du premier trimestre sont aujourd’hui com-plétés par un nouvel arsenal. Pratiqué autour de la douzième semaine, un nouveau test, non invasif, permet d’analyser, après une simple prise de sang, l’ADN du fœ- tus qui circule dans le sang maternel. En mai 2017, la Haute Autorité de santé a ainsi préconisé l’élargissement de ce test à toutes les femmes dont la probabilité d’attendre un enfant trisomique est comprise entre 1/50 et 1/1000. Proposé aux futurs parents, ce dépistage prénatal non invasif (DPNI) est, depuis décembre dernier, remboursé par la Sécurité sociale.

De formidables avancées pour aider les proches d’un enfant souffrant de trisomie

Dans ses consultations – souvent des visites annuelles de suivi –, qui s’étendent sur une heure, il procède en six étapes : nouvelles de la famille, nouvelles médicales, vie scolaire, comportement, questions libres puis examen clinique. En face de lui, de- puis quelques années, il note un net changement dans le profil des parents qui viennent le consul-ter avec leurs enfants. « Parmi les jeunes parents, beaucoup sont immigrés, observe-t-il. En 2016, sur les 128 nouveau-nés vus en consultation, seuls 19 avaient été détectés comme potentiellement porteurs de la trisomie 21. Et sur ceux-là, 17 sont de familles musulmanes. »

Autre changement chez les proches, relevé par le docteur Ravel: « Il y a trente ans, il y avait une forme de fatalité à accepter, et le combat des parents était alors d’accepter le handicap de leur enfant. Aujourd’hui, ils veulent absolument qu’il intègre une école avec d’autres enfants« Aujourd’hui, nous nous battons pour une école inclusive, c’est- à-dire qui s’adapte aux différences de chacun, confirme Nathanaël Raballand, qui vit à Luçon avec son fils Melchior, 13 ans. Mais nous sommes au bout d’un long cheminement: dans les années 1960, les parents se sont battus pour créer des institutions pour les enfants qui étaient alors largement cachés, puis d’autres ont demandé qu’ils aillent à l’école et ont obtenu la création de classes adaptées.

Melchior a, lui, suivi une scolarité dans une classe ordinaire, assis- tée par une AVS. Il est aujourd’hui en sixième dans un collège public. « On sent une forme de bienveillance de la part des enseignants et des autres élèves qui le côtoient », assure son père, qui préside l’association Trisomie 21 France.

Un engagement associatif que l’on retrouve chez Agnès Guiller, 47 ans. Cette secrétaire dans un hôpital est la mère de Saül, dont elle a appris la trisomie au cours de sa grossesse. Originaire du Ghana, cette habitante du Loiret se dit particulièrement active, n’hésitant pas à emmener Saül partout avec elle, à parler de lui et de la trisomie: « Il arrive parfois que l’on me dise: “Oh, cela doit être dur”, confie cette mère de deux adolescents qui élève seule ses trois enfants. Il faut apprendre à répondre sans s’énerver. Quand on le leur explique, les gens comprennent que ce n’est pas le cas. Et leur regard change. »

Dossier à la Une de l’édition de La Croix du 21 mars

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

autres et aidés par des auxiliaires de vie scolaire (AVS). » Dont les as- sociations dénoncent cependant régulièrement le manque… Depuis la première section de maternelle, Melchior a, lui, suivi une scolarité dans une classe ordinaire, assis- tée par une AVS. Il est aujourd’hui en sixième dans un collège pu- blic. « On sent une forme de bien- veillance de la part des enseignants et des autres élèves qui le côtoient », assure son père, qui préside l’asso- ciation Trisomie 21 France.

Un engagement associatif que l’on retrouve chez Agnès Guiller, 47 ans. Cette secrétaire dans un hô- pital est la mère de Saül, dont elle a appris la trisomie au cours de sa grossesse. Originaire du Ghana, cette habitante du Loiret se dit par- ticulièrement active, n’hésitant pas à emmener Saül partout avec elle, à parler de lui et de la trisomie: « Il arrive parfois que l’on me dise: “Oh, cela doit être dur”, confie cette mère de deux adolescents qui élève seule ses trois enfants. Il faut apprendre à répondre sans s’énerver. Quand on le leur explique, les gens compren- nent que ce n’est pas le cas. Et leur regard change. »

 

« La loi de 2011 précise que c’est à la mère de demander ces tests, après que le médecin lui a donné l’information. »

Ce procédé est destiné à réduire le nombre d’amniocentèses et le risque de fausses couches que ces dernières engendrent, mais il pro- cède aussi, selon certains, d’une dérive eugéniste de la société française. « Avec le DPNI, on devrait tomber, d’ici à trois ans, à 80 naissances par an », prédit le docteur Aimé Ravel, chef de service de la consultation à l’Institut Jérôme- Lejeune. Selon lui, ce nouveau dispositif augmentera le nombre d’IMG. Ce médecin déplore un « mauvais fantasme collectif » sur la trisomie. « Lorsque leur bébé atteint 18 mois, tous les parents me disent que leur enfant évolue beau- coup mieux que ce qu’ils pensaient.»

« Je trouve assez injuste de parler de société eugéniste », estime pour sa part Nelly Achour Frydman, bio- logiste de la reproduction, respon- sable du laboratoire de fécondation in vitro à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. Cette spécialiste estime que le remboursement du DPNI ne fera pas nécessairement augmenter le nombre d’IMG. « Dans les faits, le DPNI était déjà remboursé sur une autre enveloppe », souligne-t-elle.

« La vraie question est plus sociétale que médicale, poursuit-elle. Est-ce que la société décide de débloquer des financements pour que ces enfants soient mieux pris en charge? A-t-on pensé à la manière dont la société va prendre en charge leur vieillissement? On ne peut pas blâmer les médecins sous prétexte qu’ils n’encourageraient pas les femmes à poursuivre leur grossesse, alors que la société n’organise pas suffisamment l’accueil de ces enfants. »

Aujourd’hui, 20 % des femmes enceintes refusent le dépistage et parmi celles qui le demandent, 5 % décident de pour- suivre leur grossesse après l’annonce d’une suspicion de trisomie 21. Cela fait près de 25 % de personnes qui acceptent potentiellement la naissance d’enfants trisomiques. Il n’y a aucune raison que ce chiffre évolue. » Difficile, pour l’instant, d’évaluer ces projections. Le nombre d’interruptions médicales de gros- sesse est publié chaque année dans le rapport de l’agence de biomédecine. Le prochain devrait l’être en septembre.