Treize organisations représentant 800 000 professionnels de santé ont publié un avis éthique et pratique le 16 février 2023, mettant en garde contre les conséquences d’une éventuelle légalisation de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté. Suite à la remise du rapport ce 2 avril, les professionnels de santé estiment qu’il est urgent de renforcer l’accès aux soins.

(Mise à jour le 3 avril 2023) Alors que la Convention Citoyenne sur la Fin de Vie vient de publier ses conclusions ce 2 avril 2023, treize organisations professionnelles impliquées dans l’accompagnement quotidien des personnes en fin de vie, représentant près d’un million de soignants, ont exprimé leur préoccupation.

Le 2 avril 2023, la Convention Citoyenne sur la fin de vie, composée de 185 citoyens tirés au sort et mise en place sous l’égide du Conseil Économique, Social et Environnemental, a remis ses conclusions au Gouvernement. Les organisations de soignants cosignataires de ce communiqué saluent les propositions en faveur du développement de l’offre de soins pour les personnes en fin de vie, tout en reconnaissant la complexité du sujet et en prenant en compte les propositions du rapport rendu par les parlementaires le 29 mars 2023 dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti.

Tant la Convention Citoyenne que la Mission d’Évaluation Parlementaire ont abouti à la même conclusion : bien que le cadre légal d’accompagnement des personnes en fin de vie réponde à la plupart des situations, sa mise en œuvre est insatisfaisante en raison de carences humaines, matérielles et organisationnelles.

Au cours des 25 dernières années, quatre lois ont été adoptées pour préciser le cadre légal d’accompagnement des personnes en fin de vie, mais leur mise en œuvre n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire. Il est urgent de comprendre pourquoi et d’y remédier pour répondre aux inquiétudes du plus grand nombre et améliorer la vie de nos concitoyens.

Parmi les propositions des citoyens tirés au sort, figure la volonté d’ouvrir une assistance médicale au suicide ou à une forme d’euthanasie sous certaines conditions. Toutefois, les organisations de soignants signataires, représentant 800 000 soignants soit 2/3 des effectifs nationaux, ont déjà exprimé leur opposition à une telle légalisation, rappelant que cela subvertirait la notion même de soin. Elles alertent également sur les conséquences négatives que cela pourrait avoir pour les personnes vulnérables de notre société qui n’ont pas été suffisamment prises en compte dans les réflexions menées.

Les organisations signataires demandent aux pouvoirs publics de mettre en œuvre efficacement la voie française de l’accompagnement, afin de garantir l’égalité d’accès aux soins et l’engagement de non-abandon qui est à la base de la démarche soignante. Cette amélioration doit concerner tous les lieux de vie ou de soins, en renforçant significativement les différentes modalités de prise en charge des personnes en fin de vie. En outre, il est impératif de déployer les soins palliatifs précoces de manière plus intensive, de lutter contre l’obstination déraisonnable et de promouvoir la culture palliative dans la société et parmi les professionnels de la santé.

Ces organisations ont déclaré que les personnes vulnérables pour lesquelles l’impératif d’autonomie est inadapté seront directement menacées si la législation sur l’euthanasie et le suicide assisté est adoptée. Cela inclut les enfants, les personnes dépendantes, les personnes atteintes de troubles psychiatriques ou cognitifs, ainsi que les personnes en situation de grande précarité sociale. De plus, elles ont souligné que les principes déontologiques et législatifs qui encadrent la pratique soignante sont incompatibles avec la mise en œuvre de l’euthanasie et du suicide assisté, qui ne peuvent être considérés comme des soins, sauf à en subvertir fondamentalement la définition.

Déontologie médicale

Le Serment d’Hippocrate ou Serment médical est un texte historique qui constitue le fondement de la déontologie médicale. Depuis plusieurs siècles, sa substance est demeurée constante. En 2012, le Conseil National de l’Ordre des Médecins a actualisé sa rédaction. Le Serment, tel qu’il est aujourd’hui, inclut notamment l’assertion suivante :

“ Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. »

« Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »

Quant aux infirmiers, le code de déontologie est décrit par les articles R4312-20 et R4312-21 :

« L’infirmier a le devoir de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Il a notamment le devoir d’aider le patient dont l’état le requiert à accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Il s’efforce également, dans les circonstances mentionnées aux alinéas précédents, d’accompagner l’entourage du patient.

L’infirmier doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité de la personne soignée et réconforter son entourage.

L’infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort. »

 Le droit des patients en fin de vie

Lorsqu’un patient approche de la fin de sa vie, la déontologie des soins est encadrée par un ensemble de textes législatifs importants, structurés autour de quatre lois principales : la loi du 9 juin 1999, la loi Kouchner du 4 mars 2002, la loi Leonetti du 22 avril 2005 et la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016. Ces lois consacrent trois grands droits des patients qui engagent la responsabilité du personnel soignant :

  1. Assurer le respect de la volonté du patient : les directives anticipées sont renforcées et l’avis de l’entourage proche est pris en compte.

Il est essentiel que l’équipe soignante informe le patient des différentes options thérapeutiques et des modalités de traitement afin qu’il puisse participer activement aux décisions qui le concernent. Dans le cadre des soins palliatifs, une attention particulière est accordée aux répercussions des traitements sur la qualité de vie du patient. Il est donc primordial de permettre au patient de construire sa propre position face à sa maladie, aux traitements et à la vie qu’il souhaite mener. Ces échanges entre le patient et les soignants constituent le fondement de la prise en charge.

Aticle  R4312-13-1 du Code de la Santé Publique :

« L’infirmier met en œuvre le droit de toute personne d’être informé sur son état de santé, dans le respect de ses compétences professionnelles. »

Avec des notions mises en place en 2002 :

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. »

En finir avec l’acharnement thérapeutique

Depuis 2016, l’article R. 4127-37 stipule l’importance primordiale de soulager la souffrance des patients grâce à des moyens appropriés, tout en évitant toute obstination déraisonnable et en ayant la possibilité de renoncer à des traitements inutiles, disproportionnés ou ne faisant qu’artificiellement maintenir la vie.

Afin de nourrir une réflexion collective sur la mise en pratique de ce droit, les organisations impliquées soulignent que, lorsque le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme, les soignants se trouvent fréquemment confrontés à des demandes du patient ou de son entourage qui, si elles étaient immédiatement prises en compte, conduiraient à une obstination déraisonnable.

Dans ce contexte courant, la responsabilité des soignants consiste à écouter, informer et accompagner le patient et son entourage afin de partager et accepter le diagnostic, les options thérapeutiques et de bien comprendre les avantages et les risques de chacune d’entre elles. Ce travail délicat s’appuie sur le principe de proportionnalité, qui conduit les soignants à rechercher la solution la plus adaptée à chaque personne soignée. Dans cette situation de vulnérabilité propre à la personne qui reçoit une annonce difficile, le rôle des soignants est également d’inviter la personne soignée à considérer la qualité de vie plutôt que seulement la durée de vie.

Toutefois, la mission des soignants ne se limite pas à cela. Les connaissances scientifiques et médicales, la créativité, la présence et l’empathie des soignants sont mises au service du confort et du bien-être de la personne soignée. Dans la plupart des équipes interrogées, c’est cet objectif qui unit le collectif soignant autour des patients et de leurs proches, quels que soient le lieu de soins et de vie de ces derniers.

Obligation de tout faire pour soulager la douleur

Les soignants ont pour objectif premier de prévenir et soulager les douleurs et les symptômes d’inconfort en fin de vie. Récemment, les soins palliatifs précoces ont été renforcés pour les maladies incurables graves. Dans ces cas, un traitement étiologique est maintenu pour contrôler la maladie et réduire les souffrances et les handicaps multiples. Si le soulagement optimal ne peut être atteint en maintenant la personne consciente, les soignants peuvent proposer d’augmenter les doses de traitement, en sachant que cela peut entraîner une sédation. Cependant, c’est le patient qui évalue la solution qui lui semble la plus adaptée. La pratique de la sédation pour soulager la douleur repose sur la théorie du double effet, qui est ancrée sur la notion d’intentionnalité. Cette théorie permet aux soignants de tenir leur promesse de soulager la douleur tout en évitant l’obstination déraisonnable et en ne cherchant jamais délibérément à provoquer la mort, conformément à la loi.

Les demandes d’euthanasie

Les professionnels de santé signataires de cet avis font face régulièrement à des demandes de mort formulées par leurs patients. Bien que ce phénomène ne soit pas nouveau, il est important de l’étudier et de le prendre en compte. Les signataires sont tous d’accord sur l’importance d’une écoute active et soutenante de ces demandes, une pratique qui est plus courante aujourd’hui que ce que certains proposent. Cette écoute soignante permet souvent une réévaluation globale de la prise en charge de la personne soignée, conduisant à un réajustement réciproque qui fait disparaître la demande de mort.

Les expériences cliniques et les études sur cette problématique montrent que plusieurs éléments se cachent derrière ces demandes de mort, tels que des symptômes incontrôlés, une détresse morale persistante, une demande d’aide et de reconnaissance de la souffrance, un besoin d’être mieux pris en charge, ainsi que la possibilité de regagner un pouvoir d’action, de transgression et de liberté. Les soignants ont donc le devoir d’écouter et de comprendre ces demandes avec le patient, car la résolution de cette demande « d’en finir » fait partie intégrante du travail réflexif des équipes soignantes.

Permettre aux soignants de répondre à une demande de mort aurait un impact significatif sur la nature de leur mission, comme l’abandon de toute individualisation des soins ou le renoncement à une refonte complexe de la prise en charge du patient au profit d’une solution plus simple. De plus, une majorité de professionnels de santé, notamment les infirmiers, les médecins coordonnateurs d’EHPAD et les professionnels du domicile, soulignent les risques que cette mesure ferait peser sur la motivation individuelle et collective des professionnels de santé engagés dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, quels qu’en soient les aléas.

Administrer une substance létale : une transgression éthique majeure

La prise de décision en matière de gestes médicaux ou d’administration de produits est toujours contextuelle et nécessite une réflexion collective. Par exemple, il peut être décidé d’arrêter un traitement dans l’intention de ne pas prolonger la vie d’un patient dont la situation globale est irréversible. Cette décision est prise après un processus collégial et est encadrée par la loi Leonetti, qui demande d’analyser les bénéfices et les risques de chaque option thérapeutique. En pratique, cela se traduit souvent par un arrêt de traitement, suivi d’une sédation pour soulager les symptômes réfractaires. Cette approche a été bien accueillie par les professionnels de santé.

Respecter ce cadre d’intentionnalité double effet permet également de préserver l’éthique et la santé mentale des professionnels de santé, notamment des infirmières et infirmiers. En effet, ces derniers peuvent être amenés à manipuler et à administrer des produits qui peuvent entraîner la mort si mal utilisés. Il est donc nécessaire de contextualiser ces pratiques et de les aborder collectivement dans le respect des principes déontologiques. La légalisation d’une forme de mort médicalement assistée aurait des conséquences psychologiques et émotionnelles lourdes pour les professionnels de santé qui la pratiquent.

Euthanasie : l’opposition des soignants

Si chaque soignant était obligé de répondre à la demande persistante de mort, les professionnels de santé interrogés refuseraient catégoriquement une démarche euthanasique, notamment les actes de préparation, de mise en place et d’administration d’une substance létale. Actuellement, l’interdiction de donner la mort est non seulement mentionnée dans le Serment d’Hippocrate, mais également dans le Code de la Santé Publique (articles R4127-38 et R4312-21) ainsi que dans le Code Pénal (article 221-1).

Les soignants s’opposent différemment aux procédures de type « suicide assisté », qui excluent notamment l’acte d’administration. Toutefois, il existe un consensus général parmi les soignants selon lequel ces procédures ne peuvent pas être considérées comme des soins et doivent être distinctes de la pratique soignante.

Il incombe au législateur, le cas échéant, de proposer une analyse précise des enjeux au cœur de ce débat à l’opinion publique. Plutôt que d’intégrer un nouvel acte aux traitements et aux soins déjà existants, la légalisation d’une forme de mort médicalement administrée modifierait essentiellement l’éthique soignante en altérant le sens du mot « soin ».

 

Ces treize organisations ont réitéré leur engagement inconditionnel dans l’accompagnement et le soin des personnes en fin de vie. Elles ont appelé le législateur et le gouvernement à garantir l’accès effectif aux soins palliatifs pour tous ceux qui en ont besoin, et à laisser le monde du soin en dehors de tout projet de légalisation d’une forme de mort administrée. Elles ont également souligné l’importance de prioriser la réparation d’un système de santé fortement dégradé, dans lequel les citoyens sont confrontés quotidiennement à des carences inédites de l’offre de soins, telles que les démissions de soignants, les déserts médicaux, les pénuries de médicaments, les déficiences dans le suivi et l’accompagnement des patients, ou encore les fermetures de services hospitaliers.

Les organisations signataires ont invité chacun à ne pas déstabiliser davantage un monde de la santé en grande fragilité.