Les fake news pullulent sur le net. Afin d’y voir plus clair Les Entreprises du Médicaments (LEEM) viennent de publier un livre blanc pour comprendre et lutter contre les fake news. Extrait.

QU’EST-CE QU’UN FAKE NEWS ?

Pour interpréter correctement ce phénomène, envisageons-le sous différents angles.

Stéphane Le Bras, historien, rectifie une erreur de traduction : une fake news n’est pas une « fausse » nouvelle (i.e. inexacte), car alors l’appellation anglaise serait false news. Il nous éclaire sur la vraie traduction : « nouvelle falsifiée » ou « nouvelle forgée ». Il s’agit d’un procédé de « désinformation« , plus ou moins viral, mais toujours construit, dans le but de manipuler un individu ou un groupe d’individus.

L’étymologie nous donne une indication précieuse : une fake news est une nouvelle falsifiée, forgée, construite, délibérément faussée. Littéralement, les fake news sont donc des nouvelles truquées ou des informations fabriquées de toutes pièces (Faillet, 2018, p. 17). Il y a intentionnalité.

Si la question de l’intentionnalité est fondamentale pour juger de la qualité première d’une fake news, il est très compliqué d’en identifier l’initiateur, d’autant qu’à partir d’un certain moment, elle est propagée par des personnes de bonne foi.

Nous entrons dans une zone grise. Ce que laisse entendre la distinction entre désinformation et mésinformation.

Différence entre fake news et désinformation

La désinformation consiste, en usant de tous moyens, à induire l’autre en erreur ou à favoriser chez lui la subversion dans le dessein de l’affaiblir(12). Elle poursuit un but frauduleux lorsqu’elle affirme que la cocaïne et le cannabis protègent contre la Covid-19. Il y a intention de nuire. La mésinformation résulte d’un manque de rigueur intellectuelle et/ou de connaissances sur un sujet donné. Croire que manger de l’ail prévient l’infection due au coronavirus est une idée reçue. Il n’y a pas intention de nuire. Le Rapport 2018 sur l’information en ligne du Reuters Institute for Journalism de l’Université d’Oxford (Newman, 2018) élargit la notion de désinformation : de fausses nouvelles inventées et relayées par les médias sociaux (Facebook, Twitter, Youtube, etc.) à diverses pratiques informatives qui englobent les carences du journalisme.

Bruits, rumeurs et fausses nouvelles

Stéphane Le Bras précise que la notion de désinformation est polysémique. Il l’assimile à un triptyque variant suivant la puissance des impacts : le bruit, la rumeur, la fausse nouvelle.

« Bruits, rumeurs et fausses nouvelles sont donc différentes facettes d’un même phénomène qui est celui de la circulation d’une information dans l’espace public dont on peine à cerner les contours, mais dont l’objectif est – directement ou indirectement, volontairement ou non, pour escroquer ou poursuivre un but honorable – celui de désinformer. » (Le Bras, 2018)

La frontière entre l’information et l’infox ne se laisse pas aisément cerner, si l’on a en tête la dynamique propre à la recherche scientifique, en perpétuelle refonte. Sylvie Fainzang(13) cite Jean Dausset, l’immunologue français prix Nobel de physiologie ou médecine en 1980 : « Les vérités d’un jour peuvent être renversées le lendemain. »

La popularisation de la notion de fake news a pour dommage collatéral de dénaturer le sens de l’incertitude propre à la marche de la science. Par définition, l’expertise scientifique est évolutive, le savoir temporaire, les vérités médicales statistiques, les normes de l’Evidence based medicine (EBM) continûment réactualisées. Ces incertitudes inquiètent notre besoin de certitude.

De quelle maladie les fake news sont-elles le symptôme ?

Amos Tversky, décédé en 1996 et Daniel Kahneman, prix d’économie en 2002 montrent que les raisonnements et  les  conclusions des individus s’éloignent souvent de ce que donnerait un raisonnement rationnel.

Voici une liste non exhaustive de ces biais :le biais de symétrie (on constate que X entraîne Y et on en déduit faussement que Y entraîne X) ;

l’erreur de confirmation (on cherche les éléments qui confirment une hypothèse et pas ceux qui l’infirment) ;

– la négligence du taux de base (face à un pourcentage, on néglige la taille de l’échantillon) ;

– le biais de disponibilité (on tire une conclusion en fonction des exemples équivalents qu’on a à l’esprit et qui sont aisément disponibles);

– le biais de représentativité (on juge un cas particulier à partir d’un cas plus général) ;

– l’heuristique d’ancrage (on anticipe sur le futur en reportant linéairement les valeurs passées).

Pour prévenir les épidémies de crédulité sur le web, l’esprit critique sera enseigné et exercé, avec méthode, à l’école, à l’université. La recommandation est précieuse car nous sommes tous crédules (Dominique Cardon, France Inter, le 21 juin 2019).

Ce qui dupe l’esprit

  • Systématisons la liste de ces biais :
  • Dans un marché dérégulé de l’information, la mise en concurrence généralisée des idées est propice à l’éclosion d’une démocratie des crédules.
  • L’avarice cognitive : en situation de concurrence, on optera pour la proposition qui produit le plus d’effet cognitif possible pour le moindre effort
  • La démagogie oriente les attentes vers la satisfaction _ pour le cerveau, les fake news sont des sucreries –, plutôt que vers la recherche de la vérité qui exige un effort de compréhension.
  • Les fake news sont le fait de minorités actives dont

la motivation est forte. Elles empilent les arguments, formant un millefeuille argumentatif. L’effet de masse peut intimider les indécis et les conduire à la crédulité.

  • Notre propension à surestimer notre compétence ou connaissance d’un sujet, cet excès de confiance est connu sous le nom d’effet de Dunning-Kruger.
  • Autre biais, celui qui nous rend si incompétents à bien juger des phénomènes aléatoires. La négligence de la taille de l’échantillon est une tentation mentale de portée très générale. Nous sommes enclins à penser que plusieurs faits coïncidant ne sauraient être l’expression du L’illustre la réplique de Lino Ventura dans Les barbouzes de Georges Lautner, 1964 : « Un barbu c’est un barbu, trois barbus c’est des barbouzes. »

LE RÔLE DES MÉDIAS

La confiance dans le traitement de l’actualité en France est désormais la plus faible d’Europe : 24 % en 2019 contre 35 % en 2018, les auteurs de ce rapport incriminent la couverture des manifestations des Gilets jaunes. La confiance dans la chaîne d’information continue BFM TV est tombée de 5,9 (2018) à 4,9 (2019) sur une échelle de dix points, devenant ainsi la source jugée la moins fiable de la liste étudiée. Quant aux médias sociaux (crédités d’un score de confiance de seulement 14 %), ils sont accusés de diffuser les théories du complot. Sont dénoncés les biais et le filtrage algorithmique.

C’est dire l’importance de l’éducation aux médias – à tous les médias, internet restant l’une des principales sources de l’information des Français (Cf. le 33e Baromètre de confiance dans les médias réalisé par Kantar pour le journal La Croix.

Les médias de la santé

Le désintérêt des médias pour la santé (hors crise sanitaire). Ce que confirme la répartition des sujets abordés dans le journal télévisé de TF1 pendant le troisième trimestre 2018 : société (18 %), économie (15 %), sport (13 %), catastrophes (10 %) – santé (4 %), les pourcentages indiquent la part de ces catégories par rapport au nombre total de sujets.

Les analyses convergent vers une même idée : les médias traditionnels ont un rôle central dans la lutte contre les fake news

  • Parce que la fiabilité accordée aux médias traditionnels (radio-télévision et presse écrite) est un peu plus élevée que celle accordée aux nouveaux médias
  • Parce qu’en relayant une fake news, les médias traditionnels en multiplient l’impact.
  • Parce que les caractéristiques de l’espace médiatique français potentialisent son action dans la lutte contre les fake news.

Si les médias ne politisent pas vraiment la santé (dans le sens noble du mot politique : art, manière de diriger, en vue du bien commun, toutes les activités d’une société), ils seraient tentés de faire commerce avec les notions de développement personnel et de bien-être. Ne prêtent-ils pas le flanc aux fake news quand ils cèdent à l’attrait des recettes sur le bonheur et des fiches santé sur le bien- être, dont Chantal Gatignol(75) relève la part croissante dans les signalements donnés à la Miviludes ?

  •  Vaccins

La couverture vaccinale a reculé, après qu’un lien fallacieux a été établi entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme. Malgré son efficacité avérée, la vaccination en général ne bénéficie plus d’une adhésion universelle de la part de la population, en France plus que partout ailleurs.

  • Sanitaire

Face à la flambée de contrevérités sur les réseaux sociaux pendant la pandémie de Covid-19(3), Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a mis en garde contre la menace d’une infodémie(4), un terme que récuse Sylvie Fainzang(5), anthropologue, directrice de recherche à l’Inserm, car ce qui pose problème, ce n’est pas l’épidémie d’informations (qui elle, est une bonne nouvelle pour la démocratie), mais l’épidémie de fausses informations.

  • Économique

L’impact des fake news sur l’économie mondiale serait estimé à 78 milliards de dollars par an.

  • Démocratique

Sur une échelle de 0 (pas du tout confiance) à 10 (tout à fait confiance), acteurs du secteur de la santé est mieux écoutée, le gouvernement français  n’obtient pas la moyenne.

  •  Médiatique

L’Institut  Montaigne  relève  quatre  facteurs d’évolution de l’espace médiatique, dont celui-ci : les   conversationnel qui, via les effets de réseau et de viralité, déborde plus fréquemment sur l’espace médiatique.

Quels sont les publics les plus exposés aux fake news ?

Il y a des publics plus sensibles aux fake news, socialement, économiquement, culturellement fragilisés. Et plus encore quand la maladie et la douleur creusent les vulnérabilités et ensemencent un terreau fertile pour les fomenteurs de fake news. Comment concilier les points de vue ? En étant plus précis.

« L’esprit critique est une façon de négocier intellectuellement avec le monde. Exercer son esprit critique, c’est apprendre d’abord à se méfier de ses intuitions. Notre raisonnement peut s’égarer de bien des façons. Nous n’accédons pas toujours à l’information adéquate pour bien juger en raison de la position que nous occupons dans l’espace social, des groupes que nous fréquentons, que ce soit dans la vraie vie ou sur internet. Cette information, nous ne l’évaluons jamais tout à fait de façon neutre, car nos cadres culturels l’organisent à notre insu. »

La notion de cadre culturel trouve un écho dans l’analyse de Sylvie Fainzang : c’est une chose que d’acquiescer à une information fausse parce qu’elle confirme ce que l’on pense déjà, c’en est une autre que de le faire parce qu’elle s’inscrit à l’intérieur d’un système de pensée cohérent avec cette information. « Pour certains observateurs, personne ne serait à l’abri des fake news.

Une affirmation fausse peut parfois séduire des individus éduqués, soit parce qu’elle confirme ce qu’ils pensent déjà, –soit parce qu’elle s’inscrit à l’intérieur d’un système de pensée cohérent avec cette information, ce qui est un peu différent. Le jugement critique s’apprend. Une élite n’est pas forcément instruite et entraînée à l’esprit critique : les personnes les plus instruites dans un domaine particulier n’ont pas nécessairement la formation nécessaire pour développer un sens critique. D’ailleurs les médecins qui reprennent certains discours diffusés dans la sphère sociale sur les génériques ou sur les vaccins ne sont pas les mieux armés,  » explique Sylvie Fainfang.

Les 18-24 ans sont les plus exposés aux fake news

Les 18-24 ans sont exposés, 75 % s’informant auprès de réseaux diffusant des informations provenant de sources non contrôlées(32). Pour autant cette exposition n’impliquerait pas une plus grande soumission aux fake news. Les résultats d’une étude menée en Belgique par des scientifiques de l’Université de Louvain tordent le cou  à cette idée reçue .

La Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires s’attache à un secteur déterminé du public, qui présente des vulnérabilités et des fragilités : notamment les 11 millions d’assurés sociaux en ALD(35), ou affections de longue durée. Le point fait par Chantal Gatignol  recoupe celui de Sylvie Fainzang. « Il y a aussi les malades chroniques, qui souvent supportent mal leurs traitements, très désireux de pouvoir en essayer d’autres, et qui sont les proies privilégiées des discours fallacieux concernant les médicaments. »

Et si la principale raison était ailleurs ? Caroline Faillet pointe le défaut de maîtrise du web par les sachants, quand les compétences numériques des auteurs de fake news sont avérées : Je redoute davantage la déconnexion de nos élites que l’irrationalité des foules.

En braquant la réflexion sur l’attitude longtemps hautaine des sachants vis-à-vis du web et les guerres digitales perdues, révolution après révolution, Caroline Faillet oriente l’action dans d’autres directions. Celle pointée par Chantal Gatignol lorsque, répondant à la question « Que faire ? », elle invite les experts et les autorités sanitaires à s’approprier les outils numériques pour contrer la désinformation.

S’adapter à la culture numérique, préparer un matériel de communication virale pour battre en brèche les fake news, c’est aussi la conclusion à laquelle aboutit Dominique Boullier, professeur des universités en sociologie, Sciences Po-USPC, à l’issue d’un tout autre chemin de pensée.

Mettre en place une communication virale pour lutter contre les théories du complot

Si la propagation du virus et la propagation des gestes barrières entrent en compétition, que les news et les fake news se diffusent selon un modèle de viralité, ne faut-il pas alors développer une communication virale ? Intervenir sur le terrain même des fabricants de fake news, les  combattre avec leurs propres armes ?

« Dès lors, il convient de préparer un matériel de communication virale à la hauteur du défi, en misant là aussi sur des images-chocs qui ne vaccinent pas, certes, et qui ont le défaut d’exploiter encore les mêmes processus de réactivité, d’alerte qui inhibent la réflexion. Mais à l’heure des réseaux sociaux, il serait naïf de croire que la compétition des propagations peut s’appuyer seulement sur les discours institutionnels, sur les émissions de télé pédagogiques, toutes choses nécessaires mais souvent les seuls formats qu’on retrouve sur ces chaînes d’information continue qui ne produisent que des discours répétitifs soi-disant légitimes mais désormais soumis à la vive concurrence des experts ordinaires que chacun prétend être ».

Des membres du Lab Médicament et Société suivent cette stratégie qui juge contre-productive la moquerie et adopte la façon de communiquer de la personne emmurée dans ses croyances, même s’il lui sera difficile de reconnaître qu’elle s’est trompée, tant le coût psychologique est élevé. Des recommandations que nous verrons plus tard reflètent cette conviction.

« « La Terre à plat » : vol au-dessus d’un nid de complotistes tristes », titrait un article du journal Le Monde daté du 6 mars 2019, consacré au documentaire américain de Daniel J. Clark parti à la rencontre des platistes, persuadés que la Terre n’est pas ronde. Leurs croyances feraient un monde qui étanche une soif de sociabilité et comble les solitudes.

« Avec beaucoup de subtilité et un soupçon de tendresse, la caméra du réalisateur Daniel J. Clark suit les péripéties d’un petit groupe de platistes dans leurs tentatives pour dévoiler le complot mondial qu’ils pensent avoir découvert. Et le spectateur découvre bientôt que, derrière les tentatives d’expériences scientifiques que lancent ces true believers, leurs discours enflammés sur le grand complot et leur détestation de la NASA, c’est avant tout un sentiment d’appartenance que cherchent les adeptes de la Terre plate*. »

Une théorie du complot peut être démontée sur le plan argumentatif sans perdre son efficacité auprès du public. Plutôt que de s’attacher aux seuls mécanismes cérébraux qui dissipent l’esprit et font le lit de la crédulité, des chercheurs explorent  ce  que  révèle le phénomène des fake news. Ce n’est pas méconnaître les foyers mal intentionnés de la manipulation, mais lire dans ces rhétoriques de la conspiration une tentative d’adaptation de la raison humaine à un monde complexe, un besoin de donner aux événements un sens unique et rassurant (Ferry, 2010).

Les fake news constituent-elle  un risque pour la démocratie [sanitaire] ?

Rapportée à la santé, la question s’inscrit dans un contexte qui semble tenir du paradoxe : d’un côté, l’importance existentielle d’un sujet (la maladie, la douleur, la mort, l’accès aux soins, etc.), de l’autre, l’évitement politique, notoirement en période électorale, du moins dans la société d’avant la Covid-19. Si la transparence peut exercer une sorte de tyrannie, la clarté, elle, est indispensable à la vie démocratique. D’où cette salve d’interrogations, et d’abord sur internet :

Internet menace-t-il –la démocratie ?

« Parmi les explications possibles, on peut faire l’hypothèse qu’il y a une forme d’apprentissage collectif qui se met progressivement en place. Les internautes se rendent compte qu’on ne fait pas que lire et voir sur les réseaux sociaux. Quand on « like », on produit un signal, qui va avoir un effet sur les algorithmes des plate- formes. Il y a donc une coresponsabilité partagée entre tous dans notre rapport à l’information. C’est toujours le cas avec le numérique : on découvre d’un coup un problème qui nous pète à la gueule et on apprend ensuite la solution. Ceci étant, cet apprentissage ne concerne qu’une partie du public et il est très loin d’être accompli », d’après Étienne Klein  

Sylvie Fainzang distingue internet, qui peut favoriser la démocratie, de son usage (éventuellement délictueux) qui peut la menacer. Elle ajoute qu’une société a besoin de règles pour fonctionner, internet aussi. Une société sans contrôle social et sans régulation serait tout aussi dangereuse pour la démocratie.

Les lobbys menacent-ils la démocratie sanitaire ?

Sous-entendu : quand ils argumentent contre les propositions de santé publique, qu’ils donnent pour vrai ce que l’on sait être faux – impunément. L’industrie du tabac a déployé des efforts pendant des décennies pour instiller l’idée fausse qu’il n’existe pas d’effet démontré du tabac sur la santé.

Attention à ne pas amalgamer les lanceurs d’alerte aux propagateurs de fake news

Il est important ne pas tomber dans le piège qui consiste à assimiler les lanceurs d’alerte aux propagateurs de fake news. Il y a un danger à associer les deux, car cela revient à discréditer des gens, souvent des chercheurs, qui jouent un rôle important dans la société, et rappelle le rôle décisif qu’ils ont pu jouer par exemple dans l’alerte sur la diffusion du coronavirus lancée par le docteur Li Wenliang qui, accusé de propager des rumeurs, a été muselé et censuré.

Le fact-checking est un moyen de lutter contre les fake news,  parmi d’autres

Lors d’un entretien donné au journal Le Monde, le sociologue Dominique Cardon répond à la question suivante : la vérification de l’information est-elle vouée à l’échec ?

« Non, la vérification est essentielle, dans le sens où elle a des effets sur le débat public, notamment parce qu’elle touche des journalistes et des influenceurs. Que des mécanismes de contrôle mutuel des faits s’exercent au sein du champ journalistique central est très important. Mais beaucoup d’études montrent par ailleurs que le fact-checking n’intéresse que certaines sphères du public, et n’agit pas sur tout le monde. Et il ne faut pas surestimer l’influence des médias non plus. »

Comparativement aux États-Unis, si la France est plutôt épargnée, c’est en partie parce qu’il y a une forte centralisation de la formation des journalistes et des médias à Paris, qu’à l’intérieur de cet espace professionnel. le jeu des critiques mutuelles régule les informations, qu’il en préserve la qualité et donc fait un pare-feu contre     l’incendie des fake news. Si internet accélère la propagation des infox, il ne les crée pas (cf. Sylvie Fainzang). Il n’y a pas de fatalité digitale. L’effet d’entraînement de la technologie numérique est subordonné au contexte économique et socioculturel (français, américain), et non l’inverse.

« La polarisation de l’espace médiatique américain s’observe sur un axe politique horizontal opposant la gauche et la droite ; elle s’opère à l’intérieur de l’espace médiatique traditionnel. La polarisation de l’espace médiatique français s’observe sur un axe vertical opposant les institutionnels à ceux que l’on pourrait considérer « anti-élites » ; elle ne s’opère pas à l’intérieur de l’espace médiatique traditionnel(«

Conjuguée au travail des journalistes, autorégulé au sein d’un espace professionnel plutôt concentré, cette polarisation verticale de l’espace médiatique français développerait une critique qui contiendrait le cours  des fake news dans le lit des médias sociaux. C’est dire l’importance des médias traditionnels dans la lutte contre les infox, d’autant que, comme l’a indiqué Bruno Rougier, grande peut être la tentation d’entrer dans la zone grise.

L’expansion des revues prédatrices

Une quinzaine de médias internationaux, dont la Norddeutscher Rundfunk, la Süddeutsche Zeitung, The New Yorker, l’Aftenposten, Le Monde, ont enquêté sur l’ampleur et l’impact de ce phénomène : la fausse science, la science  contrefaite.

« Le savoir, lui non plus, n’échappe pas à la contrefaçon. La part prise par la « fausse science » dans la production scientifique mondiale augmente de manière considérable depuis une dizaine d’années et aucun signe de pause ne semble poindre à l’horizon.»

Le nombre de ces revues prédatrices ne cesserait de croître, environ 10 000. Recensées dans l’index de grandes  bases de données scientifiques, elles abuseront les administrations publiques, les entreprises, voire les institutions scientifiques elles-mêmes.

« Ces revues douteuses relaient parfois, en leur donnant le lustre de la scientificité, des « travaux » climatosceptiques, antivaccins, ou encore de fausses études cliniques vantant les mérites de faux médicaments. Selon des estimations récentes, cette production représente jusqu’à 2 % à 3 % de l’index de certaines grandes bases de données de la littérature savante. C’est six fois plus qu’il y a cinq ans. »

La banalisation des mots fake news et fake science au risque de discréditer la science

Comme la propagation de l’information faussée, celle de la science faussée est un problème en soi. Attention toutefois à ce que la banalisation du terme fake science ne jette indûment l’opprobre sur la science et la recherche). Le risque serait que l’expression fake science ne soit retournée contre les chercheurs, qu’elle soit utilisée à l’avenir envers tous les chercheurs dont les résultats scientifiques déplaisent. Et ce, même lorsque les journaux prédateurs auront disparu depuis longtemps.

Les médias face aux faux experts

Le crédit accordé aux chercheurs et aux scientifiques en matière d’informations livrées sur le coronavirus, était de 6,8 sur une échelle allant de 0 (pas du tout confiance) à 10 (tout à fait confiance), quand le crédit accordé aux médias était de 4,1. Or, la revalorisation de la parole scientifique engage la responsabilité des médias, surtout quand ils donnent la parole à de faux experts.

FAKE NEWS ET CORONAVIRUS

Aux origines de l’épidémie :

le virus a été créé pour réaliser du profit

  • Les scénarios se multiplient, ils s’entrecroisent au gré des complicités imaginées entre les laboratoires pharmaceutiques, le départe- ment de la défense des États-Unis, l’Institut Pasteur,
  • Le 17 mars 2020, sur Facebook, une vidéo impute l’origine du coronavirus à un labo- ratoire chinois basé à Wuhan. Un homme l’affirme, il brandit un brevet déposé en 2004 où figure notamment le nom de l’Institut
  • Il s’agit d’un projet de vaccin déposé à l’époque contre le Sars-CoV-1, actif en Extrême-Orient dès 2002 et que l’Institut Pasteur avait étudié. Ce dernier apporte un démenti formel le 18 mars 2020 : le brevet de 2004 décrit la découverte du virus puis l’invention d’une stratégie vaccinale contre ce virus, et NON l’invention du virus lui-même.
  • À l’origine de la vidéo, un membre du mouvement des Gilets jaunes qui tente de discréditer l’action du Gouvernement, des agences, des instituts de recherche.

Fake news vecteurs de préjugés racistes

  • Vue plus de 28 millions de fois, une vidéo montre un marché chinois censément à l’origine de la Covid-19 : des animaux morts ou vivants et en cages – chauves-souris, rats, serpents, chiens, etc. Le commentaire associé à ces images : Ce ne serait pas le premier virus qui se transmet de l’animal à l’homme, c’est pour ça que nous avons des mesures d’hygiène on n’est pas des hommes des cavernes.
  • Grâce à une recherche d’image inversée, l’AFP établit qu’il s’agit d’une vidéo postée sur YouTube le 19 juillet 2019, du marché de Langowan, dans la province de Sulawesi, le nord de l’Indonésie.

Remèdes miracles contre la Covid-19

Au détriment des bonnes pratiques (des gestes barrières)

  • Idées reçues, réinterprétées pendant la crise : les virus ne résistant pas à la chaleur, il est recommandé de prendre un bain chaud, d’utiliser les sèche-mains. Aliment miracle, l’ail prévient l’infection. On se lavera les mains avec de l’urine d’enfant. Seules les personnes âgées sont touchées, les jeunes sont immunisés et ne peuvent en aucun cas développer une forme grave de la Covid-19.

 

  • Buts poursuivis et moyens vantés : économique (rincer les poignées de porte avec de l’huile de sésame, les lampes de désinfection à ultraviolets tuent le virus, le cannabis et la cocaïne protègent contre le virus) et politique ou idéologique (les solutions hydro- alcooliques sont cancérigènes).

Au détriment du bon usage du médicament

  • Confusion d’usages. Les antibiotiques sont jugés efficaces contre le coronavirus, quand ils le sont contre une bactérie et non contre des

 

  • Confusion des idées. Un laboratoire anglais propose 4000 € à qui accepte qu’on lui inocule le coronavirus. L’affirmation est un cas d’école. Elle entretient l’idée que les entreprises du médicament sont à l’origine du virus pour réaliser du profit. Ces patients sont volontaires, ils ont consenti à cet essai, qui s’inscrit dans le cadre des recherches sur la Covid-19, selon la revue en ligne European pharmaceutical manufacturer. Au vrai on leur inocule des souches du coronavirus nommées OC43 et 229E, répandues depuis des années, ne provoquant que des troubles respiratoires.

Lectures fallacieuses de la gestion de la crise sanitaire

  • Minimiser la gravité de la situation. Le 3 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé explique que le coronavirus a un taux de mortalité de 3,4 %. Invité à commenter ce chiffre, Donald Trump affirme qu’il s’agit d’une fake news et qu’aller au travail ne présente aucun problème.

 

  • Falsifier la réalité de l’épidémie. Trois exemples (janvier 2020). Sur Snapchat, des captures d’écran affichent un faux tweet de BFMTV prétendant que plusieurs cas de coronavirus ont été transférés à l’hôpital d’Argenteuil. Autre message alarmiste, le virus a été détecté dans le lycée Joliot-Curie entraînant sa L’académie de Reims dément formellement cette information et tient à rassurer les familles. Une fausse dépêche portant le logo de l’AFP et du ministère de la Santé affirme qu’un premier cas a été détecté à Aix-les-Bains.

NE PAS TOMBER DANS LE PIÈGE DES FAKE NEWS

  • Collaboration inédite entre ces protagonistes pour limiter la propagation des fake news, coordonnée par le service interministériel d’information

 

  • Sur Twitter, le #Coronavirus privilégie le compte du Gouvernement et le site officiel dédié. Twitter précise Suivez en temps réel des informations de sources fiables et officielles.

 

  • Facebook dégrade la visibilité des fake news n’ayant pas un impact direct sur la santé, au plus bas du fil d’actualité de l’utilisateur. Objectif : réduire de 80 % leur viralité.

 

  • Si l’internaute souhaite partager un contenu estampillé faux, un Warning l’en informe. Si le partage intervient avant l’alerte, Facebook lui adresse un fact checking, a posteriori.
    • Collaborer avec les experts et les gouvernements pour élargir rapidement les connaissances scientifiques sur ce nouveau virus, suivre la propagation et la virulence du virus, et donner des conseils aux pays et aux individus sur les mesures à prendre pour protéger la santé

Réponses de l’Organisation mondiale de la santé

  • Déclarer la guerre à l’infodémie, l’épidémie d’informations (cf. Sylvie Fainzang sur la critique de cette notion).Google entend faciliter l’accès aux informations utiles, l’efficacité du travail à distance, soutenir les efforts humanitaires et les organismes gouvernementaux, faire avancer la recherche et la science.
  • Développer une stratégie de communication inédite via un point presse quasi quotidien, pour prévenir et lutter contre les fake news, un espace dédié au traitement des fake news.
  • Travailler de concert avec Google, Twitter, Facebook, Tencent,..

 

 

 

Extrait du livre blanc du LEEM