Comment mieux comprendre la ou plutôt les mémoires humaines ? Mieux connaître notre mémoire nous permettra de les maintenir vivaces, de les développer. L’historien Denis Pescha et  Sahra Benneg, psychiatre nous répondent dans un formidable échange*.

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Mémoire collective et mémoire individuelle se mêlent, s’entremêlent, interagissent. L’histoire est l’un des premiers facteurs identitaires, indispensable à notre sentiment d’appartenance à un groupe. Il semble pertinent d’analyser comment se construit cette mémoire collective à travers les civilisations et de faire le lien avec la notion de mémoire individuelle, propre à chacun.

La confrontation du point de vue de l’historien et de celui du médecin nous ont permis de mieux cerner cette mémoire collective qui fluctue, évolue.

Est ce que l’augmentation des cas d’Alzheimer –dont le nombre de cas a dépassé les 24 millions dans le monde va avoir un impact sur cette mémoire collective

Comment définir la mémoire collective ?

Denis Pescha -La mémoire sociale ou la mémoire collective c’est la prise en charge par la société d’un  phénomène mémoriel.

Il est impossible vraiment de comprendre ce qui se passe dans la société, dans la mémoire collective, dans la mémoire sociale si on ne prend pas en compte les dynamiques cérébrales de la mémoire. Et toute l’imagerie cérébrale, toute l’imagerie qui s’est développée depuis 15 ans, 20 ans montre qu’il est impossible de comprendre ce qui se passe dans le cerveau si on ne prend pas en compte l’input du social.

Les activations des zones cérébrales observées lors des interactions avec d’autres personnes ont montré que d’une part l’importance dans notre cerveau qui s’active spontanément, c’est ça la chose la plus extraordinaire, lors des rencontres, des conversations et des disputes et on sait maintenant désormais que notre cerveau est en permanence relié au cerveau de ceux qui nous entourent

Sahra Benneg -Donc ce cerveau effectivement est totalement lié à notre mémoire collective.

Comment la mémoire individuelle devient elle collective ?

DP – Pour l’expliquer, il faut chercher les conditions, ce que j’appelle les conditions c’est la mise en récit mémoriel c’est à dire comprendre comment une mémoire qui est une mémoire individuelle passe au statut de mémoire collective.

La place de l’oubli dans la Mémoire Collective?

DP – Je vais vous prendre un exemple. Vous savez tous qu’en mai juin 1940, il y a des choses qui se sont passées, il y a des Allemands qui sont arrivés et ils sont venus quand même assez rapidement. Ca s’est traduit par un phénomène absolument majeur et massif, c’est l’exode qui a touché environ 8 à 10 millions personnes sur une population de 40 millions et vous ajoutez aux 8 à 10 millions ceux qui les ont accueillis. Or, c’est un évènement qui a donc touché tout le monde en France et qui n’a pas de place dans la mémoire collective. Qu’est ce que vous voulez faire avec la peur ? Qu’est ce que vous voulez faire avec la fuite, avec la  honte, vous ne faites rien avec ça. Donc ça veut dire qu’il n’y a pas d’utilité sociale, il n’y a pas de sens.

SB – La mémoire collective ne parvient que par la mémoire individuelle et de la sorte comme on l’avait vu dans le cerveau social, c’est que quand les choses communiquent, ça devient presque un besoin de pouvoir montrer l’histoire, la créer en récit, créant en narration et le fait déjà de commencer quelque part les souvenirs s’estompent, on est amené à créer des musées et c’est à dire le matérialiser par les musées, par des statues, des monuments afin que cette mémoire puisse un petit peu se maintenir par la voie du rappel

DP -L’appropriation du passé pour se construire une identité sociale.

SB -Donc il faut que les mauvais souvenirs s’évacuent en mettant à la place des souvenirs qui peuvent eux fonctionner en équilibre avec les propres valeurs de chacun qui devront être des valeurs collectives, d’une nation, d’un peuple.

Peut-on parler de résilience collective ?

DP- La résilience, phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un raumatisme, à prendre acte de l’événement traumatique pour ne plus vivre dans la dépression et se reconstruire,ne concerne qu’une minorité des personnes traumatisées et il n’y a environ que 18 –20 –22% des personnes qui arrivent à se résilier, première chose, donc et deuxième chose, cela concerne des individus et pas une société, c’est un phénomène individuel et c’est un phénomène qui, deplus, n’est pas systématique.

Comment se construit la mémoire ?

DP- L’oubli est un élément essentiel de la construction de la mémoire. On travaille sur la  2eme génération et le 11 septembre 2001, comme deux éléments de référence.

Il s’avère qu’à Columbia, université américaine et aussi à la New School, encore une université américaine à New-York, ils ont recueilli des témoignages sur le 11 septembre directement après. Et ils ont eu l’intelligence, l’un et l’autre, pour une partie des personnes interrogées de les réinterrogées un an plus tard, 3 ans plus tard et maintenant 10 ans plus tard. C’est d’une richesse extraordinaire parce que ça nous permet d’analyser le phénomène de consolidation, de construction mémorielle. Elle n’est pas modifiée, elle est tout le temps en construction.

La maladie d’Alzheimer met elle la mémoire collective en danger ?

SB -Il n’y a pas de mémoire sans émotion, donc, à chaque fois que des paramètres psychologiques viennent porter atteinte à l’émotion, à l’expression de l’émotion cela peut aussi à la longue jouer sur la mémorisation. Alzheimer soulève une question majeure de notre époque contemporaine concernant le devenir.

 

*Mémoire Collective – Tel était le thème de la Table Ronde Collective qui a eu lieu le 20 juin dernier en présence de Denis Peschanski, Historien, Directeur de recherche au CNRS, Directeur Scientifique de l’Equipement d’Excellence MATRICE (Memory Analysis Tools for Research through International Cooperation and Experimentations), Président des Conseils Scientifiques du Mémorial de Caen et du Mémorial du camp de Rivesaltes, Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires et Sahra Bennegadi, Psychiatre Psychothérapeute, Exerce dans des centres médicaux pluridisciplinaires