« Déremboursement de l’homéopathie, une erreur du gouvernement » c’est ce que déclare la Députée Michèle Rivasi. Pour l’autrice de cette tribune*, les études sur lesquelles se fonde cette décision comportent de nombreux biais et lui « rappellent d’autres manipulations scientifiques récentes ».
Attention, granules ! J’ai été interpellée ces dernières semaines sur mon soutien à l’homéopathie. Comment, en tant que scientifique de formation, agrégée de biologie et ancienne Normale sup’, puis-je soutenir une médecine non scientifique, et dont l’inefficacité, scientifiquement prouvée, est devenue indiscutable ? Comme nombre d’entre nous, j’utilise l’homéopathie et j’en suis satisfaite. J’y ai eu notamment recours pour mes animaux, dans ma campagne drômoise, pour une infection soignée ainsi avec succès. Mais je ne suis pas une spécialiste du sujet. J’ai donc décidé de mener l’enquête pour vérifier les arguments poussés par les pro et les anti-homéo. Et j’ai eu la surprise d’y découvrir les mêmes procédés grossiers utilisés pour fabriquer du doute et discréditer les études pointant les risques de maladies environnementales.
Des études prouvent l’efficacité de l’homéopathie
Il est tout d’abord faux d’affirmer qu’il n’existe aucune étude concluant à l’efficacité des médicaments homéopathiques. Des méta-analyses — des études d’études — menées en 1997 sur l’efficacité de l’homéopathie [1] recensaient déjà 200 études.
La méta-analyse du gouvernement australien publiée en 2015 [2] a passé en revue 57 revues d’essais cliniques dans 68 pathologies. Régulièrement mis en avant comme « preuve » de l’inefficacité de l’homéopathie, ce rapport australien présente la particularité de n’être devenu défavorable à l’homéopathie qu’à la suite de la décision de fixer le seuil d’essai statistiquement significatif à 150 patients. Ce seuil statistique, que les experts australiens n’ont pas justifié, fait que des études positives mais comportant moins de 150 patients ont été déclarées négatives.
Ce choix arbitraire, rapporté par la presse, s’accompagne d’autres partis-pris méconnus, comme le fait de seulement analyser les essais publiés en anglais, de ne pas tenir compte des essais positifs reproduits par une même équipe ou encore de ne pas considérer les études montrant l’efficacité de l’homéopathie en situation réelle.
Les résultats obtenus remettent en cause l’explication par le seul effet placebo
Au-delà des études considérées par le rapport australien, d’autres types d’études se sont intéressées, elles, à de possibles effets toxicologiques, biochimiques, allergologiques, immunologiques sur des rats, des souris, des troupeaux ou des plantes [3] [4] [5]. Les résultats obtenus remettent en cause l’explication par le seul effet placebo. Quant à la réalité du contenu des dilutions, des études faites à Strasbourg et en Belgique [6] [7] par résonance magnétique nucléaire ont bien montré qu’il n’y avait pas de l’eau « pure » dans les échantillons analysés. Aucune étude en soi n’est décisive, mais une plongée dans la littérature scientifique homéopathique existante révèle un faisceau d’indices, de signaux distincts d’une absence d’effet ou d’un effet placebo.
L’exclusion a priori et sans réelle justification d’études existantes, publiées dans des revues à comité de lecture et observant des effets, même faibles, permet de conclure à l’absence d’effet… On retient les études négatives, mais pas les positives, en les écartant ou en les critiquant. Il y a là une logique spécieuse. Une logique similaire à celle que j’ai pu rencontrer à plusieurs reprises par le passé, au cours des années 2000 dans le domaine des pollutions électromagnétique. Dès lors que des agences officielles, françaises ou européennes, étaient chargées de faire une évaluation des risques à partir des études existantes, un certain nombre d’entre elles, les plus alarmantes, étaient omises ou laissées de côté.
Également, plus récemment encore, lors de l’évaluation controversée de la dangerosité du glyphosate, où les rapports de l’Agence de sécurité alimentaire européenne ou de l’Agence étasunienne de protection de l’environnement ont conclu à une absence de risque cancérigène, en réfutant les études qui montraient ce risque, tandis que le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé le glyphosate parmi les produits « probablement cancérigènes pour les humains » en 2015, sur le fondement d’une sélection d’études plus étendue.
La volonté d’éradiquer une pensée et des pratiques médicales différentes
Le choix d’écarter ces études « positives », au nom de prétextes statistiques, appliqué a posteriori, s’apparente à une forme de manipulation scientifique. C’est une forme de biais de sélection négatif. Pour y remédier, il faut soit élargir le nombre des études retenues soit revoir les critères de sélection et d’exclusion, afin de mieux coller à la réalité de la littérature scientifique. Soit, enfin, modifier la composition du groupe d’experts faisant l’évaluation.
J’avoue que la violence des attaques et de la controverse autour de l’homéopathie me pose question. Bien que l’industrie homéopathique française, son leader mondial Boiron en tête, ait beau jeu d’utiliser les ficelles du chantage à l’emploi pour défendre le remboursement des remèdes, l’enjeu n’est pas simplement économique.
Les « spécialités homéopathiques » remboursées à hauteur de 30 % n’ont pesé en 2018 que 56,4 millions d’euros sur un total de 19,6 milliards de médicaments remboursés [8]. Soit 0,29 % du total. Une plume dans le matelas des remboursements. Il n’est pas non plus strictement scientifique, on l’a vu, puisque seules certaines études ont été considérées et non leur ensemble. La virulence du débat exprime, à mes yeux, un enjeu idéologique. C’est une guerre de croyances et de conception du monde. L’anathème « fakemed » [« faux médicament »] illustre la volonté d’éradiquer une pensée et des pratiques médicales différentes, plus personnalisées et donc plus humaines, plus proches des gens.
Il y a aussi une sorte de rage, d’acharnement à contester la posture scientifique de l’homéopathie. Une prétention scientifique tellement scandaleuse et inacceptable que les études scientifiques avancées, dès lors qu’elles viennent attester d’un effet, seront tout de même exclues et jugées comme insuffisantes sans réelles justifications. La mécanique des zélotes de la « rigueur scientifique » se pare ainsi d’une logique implacable, puisqu’autoréférente.
Sommes-nous encore dans de la science positiviste ? Ou dans une science biaisée et « négationniste », marquée par un aveuglement sélectif ou soumis à d’autres intérêts ? L’effet d’aubaine idéologique à utiliser l’angle « gestionnaire » du déremboursement pour exclure l’homéopathie de toute forme de reconnaissance ou de légitimité administrative permet par ricochet de réserver l’exclusivité du remboursement à d’autres médicaments « officiels ». Généralement plus coûteux et plus risqués en matière d’effets secondaires.
Le patient sera le premier perdant d’un éventuel déremboursement de l’homéopathie
Le patient sera le premier perdant d’un éventuel déremboursement de l’homéopathie. D’abord parce que cela coûtera un peu plus cher à ses usagers, estimés à 40 % de la population française en 2000 [9], d’autant que les prix des granules augmenteront sans doute pour compenser le manque à gagner. Mais aussi parce que celles et ceux qui se détourneront de l’homéopathie se priveront de remèdes d’une efficacité comparable, voire meilleure dans certains cas que l’allopathie [10] [11] [12], avec moins d’effets secondaires et des conditions d’écoute accrue durant la consultation avec le médecin homéopathe.
La principale crainte des médecins homéopathes est par ailleurs que le déremboursement de l’homéopathie brise le lien ténu existant entre des médecins homéopathes et certains patients pour lesquels ils sont le seul référent médical. Sans médecin homéopathe, ces patients seraient lâchés dans la nature.
De plus, un déremboursement total priverait l’homéopathie de la légitimité d’être enseignée en universités de médecine et vétérinaire. Sans le contrôle des facultés, il n’y aura plus aucun contrôle sur les compétences des praticiens. N’importe qui pourra se dire homéopathe. La pente est dangereuse. C’est au médecin de juger de la meilleure option thérapeutique répondant à la maladie du patient. C’est pourquoi je suis en faveur d’un accès à l’homéopathie dans des conditions médicales sécurisées.
À titre personnel, je reste attachée à la pratique de l’homéopathie et aux principes d’une médecine intégrative, veillant à concilier le meilleur des bénéfices des différentes approches thérapeutiques. Nous devons aussi veiller à cultiver une science ouverte, empirique et non dogmatique, appuyée sur des résultats issus du terrain. Et nous défier d’une science abusivement normative qui, via une « médecine de papiers » par exemple, en suivant ses propres règles et protocoles décidés par consensus de comités d’experts institutionnels ou industriels marqués par l’entre-soi, tendrait à exclure ceux qui ne sont pas issus de la même caste, du même monde.
Sources :
[1] Linde K, Clausius N, Ramirez G, Melchart D, Eiffel E, et al. (1997) Are the clinical effects of homeopathy placebo effects ? A meta-analysis of placebo-controlled trials. Lancet 350(9081) : 834-843.
[2] National Health and Medical Research Council. 2015. Effectiveness of Homeopathy for clinical Conditions : Evaluations of the evidence – Overall Report.
[3] Poitevin B, Survey of immuno-allergological ultra high dilution research. Homeopathy, 2015 ;104:269-276.
[4] Bonamin LV, Cardoso TN, de Carvalho AC, Amaral JG. The use of animal models in homeopathic re-search—a review of 2010–2014 PubMed indexed papers. Homeopathy, 2015 ;104:283–291.
[5] Betti L, Trebbi G, Majewsky V, et al. Use of homeopathic preparations in phytopathological models and in field trials : A critical review. Homeopathy, 2009 ;98:244–266.
[6] Demangeat J-L. Nanosized solvent superstructures in ultramolecular aqueous dilutions : Twenty years’ research using water proton NMR relaxation. Homeopathy, 2013 ; 102:87–105.
[7] Demangeat J.L. Towards a Rational Insight into the Paradox of Homeopathy. Adv Complement Alt Med, 2018 ; 2(2):1-13.
[8] Medic’AM 2018, Données annuelles sur les médicaments remboursés par l’Assurance maladie.
[9] Chiffres Ipsos, Boiron 2004.
[10] Taylor M.A, Reilly D, Llewellyn-Jones R.H, Mc Sharry C, Aitchison T.C, Randomised controlled trial of Homeopathy versus placebo in perennial allergic rhinitis with overview of four trial series. BMJ 2000 ; 321:19-26.
[11] Jacobs J, Jonas WB, Jimenez-Perez M, Crothers D. Homeopathy for childhood diarrhea : combined results and meta-analysis from three randomized, controlled trails. Pediat Infect Dis., 2003 ; 22(3) : 229-34.
[12] Sinha MN, Siddiqui VA, Singh V, Dixit R, Dewan D, Mishra A. Randomized controlled pilot study to compare homeopathy and conventional therapy in acute otitis media. Homeopathy, 2012 ;101:5–12.