Le-Chevalier-dEon

La polémique autour de « la théorie du genre » n’est pas nouvelle. Les plus grandes plumes françaises s’y sont essayées et l’histoire du Chevalier d’Éon en est l’un des exemples les plus célèbres. Découvrez le fantastique destin de l’un des grands mystères de notre histoire : Le Chevalier d’Éon, espion androgyne aussi à l’aise en jupe qu’en uniforme de capitaine pour le compte de Louis XV, sa légende est devenue un symbole pour la lutte des genres !

De petite noblesse – même s’il s’inventera par la suite un arbre généalogique plus prestigieux -, Charles-Geneviève-Louis-Auguste- André-Timothée d’Éon de Beaumont naît à Tonnerre (Yonne), en 1726. Docteur en droits civil et canon, censeur royal pour l’Histoire et les Belles-Lettres, il est recruté en 1755 dans le “Secret du Roi”, devient agent secret au service de Louis XV, opérant sous le titre officiel de “secrétaire d’ambassade”. Récompensé par le brevet de capitaine des Dragons en 1760, il participe à quelques campagnes de la guerre des Sept Ans contre l’Angleterre et prend une part active dans le traité qui y mettra un terme, en 1763. Ceci lui vaut l’une des plus grandes distinctions de l’époque : l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Chargé par le roi d’élaborer un plan pour envahir l’Angleterre, il est élevé au rang de ministre plénipotentiaire, mène un train de vie qui lui fait cumuler des dettes astronomiques et s’attire les foudres du même roi, qui le destitue et le traîne devant les tribunaux, récoltant en échange un chantage. Après la mort de Louis XV, en 1774, c’est Louis XVI que d’Éon essaie de faire chanter. Il menace de divulguer des documents brûlants mais le nouveau roi le tient en refusant de régler sa pension. Afin de l’encaisser, d’Éon doit accepter en 1777 de porter pour toujours des habits féminins. Marie-Antoinette lui finance une “robe à panier”. Une décennie plus tard, à la suite de la Révolution française, et bien que sympathisant des idéaux révolutionnaires, d’Éon perd sa rente. Il se réfugie en Angleterre et finit sa vie dans la misère la plus noire. Criblé par des dettes qui le conduisent aussi en prison, il essaie de survivre en s’exhibant dans des spectacles d’escrime, habillé en femme.

Il meurt le 21 mai 1810 à Londres et est inhumé dans le cimetière de Saint Pancrace, comté de… Middlesex !

D’éon l’éoniste ?

Aujourd’hui, le vocable “éonisme” est synonyme de “travestissement”. On a tous en mémoire la chanson Sans contrefaçon de Mylène Farmer, et son entêtant refrain : “Sans contrefaçon / Je suis un garçon (…)”. Le chevalier est devenu le porte-drapeau d’une association de transsexuels anglais et le symbole, en général, de la recherche (et souvent du drame) de son identité. Ambiguïté sexuelle… voire ambiguïté tout court ! Accusé d’être un espion double, voire triple, franc-maçon, et même fou, il est à l’origine d’une machination politique dans l’interprétation romanesque qu’en a tiré le mangaka Tow Ubukata [mangas et DVD édités chez Kazé, roman chez Calmann-Lévy].

Mais pourquoi, historiquement, le chevalier portait-il des vêtements de femme ? Lors des trente-trois dernières années de sa vie, l’assujettissement de la parure féminine lui vint du roi Louis XVI qui avait mal digéré le chantage auquel l’ancien espion avait soumis la couronne… Mais cela correspondait-il à un besoin, une tendance plus intime ? Dans ce premier tome, Agnès Maupré ne tranche pas et nous montre un être tâtonnant encore sur les choses du sexe. Toujours puceau, guère entreprenant en matière de drague, le héros de 28 ans n’arrive pas à honorer la tzarine de Russie qui lui saute dessus… Pourtant, les habits féminins semblent s’imposer à lui par farce d’abord, stratégie ensuite. Jeune premier à Versailles, il consent juste à se déguiser pour un bal. Le hasard veut que le roi le remarque et l’enrôle en qualité d’espion en Russie sous la fausse identité féminine de Lia de Beaumont…

L’auteure de Milady de Winter ne peut délaisser l’aspect “déguisement” du chevalier d’Éon mais s’attache davantage à ses exploits : escrimeur hors pair, avocat habile, plume acérée, ce fils de petite noblesse, encore très jeune et à sa première mission, réussit là où la diplomatie du royaume faillit pendant des années.

Inexpérimenté, un peu “godiche”, d’Éon s’avère brillant, aventureux et d’une exceptionnelle débrouillardise. Agnès Maupré a littéralement marché dans les pas du chevalier puisqu’elle a récolté sa documentation à Tonnerre, ville où d’Éon est né, dans l’hôtel d’Uzès. Ville où son père fut maire et fit aménager la fameuse source de la Fosse Dionne en lavoir circulaire. Ville également où, à la bibliothèque municipale, on conserve toujours partie de sa correspondance.

D’Éon féministe ?

Avec sa sensibilité féminine, Agnès Maupré fait en sorte qu’une fois ses fanfreluches endossées, parcourant les routes européennes en mission secrète, d’Éon comprenne pas mal de choses à la condition des femmes du siècle des Lumières. Que, par exemple, les hommes préfèrent assimiler la nature et le charme des dames à leur fragilité… mais pas les intéressées elles-mêmes, surtout quand ces dernières doivent faire face aux lourdes attentions d’une bande de soldats. Et aussi que les femmes élevées dans la classe sociale de l’époque sont certes tenues à s’instruire, mais pas trop. Se passionner sincèrement pour quelque chose serait de toute façon inutile à une génitrice.

A lire :

Le Chevalier d’éon Tome 1, Agnès Maupré – Éditions Ankama, 15,90 €