Dans l’affaire Lactalis, foodwatch hausse le ton. Car tous les responsables se refilent le bébé depuis décembre et le scandale reste teinté d’opacité. Aujourd’hui, foodwatch et plusieurs parents déposent donc une plainte qui n’épargne personne une plainte qui n’épargne personne. L’organisation démontre de manière très étayée que tous les acteurs impliqués dans ce scandale alimentaire ont manqué à leurs obligations : fabricant, distributeurs, autorités publiques et laboratoire se sont montrés irresponsables. L’ONG experte des questions d’alimentation a listé 12 infractions graves et exige que les protagonistes rendent enfin des comptes. Pour foodwatch, il ne fait aucun doute que ce scandale sanitaire aurait pu et dû être évité. Notre système défaillant a mis en danger la vie de dizaines de nourrissons en France et dans les 85 autres pays concernés. Cette affaire Lactalis, c’est le scandale de trop.

 

 

Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. C’est ce que démontre, arguments juridiques à l’appui, la plainte déposée ce matin au pôle santé publique du parquet de Paris par le cabinet TTLA au nom de foodwatch et plusieurs parents. L’objectif affiché est clair : éviter que ce scandale sanitaire ne se solde, comme trop souvent, par l’impunité, des zones d’ombre jamais éclaircies ou une molle réaction politique. L’affaire Lactalis, c’est le scandale de trop. Or cela ne doit pas être une fatalité.

« Tout le monde doit respecter la loi. Les législations tant européennes que françaises font peser de nombreuses d’obligations sur tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Producteur, distributeurs, laboratoire et bien sûr autorités publiques ne pouvaient les ignorer. Et pourtant, ils ont fait preuve de négligence, comme en témoignent les douze infractions relevées par foodwatch. Il faut qu’ils rendent des comptes et que cela ne puisse plus arriver ! », précise Karine Jacquemart, directrice de foodwatch.

Les infractions vont de la mise sur le marché d’un produit préjudiciable à la santé à l’inexécution d’une procédure de retrait ou de rappel d’un produit, en passant par la mise en danger d’autrui, l’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, ou encore l’exportation vers un pays tiers à l’Union européenne d’une denrée alimentaire préjudiciable à la santé.

Les dysfonctionnements et défaillances concernent tout le système et tous les acteurs

Le premier responsable dans cette affaire est évidemment Lactalis qui a fait preuve d’amateurisme, aux dires mêmes du Ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Lorsque Lactalis rachète l’entreprise Célia en 2006, elle sait que plus de 140 nourrissons ont été contaminés par une salmonelle logée dans l’usine de Craon un an plus tôt. Pourtant en 2017, le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier, reconnaît qu’il n’est pas exclu que des enfants aient été contaminés par la même bactérie pendant douze ans. L’Institut Pasteur a en effet confirmé qu’il s’agissait de la même souche de salmonelle retrouvée en 2005 et en 2017.

Après Lactalis, la grande distribution porte une lourde part de responsabilité. Les grandes enseignes ont continué de vendre des milliers de produits dangereux malgré les rappels. Nombre des parents qui continuent de rejoindre la plainte de foodwatch avaient d’ailleurs alerté les supermarchés dès le mois de décembre dernier. Vont-ils s’en tirer en toute impunité, comme à chaque scandale ? foodwatch s’inquiète des déclarations de la directrice de la Répression des fraudes (DGCCRF) lors de son audition au Sénat le 23 janvier qui affirmait que les distributeurs avaient fait « amende honorable ». Leur mea culpa ne doit pas faire oublier que c’était complètement illégal.

Les laboratoires sont également mis sur la sellette. Eurofins a effectué les tests d’autocontrôles pour Lactalis et avait l’obligation de communiquer aux autorités tout résultat qui pouvait faire suspecter la présence d’un danger sanitaire de première catégorie. Or on sait que l’usine présentait des traces de salmonelle au moins depuis l’été dernier. Mais on ignore si le préfet de la Mayenne a reçu ces informations afin de prendre les mesures à la hauteur du risque, car il n’a pas daigné répondre au courrier de foodwatch. Le doute persiste donc. Qui, du laboratoire ou du préfet, a failli ?

foodwatch épingle enfin les autorités publiques, qui sont in fine responsables de la protection des citoyens et des consommateurs. Elles ont manqué à leurs obligations en matière de prévention des risques sanitaires, mais aussi dans la gestion particulièrement défaillante de cette crise alimentaire majeure. Des consommateurs ont été trompés et des enfants mis en danger. Et aucun contrôle de la salmonelle dans le lait infantile n’aurait été effectué par nos autorités, selon le Canard enchaîné.

Le président de l’association des familles de victimes du lait contaminé aux salmonelles (AFVLCS), Quentin Guillemain, appelle, comme foodwatch à la totale transparence. Son association déposera ce jeudi 15 février, 30 plaintes supplémentaires contre Lactalis et des enseignes de la grande distribution : « Nous voulons que justice soit faite. Trop de questions restent sans réponse ».

Des sanctions peu dissuasives

Pour foodwatch, cette affaire est d’autant plus scandaleuse qu’elle était évitable. « Les acteurs de cette affaire se sont montrés irresponsables en ne prenant pas leurs obligations plus au sérieux. Rien d’étonnant à cela puisque nous constatons scandale après scandale – viande cheval, œufs au fipronil, etc. -, que ces différents protagonistes semblent échapper à toute sanction. C’est l’un des nœuds du problème : les sanctions devraient être dissuasives et exemplaires », insiste Ingrid Kragl, directrice de l’information de foodwatch.

 

Opacité et impunité : ça suffit !

La plainte de foodwatch pointe du doigt les manquements et les incohérences des uns et des autres. Ainsi, lorsque Lactalis prétend qu’elle n’était pas obligée de faire remonter les informations concernant la présence de salmonelle dans l’usine car elle était « seulement dans l’environnement » et pas dans les produits, foodwatch rétorque que c’est faux. La ligne de défense de Lactalis pour justifier son inaction ne tient pas du tout. Au regard de la loi, Lactalis et le laboratoire avaient bel et bien une obligation de signalement, dès lors qu’ils ont eu connaissance d’éléments permettant de suspecter un danger sanitaire.

foodwatch appelle non seulement à la fin de l’opacité et de l’impunité mais émet également des recommandations politiques très claires pour éviter qu’un tel scandale ne se reproduise : transparence, sanctions, création d’une agence indépendante…

 

Sources :

  • 1 plainte, 12 infractions, 4 cibles : résumé de la plainte déposée par foodwatch et plusieurs parents ce 14 février.
  • foodwatch a lancé une pétition ciblant la grande distribution, qui semble s’en sortir en toute impunité, scandale après scandale
  • 86 pays sont concernés par cette affaire, dont une vingtaine a tardé à être informée. En effet, lorsque le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier, accorde son interview au Journal du Dimanche dans la matinée du 13 janvier, il déclare que 83 pays sont concernés. Pourtant, le système d’alerte européen RASFF et le réseau INFOSAN qui permet à l’Organisation mondiale de la santé de prévenir les pays hors Europe ont confirmé à foodwatch qu’ils n’avaient connaissance à cette date que d’une soixantaine de pays…
  • Audition de Virginie Beaumeunier, directrice de la DGCCRF, au Sénat le 23 janvier.