Alors que l’hôpital traverse une crise, Martin Hirsch va quitter son poste de directeur général de l’AP-HP à la fin du mois. En voici les raisons.
Martin Hirsch va quitter son poste de directeur général de l’AP-HP à la fin du mois, poste qu’il occupait depuis 2013 a-t-il annoncé ce vendredi 17 juin dans un courrier envoyé aux salariés (courrier que vous pourrez retrouver à la fin de l’article).
Martin Hirsch indique être dans l’incapacité de « bâtir, avec vous tous, un modèle hospitalier différent de ce qu’il a été avant (la pandémie de Covid-19), plus proche de nos attentes et de nos ambitions à tous ». « J’ai pensé ne pas pouvoir réunir toutes les conditions pour que cet engagement soit respecté », a-t-il expliqué.
Voici sa lettre
Chère Madame, Cher Monsieur,
Le 15 mars 2020, à l’aube d’une crise considérable, dans le premier d’une longue série quotidienne de messages, je formulais trois vœux : sauver le plus de patients possible ; garder des forces grâce aux soutiens et à la solidarité et « pouvoir bâtir, avec vous tous, un modèle hospitalier différent de ce qu’il a été avant, plus proche de nos attentes et de nos ambitions à tous ».
Si vous avez réalisé les deux premiers vœux, avec un courage dont je me souviendrai toute ma vie, je considère que, bien que nous ayons accompli beaucoup de choses ensemble, nous n’avons pas (encore) réussi à exaucer le troisième : garantir que cela ne reviendrait pas comme avant.
Je n’ai jamais pris d’engagement à la légère et j’ai mis toutes mes forces pour que celui-là aussi soit tenu. C’est parce que j’ai pensé ne pas pouvoir réunir toutes les conditions pour que cet engagement soit respecté que j’ai décidé, il y a un mois, de remettre mon poste de directeur général de l’AP-HP à la disposition du gouvernement. J’avais partagé, quelques semaines plus tôt, ce qui me semblait le plus fondamental pour repartir sur de nouvelles bases et ne pas subir ce qui peut nous freiner, nous empêcher, nous alourdir et aller au-delà de ce que nous avons pu accomplir ensemble, reprenant des idées que j’ai défendues et mises en œuvre depuis plus de 8 ans. Je suis convaincu que beaucoup de maux dont nous souffrons appellent des changements de même ampleur que ceux qui avaient réalisé en 1958, quand l’hôpital universitaire avait été repensé pour lui redonner force, noblesse et attractivité.
Nous avons montré, dans la tempête d’une pandémie, que nous savions travailler autrement, tirer le meilleur parti de nos qualités, mettre de côté nos défauts, faire preuve d’une solidarité sans faille. Il faut maintenant définir un nouveau cadre, fondé sur la confiance et la responsabilité, qui permette d’agir de même, mais par tous temps.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai un rapport passionnel avec l’AP-HP. J’ai été formé à l’AP-HP, j’ai vu mes parents être soignés et mourir à l’AP-HP, mes enfants naître à l’AP-HP, beaucoup d’amis se dévouer et râler en travaillant à l’AP-HP, et j’avais vu, enfant, ma mère se battre pour construire une bibliothèque pour les enfants malades à Garches.
À l’AP-HP, on trouve toujours ce qui fait le plus vibrer : la solidarité, le soin, la transmission, l’innovation, l’assistance, le service public. On y trouve encore aussi ce qui fait le plus rager : les rigidités, les pesanteurs, les rivalités et les égoïsmes, les forces d’inertie, le dénigrement.
Il est parfois trop tentant de céder à certaines facilités : la facilité de vouloir opposer les soignants aux administratifs, les médecins aux autres soignants, qu’il faut absolument cesser de qualifier par la négation de leur être comme des « personnels non médicaux », les universitaires aux « simples » hospitaliers. La facilité de trouver la source de tous nos maux dans les facteurs extérieurs, plus qu’à se remettre en cause. La facilité d’ironiser sur l’institution à laquelle on appartient – comme si on se sacrifiait en y travaillant – plutôt que de la forger comme on voudrait collectivement qu’elle soit.
Je n’ai pas honte de dire que j’aime l’AP-HP et ceux qui la servent. Et c’est pour cela que, depuis que je suis directeur général, j’ai considéré comme mon devoir de dire que l’attachement aux valeurs qui la définissent ne passe pas par la perpétuation d’un modèle ne répondant plus aux aspirations actuelles. Je continue à penser que pour demander plus et mieux, il faut corriger nos propres défauts et nos propres faiblesses. Qu’il est vain de ne penser qu’en termes de moyens sans accepter de prendre des responsabilités aussi dans les transformations, les remises en causes et le changement.
À cet égard, je salue les partenaires sociaux avec lesquels nous avons négocié un projet social dans un esprit constructif forgé dans ce que nous avons vécu ensemble face au COVID19 et les représentants des usagers qui participent désormais activement au directoire.
J’ai pleinement conscience de ce que nombreux sont ceux qui exercent à l’AP-HP et n’ont pas l’impression de pouvoir y exprimer tous leurs talents, de ne pas avoir les conditions de travail qu’ils souhaitent, de se trouver empêché pour donner les meilleurs soins à ceux qui en ont besoin, de ne pas être assez soutenus dans leurs projets et de sentir un décalage entre leurs aspirations les plus profondes et la réalité.
L’AP-HP ira bien quand elle aura réconcilié ses aspirations avec la réalité. Si nous n’avons pas réussi à les réconcilier comme je l’aurais souhaité, j’espère que tous les efforts réalisés et les changements accomplis finiront par porter leurs fruits : que les protocoles de coopération, les pratiques avancées, les programmes de recherche infirmière et les promotions professionnelles que nous avons poussées donneront de vraies possibilités de carrière à de très nombreux paramédicaux ; que la puissance de notre système d’information unique l’emporte sur les difficultés que nous connaissons ; que de l’Hôtel-Dieu à l’hôpital Nord en passant par de multiples projets lancés, nous montrions une modernité au service des patients ; que nos jeunes créations, la fondation et la filiale internationale, apportent à tous de quoi rayonner. Cela suppose aussi, pour l’AP-HP, d’apprendre à être fière de son passé sans sombrer dans la nostalgie, et d’oser dessiner un avenir différent sans avoir peur de renoncer à ce qui pouvait la sécuriser au siècle dernier.
L’AP-HP a des atouts considérables. Il s’en faut de peu pour trouver une orientation positive. Son cœur bat au rythme des projets et nous en avons réalisé ou lancé beaucoup ensemble. Elle représente un ensemble hospitalier incomparable, sait innover, transmettre, inventer, faire preuve de générosité. Elle soigne, elle forme, elle investit, elle cherche, elle publie.
Je suis sûr que vous réserverez le meilleur accueil à celui ou celle qui me succédera après mon départ à la fin de ce mois, qui aura à cœur, je n’en doute pas, de se battre, comme nous l’avons fait, pour la haute conception que nous avons de ce que nous devons aux patients qui nous font confiance.
Merci
Amicalement
Martin Hirsch