Afin de détecter les patients atteints de troubles de la cognition sociale, les spécialistes utilisent des tests d’évaluation validés internationalement. Or, ces tests sont pour la plupart développés dans des pays occidentaux industrialisés. Alors la question se pose, : pour l’ensemble de l’humanité les tests neurocognitifs sont-ils fiables ?

Le concept de « cognition sociale » désigne l’ensemble des processus cognitifs (perception, mémoire, raisonnement, émotion, etc.) impliqués dans l’interaction sociale. Les troubles cognitifs sociaux sont présents dans de nombreux troubles, tels que la schizophrénie ou la maladie de Parkinson, et les troubles neurodéveloppementaux, tels que l’autisme. Ils sont à l’origine de difficultés interpersonnelles très graves qui ont un fort impact sur la vie des patients et de leur entourage. Par conséquent, la détection, la qualité de l’évaluation et le traitement de ces troubles représentent un défi majeur pour les professionnels de la santé mentale. De fait, la question se pose : les tests neurocognitifs sont-ils fiables ?

Ces tests cognitifs de référence ont pour but de mesurer les « fonctions cognitves« . Ceux-ci se sont largement développés en occident et dans les démocraties industrialisées. En tant que tels, leurs critères sont largement définis en termes de profils de personnes blanches, riches et hautement éduquées. Dans la mesure où ces individus ne constituent que 12% des humains, leur surreprésentation dans le développement des tests neuropsychologiques interroge la pertinence de leur application à d’autres populations.

Des chercheurs analysent la pertinence des tests neurocognitifs

Une équipe de chercheurs dirigée par le chercheur Inserm Maxime Bertoux du Laboratoire de neurosciences et cognition de Lille (Inserm/CHU Lille/Université de Lille) a cherché à déterminer si les différences culturelles avaient un impact significatif sur les résultats des tests de cognition sociale. Pour ce faire, les chercheurs ont testé 587 participants sains âgés de 18 à 89 ans dans 12 pays (Allemagne, Royaume-Uni, Argentine, Brésil, Canada, Chili, Chine, Colombie, Espagne, France, Italie, Russie) de grandes études internationales. Les neuropsychologues ont administré deux types de tests aux participants, évaluant les capacités considérées comme essentielles dans la cognition sociale.

Le premier, créé au Royaume-Uni, a pour objectif d’évaluer la capacité à décoder les règles sociales et à comprendre l’état mental d’un interlocuteur en demandant aux participants d’identifier dans divers petits scénarii, si l’un des protagonistes commet un « faux pas » social (par exemple, confondre un client avec un serveur dans un restaurant).

Le second test, créé aux États-Unis, évalue la capacité à reconnaître les émotions exprimées par le visage d’un interlocuteur, en demandant aux participants d’identifier diverses expressions faciales sur des photographies. Les résultats de l’étude montrent qu’une part importante des écarts de performance à ces deux tests (environ un quart pour le test du faux pas et plus de 20 % pour le test de reconnaissance des émotions) est à attribuer aux différences de nationalité entre les participants.

Des résultats différents d’un pays à l’autre

Donc, les tests neurocognitifs sont-ils fiables ? Les meilleures performances au test des faux pas sont obtenues par les participants anglais, sans que la traduction littérale de l’anglais vers la langue d’origine des autres participants n’ait d’impact sur les résultats.

Par exemple, 100 % des participants anglais considèrent comme un faux pas de confondre un client et un serveur dans un restaurant contre seulement 65 % des participants canadiens. Ou encore, alors que 100 % des participants anglais considèrent qu’il est normal de céder sa place dans un bus à une personne âgée, 21 % des participants chinois considèrent qu’il s’agit d’un faux pas.

Dans les résultats au test de reconnaissance des expressions faciales émotionnelles, la comparaison entre les pays révèle que certaines émotions ne sont pas identifiées de manière consensuelle par tous les participants : si les expressions positives comme la joie, sont interprétées sans ambiguïté d’un pays à l’autre, l’interprétation des émotions négatives est beaucoup plus variable. Par exemple, la peur est confondue avec la surprise par la majorité des participants canadiens et brésiliens tandis qu’anglais et argentins n’ont quasiment aucune difficulté à les différencier.

« Cette étude montre que les facteurs individuels et culturels impactent fortement les mesures de cognition sociale, déclare Maxime Bertoux. Au-delà de l’effet de l’âge, du genre et de l’éducation, il y a une influence des concepts locaux, des normes et des habitudes sur la catégorisation des émotions, l’identification des intentions et la compréhension du comportement d’autres personnes. » Ainsi, l’utilisation de tests conçus par des scientifiques américains ou anglais, blancs et aisés, favoriserait la performance des participants issus du même pays, de la même culture et du même niveau social.

« Bien sûr, cela ne veut pas dire que les habitants d’un pays sont meilleurs ou moins bons que ceux d’un autre, précise le chercheur. Notre étude montre qu’un test créé dans un contexte particulier favorise les personnes qui sont familières avec ce contexte. Par exemple, identifier un faux pas requiert de détecter qu’une règle sociale implicite a été brisée, or, les règles sociales fluctuent d’un pays à l’autre. »

Ces résultats questionnent donc l’applicabilité internationale d’un test neuropsychologique conçu et validé dans un pays en particulier pour l’évaluation et le diagnostic des troubles cognitifs.

Dans de prochaines études, l’équipe de recherche souhaiterait enrichir ses données en incluant davantage de participants et de pays – en particulier de régions du monde non représentées dans ces travaux, comme l’Afrique et le Moyen-Orient –, mais aussi en explorant les variations neurocognitives et culturelles au sein même de pays étendus comme la Chine ou le Canada.

« Les neurosciences doivent interagir davantage avec les sciences sociales dans la connaissance et la prise en compte des diversités culturelles afin de construire une neuropsychologie plus rigoureuse, pertinente et inclusive », conclut Maxime Bertoux.

 

INSERM