Peut-on-imaginerun-monde-sans-élevage-santecoolPeut-on imaginer un monde sans élevage ? Certains y pensent sérieusement, et propose un ensemble de solutions susceptibles de construire un système cohérent, où on ne se prive pas des avantages nutritionnels des produits animaux et où on peut même installer un cochon au fond de son jardin pour garder un lien à l’animal…

 

 

Des produits animaux artificiels mais un lien avec l’animal maintenu

Dans ce monde futuriste sans élevage, il pourrait y avoir quand-même des produits animaux grâce à des substituts biotechnologiques : de la viande cultivée in vitro (voir article 4), du lait artificiel et du fromage sans lait de vache ni de chèvre…Une start up californienne (1) travaille à l’expression de gènes de protéines de lait de vache dans la levure, qu’il faudrait ensuite enrichir avec des matières grasses végétales, divers nutriments et du sucre. Un groupe de biohackers (2) envisagent de produire du fromage à partir de lait humain, dans la levure toujours.

Des embryons de modèles culturels et économiques émergent autour de ces produits. On trouve déjà un livre de recettes utilisant comme ingrédients de la viande, des charcuteries, voire des huîtres artificielles (3).

Une association (4) décrit différents systèmes de production de viande artificielle, soit en version low cost dans des unités en périphérie des villes, soit en version « circuits courts » dans des « carneries » locales, sur le modèle des brasseries locales.

Une philosophe néerlandaise (5) a organisé des ateliers de conversation pour recueillir les réactions des participants sur ce monde sans élevage. Pour garder un lien à l’animal, le concept du « cochon au fond du jardin »a émergé presque naturellement. Ce cochon, nourri avec les restes domestiques, servirait de réservoir de cellules souches. A partir d’un prélèvement de quelques cellules de muscle, il serait possible de synthétiser son steak à la demande.

Le point de vue de Jean-Louis Peyraud* : « c’est la négation de notre histoire et de notre culture »

« Je suis très sceptique sur les possibilités de fabriquer artificiellement et en quantité suffisante de la viande (pour l’instant on ne produit au mieux que du muscle) et encore plus du lait. Le lait est un milieu très complexe avec de nombreuses interactions entre ses divers constituants. Par exemple, c’est son association avec des micelles protéiques qui rend très assimilable le calcium du lait. La recherche est encore loin d’avoir appréhendé toute la complexité des éléments structuraux du lait, leurs interactions et les processus de transformation du lait (6). Mais surtout ces synthèses in vitro sont des technologies de pays riches. Comment pourrait-on nourrir l’Afrique sans élevage ?

Sans les ruminants, il n’y aurait plus de paysages de prairies et de bocages, ni de haies. La forêt gagnerait du terrain en montagne et deviendrait plus sensible aux incendies en zones sèches, car privée du rôle de débroussaillage des petits ruminants. On perdrait en surface agricole utile puisqu’il n’est pas possible de produire de cultures à graines dans bon nombre de nos territoires couverts de prairies permanentes qui ne peuvent être valorisés que par les ruminants. On accentuerait l’exode rural vers les villes. Les grandes cultures utiliseraient plus d’engrais sans l’apport organique des effluents d’élevage. Dans ce monde hyper-technologique et éloigné du naturel, on pourrait imaginer que les légumes seraient cultivés en ville dans de grandes tours entièrement automatisées… Un tel monde est la négation de notre patrimoine paysager et culturel ! ».

Le point de vue de Jocelyne Porcher** : « c’est l’industrialisation qui a rompu le contrat avec les animaux »

« Un monde sans élevage, c’est une société sans animaux. Car la disparition des animaux d’élevage signe celle de tous les animaux domestiques, y compris chiens, chats et cochons au fond du jardin…Il n’y a pas de cohérence éthique à supprimer les uns et pas les autres. En effet, tous sont en lien avec nous par le travail, qu’ils produisent des aliments (vaches, truies,…) ou des services (chiens, chevaux, …). Or, la relation de travail, souvent mal prise en compte, est basée sur des rapports historiques de « don-contredon », qui ont été rompus à cause de l’industrialisation de l’élevage et de la priorité donnée au profit sur toutes les autres rationalités du travail. Cette évolution a dégradé les conditions de vie et de mort des animaux. C’est pourquoi cette relation de travail est de plus en plus critiquée par les abolitionnistes, pour lesquels les animaux sont appropriés, exploités et doivent être libérés. Quant aux start-up de l’alimentation 2.0 ou de la robotique, elles préconisent de remplacer les animaux domestiques par des substituts plus rentables : viande in vitro ou robots (pour les animaux de compagnie), qui sont des mannes financières sans équivalent.

Ainsi, nous risquons de voir disparaître tous les animaux domestiques, pourtant omniprésents dans notre vie, et qui bercent nos esprits et nos rêves depuis des millénaires…

Cette évolution est déjà bien amorcée et, parce que notre modèle économique est fondé sur la recherche du profit, il est fort probable qu’elle va se poursuivre. Sauf à prendre en mains notre destin commun et, avec les animaux, parce qu’ils sont d’ores et déjà engagés dans le travail, changer le travail et changer nos vies. »

 

*Jean-Louis Peyraud est directeur scientifique adjoint Agriculture à l’Inra.

**Jocelyne Porcher est sociologue, directrice de recherche de l’UMR Innovation et Développement dans l’Agriculture et l’Alimentation, centre Inra de Montpellier.

 

Sources

(1) Muufri.

(2) Real Vegan Cheese.

(3) Next Nature, Amsterdam. « The In Vitro Meat Cookbook ».

(4) New Harvest, New York.“The Carnery”.

(5) Cor van der Weele, Université de Wageningen, Pays-Bas.

(6) Lire l’article.

 

Inra.fr