Trois soignants opposés à l’euthanasie, initiateurs d’une pétition contre une évolution de la loi sur la fin de vie, ont rencontré hier cinq députés LREM favorables à une aide active à mourir, dont l’ancien socialiste Jean-Louis Touraine. Un rendez-vous à huis clos auquel« La Croix » a pu assister. A retrouver demain dans La Croix.

 

C’est une confrontation entre deux visions de la médecine qui a eu lieu, hier après-midi, au quatrième bureau de l’Assemblée nationale. Dans cette salle de réunion baignée de soleil, à quelques mètres de l’hémicycle, les représentants de deux camps s’étaient donné rendez-vous : d’un côté, cinq députés LREM, dont beaucoup ont travaillé dans le milieu de la santé ; de l’autre, une infirmière et des cadres de santé. Les uns, au premier rang desquels l’ancien socialiste Jean- Louis Touraine, militent active- ment pour la légalisation de l’euthanasie, les autres s’y opposent fermement.

À l’origine de la rencontre, qui a duré une heure et quart : une pétition envoyée aux députés LREM favorables à l’euthanasie et si- gnée par plusieurs centaines de soignants, dont Marion Broucke, infirmière en soins palliatifs. Elle était présente hier à l’Assemblée. C’est d’ailleurs à sa demande que la rencontre a été organisée.

L’échange commence sur un constat commun : on meurt mal en France. Mais députés et soignants ne tirent pas de ce constat les mêmes conclusions. « Les conditions dans lesquelles nous traitons les personnes âgées sont très mauvaises, ainsi que celles dans lesquelles nous accompa- gnons vers la mort », commence Jean-Louis Touraine.

Assise à côté de lui, Marion Broucke rétorque : « On meurt mal en France, mais nous trouvons que la légalisation de la sédation létale n’est pas la bonne ordonnance. Nous n’accepterions pas que les injections létales de- viennent la seule façon de soulager la souffrance », poursuit la jeune femme, qui lit le texte de la pétition alors que les élus prennent des notes. Pour elle, ce qu’il faut avant tout, c’est mieux appliquer la loi Claeys-Leonetti de 2016, qui permet notamment aux médecins de mettre en œuvre une sédation profonde et continue pour un patient en fin de vie.

« La sédation profonde et continue n’est pas la première de- mande, objecte Jean-Louis Touraine. Être endormi, c’est perdre tout contact avec son environne- ment. Les gens préfèrent délivrer leur message d’amour puis s’épargner la dernière phase, la plus pénible. » Le professeur d’immunologie poursuit : « Je considère que dans notre pays, on n’écoute pas assez les malades. Et écouter les malades, ce n’est pas les convaincre qu’ils ont tort. »

À trois sièges de là, une femme, la soixantaine, sursaute à plu- sieurs reprises en écoutant le député LREM. Marie-Noëlle Belloir, cadre de santé, a travaillé vingt-cinq ans dans des services de soins palliatifs. « Nous n’avons pas le même postulat, Monsieur, réagit-elle. En vingt-cinq ans, je n’ai pas rencontré de patients demandeurs d’euthanasie. J’ai rencontré en revanche des familles pour qui il était insupportable d’être là. Quand vous vous occupez simplement d’un patient, il n’a qu’une envie: vivre. » Une manière de dire que les demandes d’euthanasie s’estompent lorsque les souffrances de la personne sont soulagées.

« On ne formule jamais une de- mande dans un endroit où il n’y a pas d’offre, réplique Jean-Louis Touraine. S’il y a aujourd’hui quelques centaines de patients français qui vont en Belgique (pour être euthanasiés, NDLR), c’est qu’ils y trouvent un service qui n’est pas fait en France. » « Ce n’est pas un service ! », bondit Stéphane Bourez, cadre infirmier et troisième soignant participant à la rencontre.

Si les participants à cette réunion emploient les mêmes mots, ils ne leur donnent pas la même signification. Quand il entend parler de soignants qui plai- dent pour un accompagnement jusqu’au bout de la vie, Jean- Louis Touraine répond : « Nous sommes au service des malades. »

Quand on oppose à Marion Broucke la nécessité pour la société de répondre à la demande de certains d’en finir, l’infirmière réagit : « La société se doit de soulager les malades. Et un malade qui demande l’euthanasie, c’est un malade qui souffre. » « La loi ne prendra jamais en compte tous les cas », argumente Marie- Noëlle Belloir alors que la réu- nion s’achève. « Et celle que nous avons aujourd’hui nous oblige à cheminer avec le patient pour sa- voir ce qu’il veut ou non. Si vous autorisez l’euthanasie, j’ai peur que les équipes baissent trop vite les bras parce que cette solution sera ouverte… »

 

Que dit la loi ? La dernière loi sur la fin de vie, dite Claeys- Leonetti, date du 2 février 2016. Elle prévoit notamment un « droit à la sédation pro- fonde et continue », c’est-à-dire à être plongé dans un sommeil artificiel, pour les personnes dont le pronostic vital est en- gagé à court terme, et elle rend contraignantes les « directives anticipées », par lesquelles chacun peut faire connaître son refus d’un acharnement thérapeutique.

Qu’est-ce qui pourrait changer ? La fin de vie n’est, pour l’ins- tant, pas incluse dans les lois de bioéthique qui doivent être révisées à l’automne. Mais les partisans de l’euthanasie ont déposé plusieurs propositions de loi levant dans certains cas l’interdit de tuer.

 

 

Loup Besmond de Senneville