Pour comprendre le variant indien une note d’éclairage du Conseil scientifique COVID-19 a été remis le 23 avril 2021 aux autorités intitulée « situation épidémiologique en inde : le variant B.1.617 ». Dans cette note, le Conseil scientifique souhaite alerter les autorités sanitaires sur les trois points suivants : la situation sanitaire critique dans certaines régions de l’Inde, le variant 1.617 dit « indien », la crainte d’une reprise de l’épidémie dans un nombre limité de pays d’Asie du Sud-Est.

Depuis apparition des variants de la Covid-19 en décembre 2020, le Conseil scientifique a produit plusieurs notes ou avis. La plupart ont été consacrés au variant anglais et à ses conséquences sur la crise sanitaire en France et en Plus récemment, deux notes d’alerte ont été consacrées aux variants Sud-Africain et au variant brésilien. C’est désormais au tour de la situation catastrophique en inde afin de comprendre le variant indien et de réagir de manière idoine.

SITUATION SANITAIRE CRITIQUE DANS CERTAINES RÉGIONS DE L’INDE

Dans cet immense pays (1,3 Milliards d’habitants) avec une population très jeune, la situation sanitaire semble hétérogène selon les états, avec des données épidémiologiques difficiles à rassembler.

Cependant, depuis quelques semaines, on observe une reprise épidémique très forte, voire critique, avec un impact majeur sur le système de santé dans plusieurs états incluant de très grandes métropoles. Les Indiens sont admis dans les hôpitaux à un rythme sans précédent. A New Delhi, la situation est très grave et inquiétante avec plus de 30 000 contaminations par jour et une saturation du système de soins (manque de lits et d’oxygène). Il s’agit d’une deuxième vague massive, concomitante à la mise en évidence d’un nouveau variant B.1.617 (dit variant indien) dans l’état de Maharashtra (Mumbai) (voir plus loin) alors que le variant anglais est très présent, notamment dans le nord du pays (Delhi). Un confinement d’une semaine a finalement été mis en place le 16 avril 2021, après plusieurs semaines sans prise de décision politique.

En dehors de l’état de Delhi, d’autres états sont également touchés. L’Inde a enregistré le 21 avril dernier, 315 000 nouveaux cas et 2 000 décès en 24H, avec plus de 185 000 décès depuis le début de l’épidémie (chiffre très probablement sous-estimé).

L’Inde sort d’une période électorale avec de très nombreux rassemblements qui ne sont pas interdits. Le niveau des mesures de prévention prises parait globalement très faible. Pour des raisons culturelles très fortes incluant les traditions religieuses, les bains de foule dans le Gange lors de certaines fêtes sont jusqu’ici conservés.

Au niveau de la vaccination, 140 millions de doses semblent avoir été administrées, correspondant à environ 9% de la population (1,3 milliard d’habitants !). Les deux vaccins utilisés sont Covishield (vaccin d’Astra Zeneca produit en Inde par le Serum Institute of India) et Covaxin, vaccin inactivé manufacturé par Bharat Biotech.

La première vague en Inde avait fait l’objet d’un confinement très strict de mars à mai 2020 suivi d’une phase d’expansion de l’épidémie de mai à septembre 2020, avant un reflux d’octobre 2020 à février 2021. Les conséquences sanitaires mais aussi économiques et sociétales avaient été multiples. Bien que le bilan humain en termes de mortalité de la première vague semble avoir été limité, les plus de 60 ans représentant moins de 10% de la population, plusieurs enquêtes sérologiques en population rapportent des prévalences de l’ordre de 50% en zone urbaine, notamment à Mumbai et Delhi. La deuxième vague observée actuellement semble liée à plusieurs facteurs : difficultés à maintenir dans le temps les mesures de prévention, et apparition du variant UK avec un niveau majoré de transmission.

COMPRENDRE LE VARIANT INDIEN

Dans ce contexte de circulation virale élevée a été mis en évidence un nouveau variant indien (B.1.617) dont le lien de causalité avec cette 2ème vague n’est pas encore prouvé. Ce variant est présent dans l’état de Maharashtra, où se trouve Mumbai, mais est peu retrouvé ailleurs, et notamment dans l’état de Delhi où l’épidémie semble la plus active, et où le variant anglais (B.1.1.7.) représente de 50% à 80% des virus séquencés.

1.    DÉTECTION DU VARIANT B.1.617 EN INDE

Ce variant indien (B.1.617)  a été isolé la première fois en octobre 2020 près de Nagpur (état du Maharashtra comprenant Bombay). Sa prévalence actuelle est difficile à chiffrer, et le manque de données épidémiologiques corrélées aux résultats virologiques de séquençage moléculaire à une large échelle incite à une certaine prudence. Un effort majeur est en cours au niveau du pays pour optimiser le réseau de laboratoires pouvant effectuer des séquençages et un suivi génomique. Parmi les autres variants, le variant anglais est dominant, en particulier dans la région de Delhi, après des premiers cas importés fin décembre 2020.

Au niveau international, le variant est considéré comme « en investigation » et pas encore comme « VOC » ou « Variant of concern ».

2.    LE VARIANT INDIEN EST-IL PLUS DANGEREUX ?

Le variant indien B.1.617 est différent des variants anglais, sud-africain et brésilien, mais aussi du variant B.1.427/9 dit « californien ». En effet, le variant B.1.617 a 15 modifications sur des aminoacides différents sauf 2 communes avec d’autres variants qui se situent dans le RBD de la protéine Spike (zone critique pour la liaison au récepteur et la neutralisation par les anticorps).

  • L452R : est identique à celle du variant californien
  • E484Q : la majorité des variants of concern (VOC) présente une mutation E484K avec un changement de polarité qui est donc en partie différente

La combinaison de ces deux mutations déjà connues mais non-associées jusqu’ici (d’où le nom inapproprié de « double mutant ») pourrait conférer au variant B.1.617 une transmission augmentée mais ceci reste à prouver au plan épidémiologique.

Le variant B.1.617 porte d’autres mutations dans les protéines structurales type enzyme de réplication NSP ou protéines accessoires type ORF.

D’autres variants différents du B.1.617 ont été isolés en Inde récemment dans un contexte de circulation virale très élevée dont on ne connait pas la signification. Rappelons que le variant majoritaire jusqu’ici est le variant anglais.

3.    LE VARIANT INDIEN AU PLAN INTERNATIONAL

  • On ne connait pas la situation au Bangladesh ni au Pakistan où l’épidémie ne semble pas avoir repris.
  • A ce jour, 104 cas de variants 1.617 ont été récemment isolés en Angleterre, 4 en Écosse, mais aussi en Belgique et en Allemagne, secondaires à des retours de voyages en Inde, alors même que le niveau de circulation virale est très limité en Grande-Bretagne actuellement après un confinement strict et une campagne vaccinale très active avec le vaccin AstraZeneca. La Grande Bretagne a classé l’Inde en zone rouge.
  • Le variant a également été identifié aux États-Unis en Australie et au Canada en nombre jusqu’ici très limité.

4.    SENSIBILITÉ AUX ANTICORPS NEUTRALISANTS ET AUX VACCINS

Aucune donnée solide n’est disponible. La mutation L452R pourrait diminuer la sensibilité de ce variant aux anticorps. La mutation E484Q est proche mais différente de la mutation E484K qui facilite un échappement partiel aux vaccins. On peut donc s’attendre à une efficacité vaccinale conservée mais diminuée. Les premières données indiennes avec les deux vaccins décrits plus haut semblent aller dans ce sens.

Ce variant B.1.617 dit « indien » se rapprocherait donc des autres VOC déjà connus sans qu’on ne puisse prévoir son niveau de transmission par rapport au variant anglais par exemple.

                UNE POSSIBLE REPRISE DE L’EPIDEMIE EN ASIE ?

L’épidémie est actuellement en train de repartir de façon active dans plusieurs pays d’Asie, très différents par leur situation géographique et climatique, leur culture, mais également par leur système de santé et leur historique vis-à-vis du COVID-19.

  1. AU JAPON

En raison de la reprise de l’épidémie, un état d’urgence sanitaire ainsi que de nouvelles mesures strictes ont été instaurés dans plusieurs départements dont Tokyo et Osaka.

Le Japon a été relativement peu touché par l’épidémie de COVID, bien qu’il possède la population la plus âgée au monde, en raison globalement d’une culture ancienne acquise sur les mesures barrières.

Le pic de 6 000 nouvelles contaminations a été observé au 11 janvier 2021. On observe une reprise récente probablement liée au variant UK avec 5 300 cas par jour au 21 avril 2021. Le précédent pic est peut-être en passe d’être atteint compte tenu de la hausse très rapide du nombre de nouvelles contaminations (voir la figure ci-dessus).

Au niveau de la vaccination, seulement environ 1% de la population japonaise a reçu au moins une dose de vaccin Pfizer.

2.    AU CAMBODGE

 De façon un peu inattendue compte tenu du niveau du système de santé en général, l’épidémie avait été jusqu’à présent très bien contrôlée par la stratégie très stricte de « Tester- Tracer-Isoler » en s’appuyant sur un réseau actif de santé publique et le milieu associatif.

Depuis la mi-mars, l’épidémie a repris de façon très marquée à Phnom Penh mais aussi à Sihanoukville, probablement attribuable au non-respect de la quarantaine obligatoire par des voyageurs chinois. Le variant UK est présent au Cambodge.

3.    DANS LE RESTE DE L’ASIE

  • On note une reprise récente de l’épidémie aux Philippines depuis début mars avec un pic des nouvelles contaminations atteint mi-avril. Des mesures de contrôle, notamment un confinement dans certaines régions et de restrictions aux frontières ont été

·       Par contre, la situation sanitaire reste calme et contrôlée dans de très nombreux pays : Corée du Sud, Vietnam, Thaïlande, Singapour, Malaisie et bien sûr en Chine.

En résumé, la situation en Asie du Sud-Est demande à être regardée avec attention, sans qu’on puisse parler d’une reprise globale de l’épidémie (en dehors de l’Inde).

 

  1. Il existe une crise sanitaire majeure dans certains états de l’Inde, en lien avec le variant anglais dans l’état de Delhi, et partiellement avec le variant 1.617 dans l’état de Maharashtra. Plusieurs questions sont non-résolues sur les propriétés de ce variant : niveau de transmission, létalité, sensibilité vis-à-vis des vaccins disponibles…
  2. Certains pays d’Asie sont actuellement touchés par une nouvelle vague de la pandémie COVID-19. Ce point est donc à suivre avec un intérêt particulier dans les semaines qui Les raisons de cette reprise épidémique sont multifactorielles et pas seulement expliquées par un nouveau variant.
  3. Fin avril 2021, après 14 mois de pandémie, on peut faire les constats suivants :
    • La pandémie reste mondiale ;
    • Plusieurs VOC sont apparus avec un nombre limité de mutations plus ou moins partagées sur la protéine Spike ;
    • Dans plusieurs régions du monde (Europe, Amérique du Sud, Afrique du Sud et peut-être Inde), la reprise de la pandémie correspondrait avec l’arrivée d’un nouveau variant alors même que les populations étaient déjà en partie immunisées par une première vague suggérant la possibilité d’un échappement immunitaire ;
    • Ces phénomènes ont été observés avant que les campagnes vaccinales aient atteintes un niveau
  4. D’un point de vue géopolitique et sanitaire et en simplifiant à gros traits, le monde pourrait être divisé en 4 grandes zones :
    • États-Unis et Europe avec une pandémie en partie contrôlée et l’accès très large aux
    • Amérique du Sud avec une épidémie en pleine extension due au variant BR-P1 et un accès intermédiaire aux
    • Asie du Sud une épidémie critique en Inde avec un variant particulier B.1.617 et peut-être avec une reprise de l’épidémie dans quelques pays (Japon, Cambodge, Philippines, Laos…).
    • Afrique sub-saharienne, pour l’instant zone partiellement protégée avec une population très jeune en dehors de l’Afrique du Sud.

Bibliographie :

  1. Discussion with Shekhar Mande, Director General of CSIR Council of Scientific & Industrial Research (equivalent CNRS), Rama Swami Bansal, Head of International Relations at CSIR India, Rakesh Mishra, Director of CSIR-CCMB Centre for Cellular and Molecular Biology, Anurag Agrawal, Director of CSIR-IGIB Institute of Genomics & Integrated Biology, Srini Kaveri, CNRS Representative in India and NK Arora, Chair Covid sub-committee of NTAGI about the current situation of Covid-19 in India
  2. Malani A et al. Seroprevalence of SARS-CoV-2 in slums versus non-slums in Mumbai, Lancet Global Health 2021;e110-1. https://doi.org/10.1016/ S2214- 109X(20)30467-8
  3. Mohanan M   et      Prevalence   of   SARS-CoV-2   in   Karnataka,   India.   Jama 2021 ;325 :1001-3
  4. Banaji Notes on Delhi’s COVID-19 seroprevalence surveys : estimating prevalence, infection detection, and naive infection fatality rate. Middlesex University London. http://maths.mdx.ac.uk/research/modelling-the-covid-19- pandemic/delhiwaningantibodiesnotes/
  5. Goswami Delhi’s 5th sero survey: Over 56% people have antibodies against Covid-
  6. Hindustan Times. https://www.hindustantimes.com/cities/delhi-news/delhis-5th- sero-survey-over-56-people-have-antibodies-against-covid19- 101612264534349.html
  7. Xianding Deng et Transmission, infectivity, and neutralization of a spike L452R SARS- CoV-2 variant Published:April 20, 2021DOI:https://doi.org/10.1016/j.cell.2021.04.025
  8. Salwa Naushin et al. Insights from a Pan India Sero-Epidemiological survey (Phenome- India Cohort) for SARS-CoV2. eLife 2021;10:e66537 DOI: 7554/eLife.66537

 

Remerciements au Professeur Pierre-Marie Girard, Directeur du réseau international de l’Institut Pasteur, et au Professeur Jean-Michel Pawlotsky, virologue à l’AP-HP.