Dans une nouvelle étude, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm, de l’AP-HP et d’Université de Paris ont montré que les fréquentes infections des enfants par les coronavirus saisonniers ne les protègent ni de l’infection par le virus SARS-CoV-2, responsable de la Covid-19, ni des formes graves apparentées à la maladie de Kawasaki. Il n’y a donc pas d’immunité croisée pour la Covid-19. Explications.

Les coronavirus saisonniers sont responsables chaque hiver de rhumes et de bronchites répétées dès la petite enfance. La question de l’éventuelle immunité croisée conférée par les quatre coronavirus saisonniers vis-à-vis de la Covid-19, a été récemment posée en raison de la mise en évidence d’anticorps et de cellules de l’immunité reconnaissant le virus SARS-CoV-2 chez des individus avant la phase épidémique. L’existence d’une telle immunité aurait un impact important sur notre compréhension de l’avenir de l’épidémie. Les enfants font des formes de Covid-19 peu symptomatiques qui passent souvent inaperçues. Toutefois, ils peuvent, quoique rarement, avoir des atteintes sévères apparentées à la maladie de Kawasaki. Mais d’après la nouvelle étude de chercheurs dont les résultats ont été pré-publiés sur MedRxiv, le 30 juin 2020, il n’y aurait pas d’immunité croisée pour la Covid-19.

Y a-t-il une immunité croisée pour le coronavirus?

Un consortium de laboratoires de l’Institut Pasteur et de cliniciens de l’AP-HP, de l’Inserm et de l’Université de Paris ont conduit du 1er mars au 1er juin 2020 une étude dans 7 hôpitaux parisiens et de la proche couronne, auprès de 775 enfants (de 0 à 18 ans), dont 36 présentaient un syndrome apparenté à la maladie de Kawasaki. L’étude PED-COVID, coordonnée par l’hôpital Necker et l’Institut Pasteur, visait à déterminer la fréquence, le type et la concentration d’anticorps produits par les enfants en réponse à l’infection et leur capacité de neutralisation du virus SARS-CoV-2. La fréquence et les titres des anticorps contre les quatre coronavirus saisonniers (NL63, HKU1, 229E, OC43) ont été mesurés pour un sous-ensemble de patients séropositifs pour le virus SARS-CoV-2 avec pas (ou peu) de symptômes, et pour des patients hospitalisés pour un syndrome apparenté à la maladie de Kawasaki, en comparaison à des patients séronégatifs.

Le taux de prévalence du virus SARS-CoV-2 chez les patients avec pas (ou peu) de symptômes était en moyenne de 11.7% de la population étudiée. Plus de la moitié (69,4%) de ces enfants n’avait jamais eu de symptômes évocateurs d’infection. Des anticorps neutralisants ont été trouvés chez 56 % des enfants séropositifs, avec une fréquence relative augmentant avec le temps (jusqu’à 100% en fin d’étude, à 2 mois du pic de l’épidémie). Plus de 2/3 des enfants avec un syndrome apparenté à la maladie de Kawasaki étaient séropositifs pour le virus SARS-CoV-2.

Les enfants font des formes bénignes ou asymptomatiques de Covid-19

La présence et le taux d’anticorps contre les quatre coronavirus saisonniers, retrouvés chez 67-100 % des enfants en fonction des virus, étaient comparables entre les enfants séronégatifs et les enfants séropositifs pour le virus de la Covid-19, qu’il s’agisse des malades avec syndrome apparenté à la maladie de Kawasaki ou de ceux qui ont fait une forme pas (ou peu) symptomatique.

Ces résultats suggèrent que les enfants font des formes de Covid-19 souvent pas (ou peu) symptomatiques et développent des anticorps le plus souvent neutralisants et qu’il n’y aurait pas d’immunité croisée pour la Covid-19 « L’infection par les coronavirus saisonniers n’offre pas une protection significative contre l’infection par le virus SARS-CoV-2 et les autres maladies associées comme le syndrome apparenté à la maladie de Kawasaki. » commente Marc Eloit*, dernier auteur de l’étude, responsable du Laboratoire de Découverte de pathogènes à l’Institut Pasteur. Cette étude confirme la très grande fréquence et le taux important d’anticorps contre les coronavirus saisonniers dans la population générale, ce qui n’empêche pourtant pas les infections par ces virus chaque hiver. « Si le virus de la Covid-19 se comporte comme les coronavirus saisonniers, cette observation interroge sur la capacité de la population à atteindre un niveau d’immunité suffisant pour empêcher la réapparition régulière de la maladie » conclut Marc Eloit.

* Marc Eloit est également professeur à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort.


Source pas d’immunité croisée pour la Covid-19

SARS-CoV-2 infection, antibody production and their neutralizing activity are not prevented by Seasonal Coronaviruses infection in children, MedRxiv, 30 juin 2020

Isabelle Sermet-Gaudelus1,2,3*, Sarah Temmam4*, Christèle Huon4, Sylvie Behillil5,6, Vincent Gajdos7,8, Thomas Bigot4,9, Thibaut Lurier10,11,12, Delphine Chrétien4, Marija Backovic13, Agnès Moisan-Delaunay14, Flora Donati5,6, Mélanie Albert5,6, Elsa Foucaud15, Bettina Mesplées16, Grégoire Benoist17, Albert Faye18, Marc Duval-Arnould19, Célia Cretolle2, Marina Charbit2, Mélodie Aubart2, Johanne Auriau2, Mathie Lorrot20, Dulanjalee Kariyawasam2, Laura Fertitta2, Gilles Orliaguet2, Bénédicte Pigneur2, Brigitte Bader-Meunier2, Coralie Briand16, Vincent Enouf5,6,21, Julie Toubiana2,3,22, Tiffany Guilleminot23, Sylvie van der Werf5,6, Marianne Leruez-Ville23, Marc Eloit4,24

1 Institut Necker Enfants Malades, INSERM U 1171. Paris 75015, Paris France

2 Hôpital Necker-Enfants Malades. Assistance Publique Hôpitaux de Paris. Paris 75015. France

3 Université de Paris. Paris 75015, France

4 Pathogen Discovery Laboratory, Department of Virology, Institut Pasteur, Paris, France

5 Molecular Genetics of RNA Viruses, Department of Virology, CNRS UMR3569, University of Paris, Institut Pasteur, Paris, France

6 National Reference Center for Respiratory Viruses, Institut Pasteur, Paris, France

7 Hôpital Antoine Beclere. 92140 Clamart, France

8 Centre for Research in Epidemiology and Population Health, INSERM UMR1018, Villejuif, France

9 Hub de Bioinformatique et Biostatistique – Département Biologie Computationnelle, Institut Pasteur, USR 3756 CNRS, Paris, France

10 Université Clermont Auvergne, INRAE, VetAgro Sup, UMR EPIA, F-63122 Saint-Genès-Champanelle, France

11 Université de Lyon, INRAE, VetAgro Sup, UMR EPIA, F-69280 Marcy l’Etoile, France

12 Université de Lyon, INRAE, VetAgro Sup, Usc 1233 UR RS2GP, F-69280 Marcy l’Etoile, France

13 Structural Virology Unit, Institut Pasteur, Paris 75015, France

14 Université Paris-Saclay, CEA, CNRS, Institute for Integrative Biology of the Cell (I2BC), 91198, Gif-sur-Yvette, France

15 Hôpital Jean Verdier, 93140 Bondy, France

16 Hôpital Louis Mourier, 92700 Colombes. France

17 Hôpital Ambroise Paré, Boulogne Billancourt 92100. France

18 Hôpital Robert Debré, Paris 75019. France

19 Hôpital Kremlin Bicêtre, 94270 Le Kremlin-Bicêtre. France

20 Hôpital Armand Trousseau, 75012 Paris. France

21 Plateforme de microbiologie mutualisée (P2M), Pasteur International Bioresources Network (PIBnet), Institut Pasteur, Paris, France

22 Unité Biodiversité et Epidemiologie des Bacteries Pathogènes, Institut Pasteur, Paris, France

23 Laboratoire de Microbiologie, Hôpital Necker-Enfants Malades ; Paris 75015, France

24 École Nationale Vétérinaire d’Alfort, 94704 Maisons Alfort, France

 

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