Les problèmes d’alcool est un véritable fléau. En effet, l’alcoolisme cause 41 000 décès en France. Fort de ce constat et du lobby de l’alcool, l’Académie nationale de médecine appelle les pouvoirs publics à prendre des mesures plus fortes.

Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, la consommation d’alcool ne baisse plus en France. C’est une défaite majeure pour la santé publique car l’alcool en est un déterminant fondamental [1]. Pourtant, dès 2012, l’Académie mettait en garde contre le ralentissement de la baisse de consommation d’alcool en France et l’affaiblissement continu de la loi Evin sous la pression du lobby alcoolier, jusqu’à autoriser la publicité sur l’internet, support médiatique particulièrement affectionné des jeunes [2]. C’est en février 2019 que Santé Publique France [3] annonce que la consommation française d’alcool est la même en 2017 qu’en 2013 et que 30000 Français et 11000 Françaises en meurent chaque année.

L’alcool : 
1èrecause évitable de mortalité des 15-30 ans 
2èmecause évitable de décès de toutes causes et par cancers 

L’alcool est la deuxième cause évitable de décès de toutes causes et par cancers, la première cause évitable de mortalité des 15-30 ans, de retard mental de l’enfant et de démence précoce, la deuxième cause d’hospitalisation médicale. Il est impliqué dans 40% des violences faites aux femmes et aux enfants et un tiers des décès par accidents de la route. Des effets coronariens (et non pas cardiovasculaires) favorables de l’alcool (et non pas du seul vin) ont permis au lobby alcoolier d’instiller le doute sur les ravages de l’alcool. Ce sera plus difficile après la revue approfondie du Lancet [4] sur les conséquences sanitaires de l’alcool. Santé Publique France [5] a lancé en mars 2019 une campagne avec un slogan « Pour votre santé, l’alcool c’est maximum 2 verres par jour, et pas tous les jours » fondé sur de nouveaux repères de consommation (maximum 10 verres par semaine, maximum 2 verres par jour, des jours dans la semaine sans consommation). Près d’un Français sur 4 de 18 à 75 ans dépasse au moins l’un de ces trois repères, plus les hommes (1/3) que les femmes (1/7) et 3,5% dépassent même les trois repères.

Une action efficace contre l’alcoolisation demandée par l’ensemble des experts et sociétés savantes

Les analyses convergentes de l’Académie, l’OMS, l’INCA, la Cour des Comptes, la Haute Autorité de Santé, nombre d’associations et de spécialistes ont contribué à attirer l’attention de façon répétée sur la nécessité d’une action efficace contre l’alcoolisation dans un pays qui reste un des plus forts consommateurs d’alcool au monde. Nombre de modalités efficaces ont ainsi été proposées dont :

  • Bannir la publicité pour l’alcool suivant les principes initiaux de la loi Evin [2],
  • Des indications claires, lisibles et contrastées sur les contenants
    • de la quantité d’alcool en grammes,
    • du nombre de calories (les boissons alcooliques en sont exemptées alors que l’alcool d’un verre apporte à lui seul environ 70 calories),
    • que « l’alcool est dangereux pour la santé » (et non le seul excès),
    • pour dissuader, grâce à un pictogramme, de toute consommation la femme enceinte ou qui désire l’être,
  • Taxer les boissons alcooliques au gramme d’alcool,
  • Établir un prix minimum de vente par gramme d’alcool (comme en Écosse)

S’opposer au lobby de l’alcool pour permettre la mise en œuvre d’une politique de santé efficace

Le lobby de l’alcool parvient à retarder les mesures nécessaires avec le résultat sans précédent d’une stagnation de la consommation d’alcool en France à un niveau inacceptable. A titre d’exemple, à l’instigation de l’Académie [6], l’avertissement sanitaire destiné aux femmes enceintes est obligatoire sur les étiquettes des boissons alcooliques depuis 2006.  Cependant, trop petit, difficile à trouver et à comprendre sans explications préalables, il ne remplit guère la fonction qui lui était destinée. Malgré l’enjeu de prévenir la première cause de retard mental évitable du nouveau-né et de l’enfant, les discussions pour l’agrandir et le contraster s’enlisent depuis des années face à l’opposition farouche du lobby alcoolier. De plus, que dire de la reconnaissance de la filière viticole comme un acteur crédible de la prévention ? De la diffusion de dépliants scolaires pour les 3-6 ans sur la vigne sans parler d’alcool ni de ses effets ? De l’acharnement à favoriser la consommation de vin des femmes (So Femmes & Vin qui expliquent même la vigne aux enfants) ? D’interventions ministérielles répétées donnant au vin un rôle particulier alors qu’il représente la moitié de l’alcool consommé ? De l’extension du fonds tabac abondé par une taxe sur le tabac à l’ensemble des addictions sans la moindre participation de la filière alcool ? De la proposition parlementaire de rétablir la consommation d’alcool dans les stades ?

La majorité des Français favorables aux actions contre l’alcool 

On comprend alors que plus de 3/4 des Français considèrent que les décideurs sont sous l’influence du lobby alcoolier et que 2/3 considèrent que les producteurs empêchent la mise en œuvre d’une politique de santé efficace [7]. Pourtant l’opinion des Français est très favorable aux actions courageuses (70% pour l’interdiction totale de la publicité, 58% en faveur de la taxation de l’alcool, 81% pour un étiquetage spécifique sur les risques de l’alcool et 90% trouvent insuffisante la prévention du risque alcool chez les jeunes) [7].

L’action publique est entravée par le lobby de l’alcool; les conflits d’intérêt; qui obtient régulièrement un affaiblissement des mesures existantes, et faute de mesures efficaces, la consommation d’alcool ne baisse plus en France. Malgré une analyse correcte de la situation et des mesures potentiellement efficaces, ni le Plan National de Mobilisation contre les Addictions, ni le Plan National de Santé Publique ne proposent en ce domaine les mesures à la dimension du problème. On ne peut ainsi négliger 41000 décès chaque année, que 50% des élèves de 6ème ont déjà expérimenté l’alcool, que 20% des élèves de terminale sont des consommateurs réguliers et un coût social évalué à 120 milliards d’euros par an.

Même si Joseph Reinach, député, déclarait déjà en 1911 : « L’alcoolisme est l’un des problèmes qui mettent aux prises contre l’intérêt général le plus grand nombre d’intérêts particuliers », négliger ainsi l’alcool, second déterminant de santé, est contraire aux engagements de la France dans le programme ONU/OMS contre les maladies chroniques. On ne peut en ce domaine se contenter de mesures insuffisantes.

L’Académie recommande donc de revenir à une politique basée sur les preuves et de mettre en œuvre les mesures qui ont une efficacité démontrée et reconnue.  

Pour la réduction des dommages associés à la consommation d’alcool

La Direction Générale de la Santé et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives ont sollicité l’Inserm pour dresser un état des lieux des dommages liés à l’alcool et formuler les pistes de recherche et d’actions pour les réduire

Pour le durcissement de la loi Évin sur la régulation de la publicité et l’encadrement de la vente d’alcool

En France, la loi Évin de 1991 encadre la lutte contre les dommages liés à la consommation d’alcool (et de tabac) mais, les experts constatent que, dans sa version actuelle, en plus de n’être pas toujours respectée, elle a été considérablement modifiée et affaiblie sous l’effet du lobbying des producteurs d’alcool.

Le groupe d’experts recommande notamment de réduire l’attractivité de l’alcool et les messages positifs diffusés, de limiter son accès :

  • renforcer la loi Évin pour interdire la publicité sur internet, dans l’espace public et contrer les effets du marketing par une meilleure visibilité des avertissements sanitaires.
  • augmenter le prix (taxation par gramme d’alcool comme pour la taxe soda, ou prix minimum comme en Écosse), le vin est par exemple très peu taxé
  • contrôler mieux et automatiquement son accès aux mineurs
  • réduire sa disponibilité (plage horaire de vente et nombre de commerces ou de licences)

Pour une communication renforcée des autorités et une éducation à la santé à destination du grand public

Le groupe d’experts recommande l’utilisation de messages de prévention, destinés à l’ensemble de la population, compréhensibles, spécifiques et faciles à mettre en application et déclinés pour permettre leur diffusion numérique. Ces messages doivent également être adaptés lorsqu’ils sont créés à destination des groupes les plus vulnérables.

Selon l’expertise collective, il convient de rappeler :

  • les repères de consommation à risque faible[2],
  • le zéro alcool, particulièrement pendant la grossesse et la période pré-conceptionnelle,
  • la plus grande vulnérabilité biologique des femmes vis-à-vis de l’alcool,

L’expertise souligne un enjeu prioritaire pour la prévention est le renforcement :

  • des facteurs de protection dès le début du parcours de vie des individus. Des interventions de prévention de la consommation visant à renforcer les connaissances et les « compétences » des usagers sont à développer, en particulier par une communication digitale.
  • des facteurs génériques de protection telles que les compétences parentales et les compétences psychosociales : des interventions de ce type sont efficaces en milieu scolaire, auprès des parents ou des familles, et en milieu du travail.
  • des avertissements sanitaires et favoriser les campagnes d’arrêt de la consommation, à l’image de l’opération « Dry January » (mois sans alcool), dont les bénéfices (et le faible coût) ont été démontrés.

Pour des interventions d’amélioration et d’adaptation du diagnostic et de la prise en charge

Les experts suggèrent que ces actions de prévention soient complétées par une stratégie de dépistage systématique d’une consommation d’alcool à risque afin de permettre si nécessaire, une prise en charge adaptée. L’expertise propose alors que soit mise en place une meilleure formation des professionnels de soins primaires aux stratégies de dépistage et aux différentes méthodes d’intervention efficaces.

Ainsi le groupe d’experts préconise :

  • des « interventions brèves » dispensées par un personnel formé, qui consistent en un conseil personnalisé minimal et s’adressent à des personnes qui ont un usage à risque ou sont en difficulté avec leur consommation. Elles sont souvent associées de façon bénéfique au dépistage et ont un rapport coût-efficacité positif clairement établi. Ces interventions peuvent être utilisées sur des supports électroniques adaptés aux interventions en collectivité (écoles, armée…).
  • un renforcement de la qualité du suivi sur le long terme des patients dépendants à l’alcool pour éviter la rechute, favorisant des stratégies thérapeutiques efficaces (psychothérapeutiques, médicamenteuses, de remédiation cognitive, de réhabilitation sociale et de prise en charge des comorbidités).

L’expertise collective conclut que les conséquences sanitaires, sociales et financières très importantes de la consommation d’alcool même à de faibles niveaux, représentent un fardeau pour la société française sans pour autant que les moyens alloués pour les contrer soient à la hauteur des enjeux. Les mesures préconisées dans  cette expertise, destinées à la population et aux pouvoirs publics devraient pouvoir s’inscrire au cœur d’une politique de réduction des risques et des dommages basée sur une réduction des consommations.

[1] En établissant l’association entre des variations génétiques associées spécifiquement à un trait biologique d’intérêt et en mesurant leurs effets sur le risque de maladies, la randomisation mendélienne permet d’établir une relation de cause à effet entre des traits biologiques et le risque de maladies.

[2] Santé publique France : pas plus de 2 verres/j et pas tous les jours

 

 Bibliographie
[1]Dubois G. Maladies chroniques non transmissibles/ Prévention internationale.  http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2018/09/Communiqu%C3%A9-Maladies-chroniques-non-transmissibles.pdf
[2] Dubois G, Nordmann R : Publicité pour l’alcool : pour un retour à l’esprit de la loi Evin. Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196,743-745.
[3] Bourdillon F. Editorial. Alcool et réduction des risques. Bull Epidémiol Hebd. 2019; (5-6): 88-9.
[4] GBD 2017 Risk Factor Collaborators. Global, regional, and national comparative risk assessment of 84 behavioural, environmental and occupational, and metabolic risks or clusters of risks for 195 countries and territories, 1990-2017: A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet. 2018; 392 (10159): 1923-94.
[5] Bull Epidémiol Hebd. 2019; (10-11): 176-195.
[6] Nordmann R : Consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis au cours de la grossesse», Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, 519‐521.
[7] Ligue Nationale Contre le Cancer. Sondage Opinion Way, 23-24 mai 2018 sur 1004 personnes.https://www.ligue-cancer.net/article/46014_une-forte-majorite-des-francais-en-faveur-des-mesures-efficaces-pour-reduire-la

 

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