Véritable problème de santé publique avec presque 11 000 décès chaque année en France et 220 000 tentatives, le suicide n’est pas une fatalité. 20 ans après une première étude qui a consacré le suicide « grande cause de santé publique », le Conseil économique, social et environnemental plaide pour la poursuite et l’amplification de la prévention du suicide. C’est tout le sens de l’avis confié à Didier Bernus par la section des affaires sociales et de la santé, présidée par François Fondard, intitulé : « Le suicide : plaidoyer pour une prévention active ». Cet avis de la section des affaires sociales et de la santé du CESE, rapporté par Didier Bernus, a été voté ce jour en séance plénière avec : 166 votants ; 123 voix pour ; aucune voix contre et 43 abstentions.
En 2010, le nombre de décès par suicide en France s’élevait à 10 509, soit une baisse du nombre de décès de 20 % en 25 ans sur la population générale, et de 50 % chez les adolescents. Les programmes nationaux de prévention du suicide, mis en place dans les années 2000, ont contribué à ce résultat. Mais malgré cette évolution encourageante, le taux de décès par suicide en France – 14,7 pour 100 000 habitants en 2010, reste élevé au regard de la moyenne européenne (10,2 pour 100 000 habitants).
Pour Didier Bernus, rapporteur de l’avis du CESE, « outre le drame individuel que représente le suicide, il révèle un état de société. La société, son évolution, influe sur les facteurs de risque, minorant certains d’entre eux et en majorant d’autres. Les politiques de prévention doivent donc prendre en compte la dimension multifactorielle du suicide et l’évolution constante des facteurs de risque. » Partant de ce constat, l’avis du CESE préconise le développement d’une prévention active du suicide autour de 6 axes.
Articuler plus étroitement le Plan de prévention du suicide et le Plan psychiatrie et de santé mentale
L’OMS met en avant qu’une majorité de suicides et de crises suicidaires « révèle un diagnostic de désordre mental », dont la dépression fait partie. Le plan psychiatrie et santé mentale intègre la prise en charge de cette pathologie. Il est à déployer en complémentarité du plan de prévention du suicide, pour plus d’efficacité et de cohérence. Surtout, comme le souligne Didier Bernus, rapporteur de l’avis, « il est nécessaire d’attribuer des moyens humains et financiers permettant la mise en oeuvre effective des politiques de prévention. D’autant plus que la situation difficile de la psychiatrie en France, de ses acteurs, de ses relais, fragilise l’action en matière de prévention du suicide et remet en cause de plus en plus souvent des réseaux efficaces.» Le CESE s’inquiète d’ailleurs de la raréfaction préoccupante des structures d’accueil et de prévention du suicide qui sont passées à titre d’exemple en Ile de France, d’une dizaine il y a quelques années à quatre aujourd’hui. 2
Promouvoir les dispositifs d’alerte
« Pour prévenir le passage à l’acte il est essentiel de déceler les prémices d’une crise suicidaire et de donner suite à cette alerte. La sensibilisation des proches et la mobilisation des professionnels est essentielle pour y parvenir » explique Didier Bernus, rapporteur de l’avis. La formation, initiale et continue, de l’ensemble des professionnels de santé et notamment des médecins généralistes au bon usage des psychotropes est par exemple indispensable. Elle doit être renouvelée tous les trois à cinq ans et être inscrite dans les orientations annuelles du développement professionnel continu (DPC). Les acteurs de la médecine scolaire et de la médecine du travail doivent également être en mesure d’intervenir et le CESE, dans son avis, renouvelle sa détermination de voir leurs moyens augmentés. Comme les enseignants, les éducateurs, les agents de pôle emploi ou encore le personnel pénitentiaire, ces derniers font partie des personnes a priori ressources qui doivent être mieux formés à la prévention du suicide.
Prendre en charge la crise suicidaire
« L’accès à des professionnels pendant et après la crise suicidaire est primordial » souligne Didier Bernus. Dans son avis, le CESE recommande de pérenniser et renforcer les structures d’accompagnement psychologique et social et de soins psychiatriques qui sont aujourd’hui fragilisées faute de financement et ne disposent pas d’une réelle capacité de prise en charge et de suivi. Par ailleurs, un accès permanent à un professionnel de santé formé (médecin psychiatre, psychologue, infirmier) doit être généralisé à tous les services d’urgence, le maintien d’un lien (épistolaire ou téléphonique) entre le suicidant et l’hôpital étendu, et les initiatives de soutien (souvent portées par les associations) comme la constitution de groupes d’endeuillés valorisées.
Favoriser un travail en réseau et le pérenniser
« Parmi les nombreuses initiatives locales existantes, l’expérience du centre régional de prévention des conduites suicidaires du Rhône-Alpes offre un bon exemple d’un travail en réseau entre les professionnels de santé et les associations » remarque Didier Bernus. Un tel centre, outre qu’il collecte et la mise à disposition informations, permet de diffuser les bonnes pratiques de repérage, ainsi que les données, auprès des institutions responsables. Le CESE souligne également, dans son avis, le rôle important que jouent les organisations étudiantes et les mouvements de jeunesse dans les actions de prévention, et le rôle de médiation de premier plan que jouent les associations. Toutes ces initiatives devant être soutenues pour une meilleur prévention et prise en charge de la crise suicidaire.
Créer un observatoire national des suicides
Cet observatoire valorisant les résultats de travaux de recherche français et étranger, travaillerait en lien étroit avec des centres territoriaux de prévention du suicide et aurait pour mission d’analyser et de partager les données épidémiologies, cliniques et sociologiques relatives au suicide. La centralisation de ces données et leur homogénéisation, contribuerait à l’identification des facteurs de risque, à l’évaluation des pratiques préventives et permettrait ainsi à un meilleur ciblage des actions de prévention. Structure légère, il réunirait des professionnels (médecins, sociologues, etc.) et travaillerait en lien avec des partenaires comme la Direction générale de la santé, l’Inserm, l’InVS etc. Cet observatoire national prendrait appui sur les acteurs de terrain. Dans les régions qui ne disposent pas encore de centres de ressources dédiés, des structures comme les observatoires régionaux de santé pourraient remplir ce rôle de mutualisation des données régionales. 3
Faire de la prévention du suicide, l’affaire de tous
Le travail est un facteur de prévention du suicide, mais les organisations, le management, les modes de régulation, peuvent aussi dans certains cas générer une souffrance et des risques psychosociaux. Cet avis promeut une meilleure collaboration entre les professionnels de santé et les équipes managériales. Le CESE travaille également sur une saisine sur La prévention des risques psychosociaux. Enfin, comme le souligne Didier Bernus : « au-delà de toutes les actions de prévention active spécifiques à mettre en oeuvre, la prévention du suicide doit aussi devenir l’affaire de tous dans la Cité ». Pour cela, l’avis du CESE préconise d’élever la prévention du suicide au rang de grande cause nationale et de mettre en œuvre une campagne nationale de prévention, sur le modèle de celles pour la sécurité routière qui ont largement fait leurs preuves.