Pourquoi dit-on que notre intestin est notre 2ème cerveau ? Comment fonctionne-t-il ? Que manger pour en prendre soin ? Éléments de réponse.

Pour Gilles Mithieux, directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire Nutrition, diabète et cerveau à l’université Claude Bernard de Lyon, ce que l’on appelle 2e cerveau pourrait très bien s’appeler 1er cerveau ! C’est dire l’importance qu’il accorde à notre intestin.

« C’est le cas des organismes très primitifs, comme ce petit vers que l’on appelle Caeenorbiditis elegans qui n’a pas de cerveau mais uniquement un intestin, quelques muscles et quelques centaines de neurones. Dans l’évolution donc, le 1er cerveau qui est apparu est bel et bien le système de nerfs autour de l’intestin », introduit Gilles Mithieux.

Pour ce qui concerne l’être humain, l’intestin a lui aussi un système nerveux, nommé système nerveux entérique. Il comporte environ 1 milliard de neurones (sur 10 milliards au total), soit 10 % des neurones du corps. Ces 2 cerveaux communiquent sans arrêt. 80 % des neurones de l’intestin sont afférents, c’est-à-dire qu’ils envoient des informations au cerveau et 20 % sont efférents, c’est-à-dire qu’ils reçoivent des informations du cerveau.

En comparaison, les yeux, ce sont 1 million de neurones. Les goûts et les odeurs, 50 000 neurones.

DES MODES DE COMMUNICATION PERPÉTUELS ENTRE INTESTIN ET CERVEAU

Le système hormonal est très important pour l’intestin. Au fur et à mesure que les aliments arrivent dans l’intestin, des hormones sont sécrétées dans le sang pour communiquer au cerveau différents signaux. Par exemple, lorsque le système digestif est vide, la ghréline, une hormone coupe-faim, est sécrétée. Lorsque l’on mange, l’organisme arrête de sécréter cette hormone et la remplace par d’autres hormones comme la leptine, produite par l’estomac pour arrêter la sensation de faim.

D’autres organes communiquent également avec le cerveau, comme l’estomac (de manière mécanique avec les neurones) ou le pancréas.

Également, les neurones de l’intestin et certaines bactéries du microbiote vont libérer des neurotransmetteurs ou messagers chimiques fabriqués aussi dans le cerveau tels que la dopamine qui nous donne l’entrain et l’envie. De plus, 90 % de notre sérotonine est sécrétée par l’intestin et nous apporte de la sérénité utile pour bien dormir en se transformant en mélatonine.

Les bactéries libèrent aussi d’autres molécules bénéfiques, par exemple les bifidobactériums, comme le bifidus qui produit du butyrate (apporté par le beurre aussi).

Ces bactéries ont besoin de se nourrir et c’est en partie elles qui vont déclencher l’envie de manger.

IL Y A DONC UN LIEN ENTRE LE FONCTIONNEMENT PHYSIOLOGIQUE DE L’INTESTIN ET LES ASPECTS PSYCHOLOGIQUES

S’il semble logique que notre intestin informe le cerveau de notre activité digestive, il semble plus surprenant qu’il agisse sur nos émotions et notre activité cérébrale. Et pourtant, c’est bien le cas.

Il y a un lien entre alimentation et émotions. Le glucose sanguin joue un rôle capital

Ses effets sur la satiété et sur la réduction de la sensation de faim sont connus. Il peut être apporté par l’alimentation mais également par le corps lui-même qui resynthétise le glucose en dehors des périodes de repas afin d’éviter l’hypoglycémie. Le foie, les reins et aussi l’intestin sont les 3 organes qui permettent de resynthétiser le glucose.

Isabelle Descamps est de cet avis :

« C’est vérifié sur le terrain : lorsque les patients mangent plus de fibres, plus de graisses et plus de protéines, ils vont vite mieux. »

D’une manière générale, comme cela a été démontré dans une étude sur l’animal, les conséquences sont visibles en quelques semaines : il y a une association extrêmement importante entre une alimentation riche en graisses et en sucres et des symptômes d’anxiété et de dépression.

COMMENT LE MENTAL JOUE SUR L’ALIMENTATION, AVANT DE SE METTRE À TABLE ET PENDANT LE REPAS ?

 En effet, certains individus très stressés vont manger ce qui leur tombe sous la main, avec souvent des aliments riches en énergie. Et, à l’inverse, des individus stressés vont avoir tendance à stopper leur alimentation.

LE STRESS, ÉMOTION GÉRÉE PAR QUEL(S) CERVEAU(X) ?

APPROCHE PSYCHOLOGIQUE :

NOTRE INTESTIN VU SOUS L’ANGLE SOPHROLOGIQUE

On en parle de plus en plus, le stress est un mal sociétal.

En mai 2022, 15 % des Français montraient des signes d’un état dépressif et 25 % des signes d’un état anxieux (niveau très élevé depuis le premier confinement).

Pour illustrer ce phénomène, l’expansion du marché des compléments alimentaires qui adresse cette thématique. Il y a une vraie préoccupation des Français sur le sujet : la promesse Stress & Humeur étant la 2e la plus vendue en pharmacies, magasins bio et GMS selon Synadiet.

Pour en parler, Céline André, sophrologue, partage avec nous ses expériences de consultations en cabinet.

LES GENS NE FONT PAS LE LIEN ENTRE LES MAUX ET LA TÊTE

Jusqu’ici, nous avons parlé du nerf vague dans le rôle de lien qu’il joue entre notre ventre, notre intestin (le 2e cerveau) et notre « 1er » cerveau.

La sophrologie, par la pratique, agit sur le système nerveux autonome (dont fait partie le nerf vague). La respiration inconsciente mais aussi consciente permet d’agir sur le nerf vague et ainsi de ralentir le rythme cardiaque, de relâcher les tensions et d’améliorer la digestion. Tout le corps se met en action pour ce qui est important à un instant T.

Isabelle Descamps, diététicienne et nutritionniste est aussi de cet avis :

« Le travail de respiration comme la cohérence cardiaque a une réelle influence sur l’alimentation et permet par exemple de baisser la glycémie post-repas. »

LE CERVEAU GUIDE LE RAPPORT À L’ALIMENTATION

UNE RECONNEXION À SOI ET AUX SENSATIONS

L’étude l’a souligné, 71 % des Français mangent en faisant une autre activité.

Dans ce contexte, la sophrologie permet de revenir dans une conscience de son corps. C’est-à- dire à une reconnexion aux sensations du métabolisme (comme la faim, la satiété) et aussi à une reconnexion à ses différents besoins : ai-je vraiment faim, suis-je plutôt fatigué(e), etc.

Les trois experts s’accordent sur le rôle primordial de la pleine conscience. Il est essentiel d’être en conscience de ce que l’on fait, d’être à l’écoute de ses vrais besoins et sensations, notamment lorsque l’on parle d’alimentati

Selon Isabelle Descamps : « Si l’on regarde la DME, la diversification menée par l’enfant, on observe que jusqu’à l’âge de 7 ans, si l’on pose plein d’aliments sur la table, l’enfant va être à l’écoute de ses besoins. À ce moment-là, la tête et le corps ne sont pas coupés. »

Gilles Mithieux complète : « Nous avons tous un microbiote différent et nous n’avons pas tous besoin de manger la même chose. Il est donc primordial de s’écouter et de revenir au plaisir de manger. Les personnes qui grignotent, notamment à cause du stress, ne ressentent plus la faim. Elles se privent donc du plaisir que l’on a au début du repas. De plus, faire quelque chose en même temps que manger altère ce plaisir puisque le cerveau n’est pas capable de faire correctement 2 choses en même temps : il donne donc la priorité à l’une des deux choses. »

QUE MANGER POUR PRENDRE SOIN DE NOTRE INTESTIN ?

Isabelle Descamps, diététicienne-nutritionniste, tente d’apporter une réponse aux 1/3 des Français qui estiment ne pas bien s’occuper de leur 2e cerveau, et notamment à ceux qui estiment manquer d’informations sur la façon d’en prendre soin.

L’INTESTIN EST AU CŒUR DE NOTRE SANTÉ

L’intestin, ce sont avant tout des chiffres impressionnants : il fait 8-9 m de long et possède une surface d’absorption de 250 m² (l’équivalent de 2 terrains de tennis). Il abrite 100 000 milliards de micro- organismes (10 fois plus que le nombre de cellules dans notre corps). Et l’ensemble de ces micro- organismes pèserait 2 à 3 kilos (ce qui est plus que le poids du cerveau).

L’intestin est un organe primordial, celui dont toute vie dépend en raison de sa fonction nourricière et sa fonction protectrice. Il a 3 rôles distincts :

  • 1) d’absorption : quand on ingère un aliment, on le digère d’abord dans la bouche avec la mastication, puis dans l’estomac. Il arrive ensuite en haut de l’intestin et reçoit de la bile et des L’intestin mélange tout comme dans un shaker. Tout cela a pour but de réduire l’aliment en tout petits morceaux d’une seule molécule que l’on appelle des monomères. Ce sont les nutriments qui vont passer notre barrière intestinale pour nourrir tout notre corps.
  • 2) de barrière : les cellules de l’intestin sont très serrées et sont là pour empêcher l’entrée de molécules étrangères (micro-organismes pathogènes, parties d’aliments insuffisamment digérés qui pourraient créer des intolérances alimentaires ou des composés toxiques).
  • 3) de destruction de l’identité antigénique de l’aliment : l’aliment est un non-soi, il ne fait pas partie du Sa digestion en monomères lui permet ainsi d’être reconnu par le système immunitaire comme faisant partie du soi.

ALORS, QUELS ALIMENTS CONSOMMER POUR UN INTESTIN EN BONNE SANTÉ

Si l’on se réfère au sondage, les Français ont une connaissance assez parcellaire de ce qu’il faut manger pour prendre soin de leur intestin : 95 % sont par exemple d’accord pour dire que manger bio améliore la flore intestinale.

Cet effet matrice vaut pour les végétaux – fruits et légumes –, mais aussi pour la viande pas ou peu transformé

Gilles Mithieux est également de cet avis : « Manger diversifié est très positif pour le microbiote. Dans son ensemble, le microbiote est omnivore car il est composé de différents types de bactéries. Or, chaque bactérie ne l’est pas individuellement. Chacune ne consomme qu’un ou deux aliments. Si l’alimentation est variée, les populations de bactéries diversifiées vont alors pouvoir se développer. Les protéines par exemple peuvent être classées comme source des probiotiques car elles possèdent la propriété d’être absorbées tout le long de l’intestin. Même si l’on a un microbiote peu diversifié, comme certains patients obèses, il ne faut pas désespérer, car ces microbiotes ont la capacité de transformer les fibres ou les protéines en éléments positifs pour la santé, et cela va très vite : des études montrent que le microbiote peut changer en 3 à 4 heures après un repas bon pour la santé. »

NOUS AVONS DONC BESOIN DE FIBRES ET DE PROTÉINES ANIMALES

Les végétaux sont essentiels pour leur apport en fibres afin de nourrir notre microbiote, notamment en probiotiques. Nous allons alors synthétiser des molécules importantes pour la santé, notamment le butyrate qui est la nourriture principale de l’intestin.

Mais aussi la glutamine, complète Isabelle Decamps : « La glutamine, que l’on trouve dans la viande, ainsi que dans le bouillon d’os par exemple, est l’autre substrat nourricier des cellules de l’intestin qui permet de conserver la perméabilité intestinale et d’assurer le renouvellement des cellules.

Les Hadza, habitants d’une tribu de Tanzanie, ou les Yanomami, des Indiens d’Amazonie, ont deux fois plus de diversité bactérienne que nous. Ils sont chasseurs-cueilleurs, c’est-à-dire qu’ils mangent des produits animaux et beaucoup de fibres surtout présentes dans les végétaux. »

6 points clés à retenir

•    Cela a été mis en évidence : notre cerveau et notre intestin sont intrinsèquement liés, et communiquent entre eux de façon perpétuelle.

•   Les véritables liants entre nos 2 cerveaux sont le système nerveux pour la partie chimique (le nerf vague, les neurotransmetteurs…), et aussi l’alimentation, pour la partie rationnelle et émotionnelle.

•   On note l’importance d’avoir une alimentation variée, de qualité et qui respecte la matrice nutritionnelle de l’aliment pour diversifier et nourrir son microbiote.

•   Les fibres et les protéines jouent un rôle capital :

>  Pour la santé : la viande, au même titre que les végétaux, participe au bon équilibre nutritionnel. En effet, les microbiotes de l’intestin ont la capacité de transformer les protéines et les fibres en éléments positifs pour la santé

>  Mais aussi sur le bien-être : des études l’affirment, les régimes riches en fibres et en protéines ont des effets antistress et anti-anxiété.

•   Finalement, pour être bien dans sa tête et dans son corps, les experts se rejoignent sur l’importance d’une alimentation. C’est-à-dire : s’écouter, manger en conscience et redonner sa juste place au plaisir.

•   À la question « qui est le maître à bord », c’est probablement un peu les deux ! Du moins,

c’est la synergie entre tout cet écosystème qui dirige notre l’alimentation et vice-versa.