Écrans et développement cognitif de l’enfant : le temps d’exposition n’est pas le seule chose à prendre en compte

Les écrans et leur impact sur le développement cognitif des enfants : une question complexe

L’effet de l’exposition précoce et excessive aux écrans sur le développement cognitif des enfants (ordinateurs, tablettes, télévision) est un sujet de débat parmi les chercheurs. Une équipe dirigée par le chercheur Inserm Jonathan Bernard au sein du Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (Inserm/INRAE/Université Paris Cité/Université Sorbonne Paris Nord) a mené une étude sur près de 14 000 enfants de la cohorte française Elfe, de l’âge de 2 ans à 5 ans et demi. Leur recherche révèle que bien que le temps d’exposition aux écrans soit lié négativement au développement cognitif, psychologique, cérébral car ces relations varie selon les domaines de la cognition et est atténuée en tenant compte du contexte familial pour le développement de l’enfant.

L’étude confirme une corrélation significative entre l’exposition à la télévision pendant les repas en famille et le développement précoce du langage. Ces résultats mettent en lumière l’importance du contexte d’utilisation des écrans en plus du temps d’exposition.

L’exposition chez les enfants (et même chez les bébés !) de l’utilisation des écrans dans notre vie quotidienne soulève la question de l’influence de cette exposition sur le développement des enfants. Bien que la recherche ait principalement porté sur le développement du langage, d’autres aspects cognitifs et l’impact du cadre familial et des activités quotidiennes des enfants restent moins explorés.

L’équipe de recherche dirigée par Jonathan Bernard a tenté de déterminer comment l’utilisation des écrans était associée au développement cognitif chez les jeunes enfants, en prenant en compte divers facteurs sociaux, périnatals, familiaux et de mode de vie. L’étude s’est basée sur les données de près de 14 000 enfants de la cohorte française Elfe, recueillies entre l’âge de 2 ans et 5 ans et demi, de 2013 à 2017.

Contexte familial et utilisation des écrans

Les parents ont rapporté le temps quotidien que leurs enfants passaient devant les écrans à 2, 3,5 et 5,5 ans, ainsi que l’habitude de regarder la télévision pendant les repas en famille à l’âge de 2 ans. De plus, divers facteurs liés au mode de vie et aux activités quotidiennes des enfants ont été pris en compte. L’étude a également évalué le développement du langage à 2 ans, le raisonnement non verbal à 3,5 ans, ainsi que le développement cognitif global à 3,5 ans et 5,5 ans.

L’étude révèle également que, même en excluant le temps d’exposition aux écrans, le simple fait d’avoir la télévision allumée pendant les repas en famille à l’âge de 2 ans (ce qui était le cas pour 41 % des enfants) était lié à des performances linguistiques moins satisfaisantes à cet âge, et ces mêmes enfants présentaient également un développement cognitif global moins favorable à l’âge de 3 ans et demi.

« Cela pourrait s’expliquer par le fait que la télévision, en captant l’attention des membres de la famille, interfère avec la qualité et la quantité des interactions entre les parents et l’enfant. Or, celle-ci est cruciale à cet âge pour l’acquisition du langage », explique Shuai Yang, doctorant et premier auteur de l’étude. Il poursuit : « De plus, la télévision ajoute un fond sonore qui, lorsqu’il se superpose aux discussions familiales, va rendre difficile le déchiffrage des sons pour l’enfant et limiter la compréhension et l’expression verbales. »

L’équipe de recherche a constaté que le nombre d’heures par jour passé devant des écrans à 3,5 ans et 5,5 ans était associé à des scores moins élevés dans le développement cognitif global, en particulier dans les domaines de la motricité fine, de l’habileté, du langage et de l’autonomie. Cependant, lorsque les facteurs liés au mode de vie étaient pris en compte, cette corrélation négative s’atténuait. La stimulation de l’enfant est donc primordial pour les apprentissages.

« Les premières années de vie sont décisives pour le développement cognitif, mais aussi dans la mise en place des habitudes de vie, ajoute Jonathan Bernard. Lorsqu’un enfant utilise un écran excessivement, il le fait au détriment d’autres activités ou interactions sociales essentielles pour son développement. »

« Si nos résultats suggèrent que les effets délétères de l’utilisation des écrans dans la petite enfance présentent un faible impact sur le développement cognitif au niveau individuel et peuvent être compensés dans les années suivantes, ils justifient cependant de rester vigilants à l’échelle de la population. En santé publique, les petits ruisseaux font les grandes rivières », explique Jonathan Bernard.

L’étude bénéficie de sa grande taille d’échantillon et de la prise en compte de divers facteurs sociaux et d’habitudes des enfants. Cependant, davantage de recherches à long terme sont nécessaires pour évaluer l’impact cumulatif de l’exposition aux écrans sur l’éveil et le stade de développement des enfants de la petite enfance à l’adolescence. L’équipe de recherche continue à suivre les enfants de la cohorte Elfe pour approfondir ces questions.