La découverte du rôle essentiel de l’épigénétique dans le cancer du pancréas, ses caractéristiques, son agressivité et son pronostic, ouvre des perspectives contre certaines tumeurs agressives.

 

Dans un travail publié dans le journal Nature Communications, le Dr Juan Iovanna (Inserm) et ses collègues du Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM) et de l’Institut Paoli-Calmettes (IPC), en étroite collaboration avec le projet Carte d’identité des tumeurs (CIT) de La Ligue nationale de lutte contre le cancer, l’Université de Wisconsin et la Mayo Clinic aux États-Unis, décrit une analyse intégrative multifactorielle à l’échelle complète du génome des modifications épigénétiques qui caractérisent l’hétérogénéité des tumeurs pancréatiques.

Avec moins de 5 % de survie à 5 ans, le cancer du pancréas affiche les plus sombres pronostics de tous les cancers. A ce jour, la chirurgie reste le meilleur traitement possible pour les 15 à 20 % de patients dont la tumeur est opérable, mais des métastases malignes apparaissent fréquemment après l’opération. La chimiothérapie et la radiothérapie ne sont que faiblement efficaces.

Comme les autres cancers, le cancer du pancréas résulte de la combinaison de facteurs génétiques, épigénétiques (des modifications biochimiques du génome d’ADN) et environnementaux, qui provoquent des profils très hétérogènes de la maladie, de symptômes, de prédisposition à la formation de métastases, et surtout de réponses aux traitements.
De fait, il faut pouvoir distinguer différents types de patients en fonction du profil d’agressivité de leurs tumeurs et de leur susceptible réponse aux traitements disponibles.

Labellisée par la Ligue nationale contre le cancer, l’équipe Inserm du Dr Iovanna a généré une « banque » d’environ 200 tumeurs pancréatiques humaines (PDAC) vivantes, sous forme de xénogreffes chez la souris et des cellules issues de ces tumeurs. Ces modèles reproduisent fidèlement les caractéristiques des tumeurs chez le patient, notamment l’existence de 2 sous-groupes bien distincts avec un profil d’agressivité très contrasté.

L’équipe a ensuite conduit sur les tumeurs des patients xénogreffés toute une série d’analyses « omiques », c’est-à-dire à l’échelle de l’ensemble du génome, des modifications dites épigénétiques, des modifications chimiques de l’ADN, telles que l’apposition de résidus de méthyl sur l’ADN (méthylation de l’ADN) ou sur les protéines qui compactent l’ADN (marques sur les histones), des sites d’occupation par des facteurs de régulation des séquences de l’ADN qui contrôlent l’expression des gènes, et de l’expression génique globale.

Ce profilage a révélé que bien que les mutations génétiques soient indispensables à l’apparition des tumeurs, elles ne conditionnent en rien l’évolution de la maladie. Alors, partant de mutations identiques, comment sont régulées l’agressivité et la réponse aux traitements ?

Deux cellules d’un même organisme, contenant le même matériel génétique, peuvent être aussi différentes qu’une cellule du cerveau et une cellule de la peau. Cette variation est contrôlée par des mécanismes épigénétiques. Ainsi, le comportement de deux tumeurs pancréatiques ayant les mêmes anomalies génétiques, pourrait être contrôlé par l’épigénétique. L’équipe a alors cartographié tous les signes épigénétiques à l’échelle du génome complet et mesuré simultanément l’expression de tous les gènes d’une cohorte de tumeurs pancréatiques. Une analyse bio-informatique intégrative et très approfondie a confirmé que les tumeurs du pancréas sont contrôlées au niveau de l’épigénome. De plus, les caractéristiques épigénétiques observées sont cohérentes avec les modifications de l’expression d’oncogènes responsables du développement de tumeurs pancréatiques ; les modifications épigénétiques contribuent donc au développement et/ou au maintien du potentiel carcinogène des tumeurs.

Surtout, Juan Iovanna et ses collègues fournissent dans leur article la preuve de concept qu’un traitement pharmacologique ciblant les modifications épigénétiques pourrait modifier les caractéristiques des tumeurs les plus agressives pour les rendre moins agressives, et de meilleur pronostic. Ainsi, manipuler l’épigénome des cancers pancréatiques pourrait transformer une tumeur résistante en une tumeur sensible aux traitements, et la guérir.

Des modifications épigénétiques dans des zones précises du génome pourront servir de biomarqueurs pour affiner le diagnostic, le suivi du patient, et pour identifier le traitement le plus adapté à un patient donné. Enfin, cette étude laisse envisager le traitement du cancer du pancréas par des épi-drogues (des médicaments qui affectent les modifications épigénétiques) dont certaines font déjà l’objet d’essais cliniques et/ou d’autorisations pour d’autres maladies.

Références :
DISTINCT EPIGENETIC LANDSCAPES UNDERLIE THE PATHOBIOLOGY OF PANCREATIC CANCER SUBTYPES
Gwen Lomberk, Yuna Blum, Rémy Nicolle, Asha Nair, Krutika Satish Gaonkar, Laetitia Marisa, Angela Mathison, Zhifu Sun, Huihuang Yan, Nabila Elarouci, Lucile Armenoult, Mira Ayadi, Tamas Ordog, Jeong-Heon Lee, Gavin Oliver, Eric Klee, Vincent Moutardier, Odile Gayet, Benjamin Bian, Pauline Duconseil, Marine Gilabert, Martin Bigonnet, Stephane Garcia, Olivier Turrini, Jean-Robert Delpero, Marc Giovannini, Philippe Grandval, Mohamed Gasmi, Veronique Secq, Aurélien De Reyniès, Nelson Dusetti, Juan Iovanna, Raul Urrutia

Nature Communications, 2018, doi:10.1038/s41467-018-04383-6

https://www.nature.com/articles/s41467-018-04383-6