En plein débat sur l’extension du pass sanitaire, des publications soutiennent que le principe même de l’obligation vaccinale serait contraire au droit français et à la jurisprudence. Cette affirmation est inexacte: une telle obligation a été gravée dans la loi dès le début du XXe siècle en France et a été, depuis, étendue et confortée par des décisions de justice nationales comme européennes, selon les experts et documents légaux consultés par l’AFP.

La publication se présente comme un « rappel des lois » qui interdiraient d’imposer « toute obligation vaccinale » en France : partagée plusieurs milliers de fois sur Facebook, on y retrouve des extraits de textes législatifs ou de décisions de justice qui invoquent successivement le « droit à la liberté », « le principe de l’intégrité du corps humain » ou le refus de tout acte médical pratiqué sans « le consentement éclairé » du patient.

« Voilà les amis, il y’a des lois qui existent et ça pour tout le monde , et vous êtes en droit de refuser le vaccin, l’Etat veut le rendre obligatoire, mais cela est strictement interdit », clame cette publication partagée plus d’un millier de fois depuis le 14 juillet et qu’on retrouve à l’identique sur plusieurs autres comptes.

Elle fait écho à un débat brûlant : pour freiner la quatrième vague de Covid-19, le gouvernement veut obliger les soignants à se vacciner et prévoit d’exiger un pass sanitaire (vaccination complète ou test négatif) pour accéder aux cafés, restaurants et trains à partir de début août. L’examen du projet de loi en ce sens a débuté mercredi 21 juillet dans un climat électrique comme le rappelle cette dépêche de l’AFP.

La vaccination obligatoire « interdite » en droit français: une affirmation fausse

La publication s’appuie sur des textes qui existent bel et bien mais elle est toutefois trompeuse. Elle occulte le fait que l’obligation vaccinale a été gravée dans la loi dès 1902, qu’elle a été confortée par les plus hautes juridictions nationales et européennes et qu’elle a même été étendue par une loi de 2017, selon les textes consultés par l’AFP et les explications de trois experts joints au téléphone le 20 juillet.

« L’obligation vaccinale existe depuis que les vaccins existent », résume Odile Launay, professeure en maladies infectieuses à l’Université de Paris.

C’est la loi du 15 février 1902 qui introduit pour la première fois une obligation vaccinale en France. Son article 6 indique ainsi que « la vaccination antivariolique est obligatoire au cours de la première année de la vie, ainsi que la revaccination au cours de la onzième et de la vingt et unième année« .

Le perfectionnement et la généralisation de la vaccination antivariolique, au départ conçue à la fin du XVIIIe siècle par le médecin britannique Edward Jenner, permettront d’éradiquer cette maladie dans le monde en 1980.

Au fil du XXe siècle, la loi va imposer plusieurs autres vaccinations obligatoires en France : contre la diphtérie en 1938, contre le tétanos en 1940 et la poliomyélite en 1964, suscitant parfois débats et controverses.

Ce mouvement s’est amplifié ces dernières années.

Depuis la loi du 18 janvier 1991, les professionnels de santé –de même que les étudiants en médecine à partir de la 2e année– doivent ainsi obligatoirement être vaccinés contre l’hépatite B pour éviter de contaminer les patients dont ils ont la charge.

C’est surtout la loi du 30 décembre 2017 qui marque une accélération : huit autres vaccins notamment contre l’hépatite B, la rougeole ou la rubéole, qui étaient jusque-là recommandés, deviennent obligatoires pour les enfants nés après le 1er janvier 2018.

Le gouvernement entendait ainsi s’attaquer au « problème de santé publique » posé, selon lui, par la coexistence de vaccins obligatoires et recommandés. « Ce double système est une exception française », déplorait en juin 2017 la ministre de la Santé de l’époque Agnès Buzyn, s’inquiétant alors de la résurgence de la rougeole qui causé la mort de 10 enfants depuis 2008.

Contrairement à ce qu’affirme la publication, le principe de la vaccination obligatoire a bien une base légale en France qui prévoit même des indemnisations en cas de dommages imputables à un des vaccins imposés par la loi. Ces réparations financières sont prises en charge par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) comme le rappelle ce document officiel.

Les libertés individuelles, invoquées par la publication pour récuser toute obligation vaccinale, sont certes consacrées par la Constitution mais elles doivent être mises en regard avec un autre impératif inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 selon lequel la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».

« Il y a toujours un équilibre à trouver sur la base de la Déclaration des droits de l’homme qui proclame +La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui+. En droit, on passe son temps à concilier des exigences qui sont contradictoires jusqu’à ce qu’un consensus se dégage », relève Philippe Amiel, sociologue et juriste de la santé, chercheur associé à l’Inserm.

Cet équilibre est particulièrement essentiel s’agissant des vaccins. « Ce n’est pas un médicament comme les autres, observe Odile Launay. Il va protéger la personne vaccinée et lui apporter un bénéficie individuel mais il y a aussi une dimension collective parce qu’il s’agit aussi d’atteindre une couverture vaccinale suffisante dans une population pour éradiquer une maladie ».

Contrairement à ce qu’affirme la publication, les plus hautes juridictions françaises ont d’ailleurs validé le principe de l’obligation vaccinale au nom de cet impératif de santé publique.

Dans une décision rendue le 20 janvier 2015, le Conseil Constitutionnel a ainsi rejeté la requête de deux parents qui contestaient la constitutionnalité des lois imposant la vaccination.

‘Il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective », ont indiqué les Sages constitutionnels, ajoutant que les lois contestées ne portent pas « atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé telle qu’elle est garantie par le Préambule de 1946 ».

Le Conseil d’État a suivi la même le raisonnement dans un arrêt du 6 mai 2019. Saisie par la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, la plus haute juridiction administrative a validé le passage à 11 vaccins obligatoires en estimant qu’une telle décision n’était pas contraire au « droit à l’intégrité physique et au respect de la vie privée », car elle était justifiée « par la protection de la santé publique ».

Les juges administratifs ont également justifié cette obligation « compte tenu de la gravité des maladies, de l’efficacité de ces vaccins et de la nécessité de les rendre obligatoires pour atteindre une couverture vaccinale satisfaisante pour l’ensemble de la population ».

Dans une décision rendue le 8 avril 2021 en pleine campagne de vaccination contre le Covid-19, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a également fait pencher la balance du côté de l’impératif de santé publique.

La Cour avait été saisie par six requérants tchèques dont certains qui contestaient l’obligation de faire vacciner leurs enfants au nom, notamment, du droit au respect de leur vie privée.

Appelé à livrer des observations en qualité de « tiers intervenant », le gouvernement français avait, selon la CEDH, reconnu « que la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée » mais qu’elle poursuivait toutefois « le but légitime consistant à protéger la santé ».

Dans ce premier arrêt consacré à la vaccination obligatoire, la Cour a retenu ce raisonnement en assurant que cette « ingérence » poursuivait le « but légitime » d’assurer « la protection contre des maladies susceptibles de faire peser un risque grave sur la santé ».

Selon un communiqué de presse résumant sa décision, la CEDH a ainsi reconnu « que la politique de vaccination poursuit les objectifs légitimes de protection de la santé ainsi que des droits d’autrui, en ce qu’elle protège à la fois ceux qui reçoivent les vaccins en question et ceux qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales et qui sont donc tributaires de l’immunité collective ».

Vaccination obligatoire versus vaccination forcée

Si l’obligation vaccinale a donc une base légale en France, elle n’est plus directement pénalement sanctionnée. La loi de 2017 a ainsi supprimé le fait « d’entraver » la vaccination de ses enfants, un délit qui était puni d’une peine maximale de 6 mois d’emprisonnement et de 3.750 euros.

Toutefois, prévient le ministère de la Santé sur son site, « le fait de compromettre la santé de son enfant, ou celui d’avoir contaminé d’autres enfants par des maladies qui auraient pu être évitées par la vaccination pourront toujours faire l’objet de poursuites pénales« .

L’accès aux crèches, écoles et autres colonies est par ailleurs interdit aux enfants non-vaccinés. « En crèche ou à l’école, seule une admission provisoire est possible, les parents ayant alors 3 mois pour procéder aux vaccinations. En cas de refus persistant, le responsable de la structure est fondé à exclure l’enfant« , observe le ministère.

« On peut rendre le vaccin obligatoire mais on ne peut pas le faire sans imposer des contraintes », observe Marie-Laure Moquet-Anger, professeure de droit de la santé à l’Université Rennes 1 et présidente de l’Association française de droit de la santé.

Mais cela diffère d’une vaccination forcée qui serait, elle, contraire aux droits fondamentaux. « Les enfants n’ont jamais été vaccinés de force, on ne va jamais aller chercher les gens pour les vacciner par la contrainte, ajoute-t-elle. Là, ce serait un régime totalitaire ».