Depuis plus d’un an nos vies ont été bouleversées par la pandémie, nous faisant vivre durablement dans une ère de l’urgence et la peur. La Dialectal Behavioral Therapy (DBT), encore peu connue en France, a fait ses preuves dans le monde anglo-saxon pour réguler les émotions.

Cette épreuve collective qu’est la Covid-19 nous oblige à nous pencher sur nos émotions, sur la manière dont elles colorent chaque instant de note existence et sur notre capacité à les réguler. Les émotions sont la première forme d’intelligence et de communication et elles comportent une « lecture », une « interprétation » de la manière dont le monde externe affecte notre monde interne. Nos émotions nous font agir et, souvent, nous gouvernent. Ainsi, notre aptitude à réguler nos émotions est un avantage adaptatif majeur, nous permettant de nous réajuster en permanence à l’autre et à la réalité, tout en restant les acteurs principaux de nos vies. La Dialectal Behavioral Therapy (DBT) est une méthode pour aider à faire face au stress.

La DBT, fait partie des thérapies cognitive-comportementales dites de « troisième » génération, mis au point par Marsha Linehan, à Seattle (USA) à la fin des années 80. « Œcuménique », elle fait des emprunts à la psychanalyse (mécanismes de défense, compulsion de répétition, relation transférentielle avec le thérapeute), aux neurosciences (mécanismes neurobiologiques de régulation de l’émotion, vulnérabilité́ innée et acquise au stress), à la psychologie du développement (théorie bio-sociale, théorie de l’apprentissage), à la théorie de l’attachement (modèles relationnels), à la psychothérapie institutionnelle car une partie importante du processus de changement de fait par la réflexion commune d’un groupe de thérapeutes et à la méditation Vipassana (pleine conscience).

Qu’est-ce que la DBT?

La DBT permet aux patients « d’acquérir des compétences », apprises individuellement et dont l’entraînement se fait en groupe. Elle comporte un certain nombre de « modules », tous tendant à améliorer la qualité de vie de la personne, ici et maintenant :

  • Acquisition « d’outils » de tolérance à la détresse, afin d’éviter que l’activation durable d’émotions négatives crée un vécu permanent d’inconfort émotionnel : angoisses, peurs, douleur morale, désespoir, sentiment d’impuissance, sentiment de piège.
  • Acquisition « d’outils » de gestion de crise, afin d’éviter que la détresse prenne la forme de « débordements émotionnels » : crises d’angoisse, crises suicidaires, consommation de psychotropes, crises de boulimie, auto-lésions, conduites à risque, passages à l’acte.
  • Acquisition de « pleine conscience », permettant à la  personne de ne plus  être gouvernée par ses émotions négatives, par mécanismes de défense, par ses « propagandes disqualifiantes », par ses croyances forgées par la souffrance et par ses scenarios répétitifs.
  • Acquisition « habilités sociales », permettant de ne plus souffrir la relation
  • Acquisition de « l’auto-gestion » des émotions.
  • La DBT dispose aussi de « modules spécifiques » : adolescents, crises suicidaires, troubles anxieux, troubles de l’humeur, addictions, troubles de conduites alimentaires et, plus récemment, syndrome de stress post-traumatique.

La régulation émotionnelle

La régulation émotionnelle est faite de séquences très simples :

  • pouvoir vivre l’émotion de chaque instant, y compris les émotions négatives,
  • pour pouvoir les penser et les comprendre,
  • puis les partager pour les transformer.

La régulation des émotions s’acquière progressivement et rapidement dans le développement de l’enfant pour se stabiliser autour des trois ans de vie. Elle est le résultat à la fois de facteurs innés et de facteurs acquis. Hormis les graves troubles du développement (autisme, troubles neuro-sensoriels) les êtres humains naissent avec une disposition neurobiologique à la régulation des émotions, disposition qui fait la rencontre quotidienne avec les adultes de l’entourage de l’enfant. Ainsi, si de manière coutumière l’enfant évolue dans un climat émotionnel sécurisant et prévisible et s’il reçoit des réponses adéquates à la manifestation de ses besoins, il pourrait extraire de ces expériences un vécu de sécurité interne qui construit la régulation émotionnelle au quotidien. Se crée ainsi une dynamique développementale permettant à l’enfant de bâtir sa sécurité émotionnelle (lui rendant le quotidien confortable), un attachement sécure (servant de modèle relationnel) et d’inscrire les premières représentations de son corps.

A l’opposé, la dysrégulation émotionnelle nous fait vivre douloureusement la plupart de nos émotions du quotidien, créant une dynamique qui a quatre conséquences majeures :

  • L’activation durable des émotions négatives crée un vécu de détresse permanente qui nous pousser à un agir souvent irréfléchi et à court terme.
  • La détresse permanente produit fréquemment le débordement émotionnel, souvent sous la forme de crises d’angoisse, de peurs, de phobies, d’addictions, de conduites à risque, de crises de boulimie, d’auto-lésions et de crises suicidaires.
  • La détresse et les crises, responsables d’une dynamique de vie très négative, créent un système de croyances, de superstitions, des propagandes d’autoaccusation et d’autodépréciation qui enferment la personne dans un certain nombre de mécanismes de défense et de scenarios de fonctionnement répétitifs.
  • Le négativisme, l’accumulation d’expériences douloureuses, la faible estime de soi nous font aussi souffrir dans la relation à autrui, dernier élément d’un système de vie qui nous fait éprouver souvent la douleur, la solitude, la frustration, l’inachèvement et le désespoir.

Dans la population générale, les individus souffrant de dysrégulation émotionnelle constituent un groupe hétérogène, allant des personnes communément appelées des « hypersensibles », jusqu’au personnes souffrant de véritables troubles psychiques : trouble borderline de la personnalité, addictions, troubles de conduites alimentaires, troubles attentionnels, troubles de l’humeur et le syndrome de stress post-traumatique. Le point commun de toutes ces situations est ressentir intensément les émotions.

Arrêtons-nous un instant sur la notion « d’hypersensibles » :

  • L’hyperémotivité est une disposition neurobiologique innée qui nous fait ressentir très intensément nos émotions, notamment si, enfants, nous nous sommes construits dans un environnement insécurisant, Par cette intensité accrue du ressenti, l’hyperémotivité nous impose un effort supplémentaire pour réguler les émotions et nous rend sujets au débordement émotionnel et incompris par notre Également, l’hyperémotivité peut nous permettre de mieux « ressentir» l’autre, à l’instar d’une cantatrice qui dispose de plus d’amplitude vocale que tout un chacun.
  • L’hypersensorialité est aussi une disposition neurobiologique innée, chez une minorité de la population, responsable d’une sensibilité sensorielle Les personnes possédant une hypersensorialité tactile, supportent mal la chaleur, ne tolèrent pas les vêtements serrants, ne supportent que certains textiles. L’hypersensorialité auditive rend insupportable un fond sonore habituel (cantine, supermarchés…) et donne la capacité de percevoir des sons qui échappent à la plupart de gens. L’hypersensorialité olfactive et gustative sont responsables d’une sélectivité alimentaire (seul un nombre restreint d’aliments est toléré) et rendent insupportables certaines odeurs et textures tolérées par la plupart de gens. Les hypersensorialités élargissent la palette de perceptions, ce qui peut être un formidable avantage. En revanche, l’intensité accrue des perceptions sensorielles empiète dans le vécu de tous les instants, « saturant » souvent la personne «hypersensorielle» et, de ce fait, lui imposant une exigence supplémentaire au quotidien.
  • Souvent, l’hyperémotivité et l’hypersensorialité s’accompagnent chez le même individu d’un haut potentiel intellectuel, complétant le tableau clinique des personnes appelés « zèbres », du fait du contraste permanent dans lequel elles vivent et font vivre les autres : « dévorée » par sa grande intelligence, débordée émotionnellement, « saturée » par ses sens, le quotidien des « zèbres » n’est pas une sinécure, grevant ses capacités à s’adapter à la réalité en dépit d’une grande clairvoyance.

Comment se passent les séances de DBT?

Outre les séances individuelles et en groupe, la DBT comprend aussi un « coaching téléphonique », permettant de joindre « son thérapeute » lors de moments les plus sombres. Pour les plus jeunes, la DBT inclut également un « groupe de parents-familles » afin de créer une dynamique familiale propice au changement positif. Chacune des « compétences » ou «outils » transmis par la DBT ont été empruntés à la recherche en neurosciences, et, de ce fait, a été validé scientifiquement. L’ensemble du dispositif permettant à 85% des personnes d’acquérir la régulation des émotions, DBT nous amène à faire l’expérience que nos émotions négatives ne sont pas la réalité, que nos mécanismes de défense nous éloignent de nous- mêmes et déforment notre perception de nous-mêmes et du monde externe et que nos scenarios de fonctionnement répétitifs créent une dynamique qui conduit inexorablement à la souffrance. Pour certains, et au-delà d’une méthode de soin, la DBT est considérée comme une forme de psycho-éducation, véhiculant les principes universels de la sécurité émotionnelle. Il s’agit donc de faire, avec son thérapeute et en groupe, l’expérience qu’il est possible de ne pas souffrir et de créer, maintenir et protéger une dynamique constructive nous faisant vivre « a life worths living », selon la formulation de Marsha Linehan.

Pour toutes ces raisons, la DBT est déjà le présent et l’avenir des soins en santé mentale, notamment lors de cette longue épreuve de la pandémie due au COVID 19. Ainsi, l’Allemagne vient d’autoriser le remboursement de la DBT par la sécurité sociale. Aujourd’hui, la gageure est celle de son « acclimatation » à la culture et au mode de vie à la française, fortement imprégnés de la tradition psychanalytique et « relativement fermés » au monde anglo-saxon.

A lire :

Ingérable ou atypique ? Un guide empathique pour comprendre les enfants différents et cesser de courir après la perfection !

On parle d’autistes, de « zèbres », d’hypersensibles, de « dys »,  de haut potentiel, d’enfants « différents ». Souvent l’école et la société les jugent juste capricieux et ingérables et accusent leurs parents de créer des complications…
C’est pourtant une réalité, décrite sous le terme de « neurodiversité », et qui concerne près de 20% de la population. Ils sont souvent détectés au moment de la scolarisation, début d’un vrai parcours du combattant pour les parents et leurs enfants. Comment faire grandir un enfant « hors case » que le système doit « caser » à tout prix ? Comment se construire lorsque l’on perçoit que l’on est un problème ?
Les personnes neuro-atypiques vivent dans un univers qui n’a ni les mêmes codes ni les mêmes couleurs que celui de la majeure partie de la population. Il faut savoir ouvrir les yeux sur leurs richesses et leurs qualités. Cet ouvrage, qui explique le fonctionnement de ces enfants extra-ordinaires, est destiné aux parents et leur donne des clés et des ressources pratiques pour accompagner leurs enfants sans culpabiliser ni se battre en permanence.

Ingérable ou atypique ? Un guide empathique pour comprendre les enfants différents et cesser de courir après la perfection !, Claire Stride – Desclée de Brouwer