De nouveaux résultats, provenant essentiellement des données issues de l’expédition Tara Oceans (2009-2013), fournissent le catalogue le plus complet à ce jour des virus présents dans tous les océans du globe. Ces travaux révèlent l’importance de l’océan Arctique comme réservoir de virus marins. Ils seront un référentiel pour comprendre le rôle des virus dans les réactions de l’écosystème « océan » sous la pression du changement climatique.

Initiée par la Fondation Tara Océan et ses partenaires, et coordonnée par le CNRS, le CEA et l’EMBL, l’expédition Tara Oceans a permis de récolter et d’analyser en profondeur 35 000 échantillons de plancton marin. Tara Oceans a rassemblé plus de 200 scientifiques issus d’une vingtaine de laboratoires internationaux, aujourd’hui réunis au sein de la Fédération de recherche Tara Oceans.

Une nouvelle étude publiée dans Cell le 16 mai prochain – dirigée par des chercheurs de l’université de l’Ohio – porte le nombre de populations virales océaniques connues de 16 000 à près de 200 000. Ces dernières jouent un rôle notamment dans le transport du carbone depuis la surface vers les fonds marins (“pompe biologique”), il est donc primordial de les identifier et de comprendre leur fonctionnement, leur dynamique et leur rôle écosystémique. En ce sens, cette étude a permis d’appréhender la variation génétique au sein de chaque population, renseignant les chercheurs sur l’évolution et l’impact des virus océaniques à l’échelle mondiale, et de consolider la compréhension des populations de virus marins.

Première étude systématique de la biodiversité de l’océan Arctique

Mené en collaboration avec les pays riverains de l’océan Arctique, ce travail inclut des échantillons provenant de la circumnavigation effectuée en lisière de la banquise arctique par la goélette scientifique Tara en 2013, une région parmi les plus touchées par le changement climatique. Il a permis de documenter les virus en analysant leur ADN. Au-delà de l’océan Arctique, la collecte de données s’est élargie aux autres océans, et à des profondeurs plus grandes que les études menées auparavant (2).

En raison de l’impact de ces virus sur l’ensemble des organismes du plancton marin (bactéries, archées, protistes, et animaux), leur recensement détaillé est précieux. En effet, les virus peuvent changer la structure des populations de bactéries en les colonisant, en stimulant leur métabolisme, ou encore en modifiant leur trajectoire évolutive, influençant globalement la capacité de l’océan à séquestrer le carbone de l’atmosphère.

Or les micro-organismes du plancton marin jouent un rôle primordial sur Terre : ils produisent plus de la moitié de l’oxygène que nous respirons et absorbent le dioxyde de carbone depuis l’atmosphère jusqu’au fond des océans.

Accéder à la variation génétique des virus pour comprendre leur évolution

En développant de nouvelles méthodes pour séquencer le génome de ces virus au sein des populations planctoniques, les chercheurs ont pu étudier les variations génétiques :

  • entre les individus au sein de chaque population virale ;

  • entre les populations au sein de chaque communauté virale ;

  • entre les communautés à travers plusieurs environnements de l’océan mondial, ainsi que les forces motrices de toutes ces variations.

Ces cartes mondiales de la diversité virale sont surprenantes : d’abord, la quasi-totalité des communautés de virus se répartit en seulement cinq groupes, selon leur localisation et leur profondeur. Et cette diversité virale mesurée dans l’océan Arctique est aussi étonnante : la plupart des études, portant sur les organismes cellulaires et multi-cellulaires, concluaient en effet que la plus haute diversité se situe au niveau des tropiques, et qu’elle diminue à mesure que l’on se déplace vers les pôles.

Ces nouveaux résultats suggèrent que l’océan Arctique est un « berceau » méconnu de la biodiversité virale. Ils soulignent l’importance des régions arctiques, fortement impactées par le changement climatique, pour la biodiversité mondiale (3).

(1) La Fédération de recherche Tara Oceans comporte 22 équipes de recherche françaises et internationales, et développe le programme GO-SEE (Global Oceans Systems Ecology & Evolution). Elle implique notamment le CNRS, le CEA, la Fondation Tara Océan, Sorbonne Université, PSL, l’Inserm, l’ENS Paris, l’IRD, l’EPHE, l’Université d’Évry-Val-d’Essonne, l’Université Paris-Saclay, l’UPVD, AMU, l’Université de Toulon, l’École centrale de Nantes, l’Université de Nantes, l’UGA, l’EMBL et la faculté de sciences physiques et mathématiques de l’Université du Chili.
(2)  Patterns and ecological drivers of ocean viral communities. J.R. Brum, J.C. Ignacio-Espinosa, S. Roux et al., Science, 22 mai 2015.. DOI: 10.1126/science.1261498
(3)  Cette étude a notamment été soutenue par la Fondation Gordon et Betty Moore, la National Science Foundation et les investissements d’avenir Oceanomics et France Génomique.
RÉFÉRENCESMarine DNA viral macro- and micro-diversity from pole to pole. Ann C Gregory, Ahmed A Zayed, Nádia Conceição-Neto, Ben Temperton, Ben Bolduc, Adriana Alberti, Mathieu Ardyna, Ksenia Arkhipova, Margaux Carmichael, Corinne Cruaud, Céline Dimier, Guillermo Domínguez-Huerta, Joannie Ferland, Stefanie Kandels-Lewis, Yunxiao Liu, Claudie Marec, Stéphane Pesant, Marc Picheral, Sergey Pisarev, Julie Poulain, Jean-Éric Tremblay, Dean Vik, Tara Oceans coordinators, Marcel Babin, Chris Bowler, Alexander I Culley, Colomban de Vargas, Bas E Dutilh, Daniele Iudicone, Lee Karp-Boss, Simon Roux, Shinichi Sunagawa, Patrick Wincker, & Matthew B Sullivan. Cell. En ligne le 25 avril.