Des sociétés savantes jugent préoccupante pour la santé publique et économiquement incohérente la suppression proposée de l’aide médicale d’État (AME). Explications.

La Société de Pathologie Infectieuses (SPILF), la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF), la Société Française de Santé Publique (SFSP), la Société Française de Pédiatrie (SFP) et la Société Française de Médecine d’urgence (SFMU) ont émis un positionnement conjoint concernant la suppression proposée de l’aide médicale d’état (AME). Voici les raisons pour lesquelles ces sociétés médicales s’opposent à cette proposition et les conséquences potentielles sur la santé publique et le système de soins.

Les conséquences préoccupantes pour la santé publique de la  suppression de l’aide médicale d’état

L’aide médicale d’état (AME) est une aide sociale destinée à offrir une prise en charge des soins aux étrangers en situation irrégulière. Instaurée en 2000 pour répondre à l’exclusion des travailleurs sans papiers qui ne peuvent bénéficier d’une couverture sociale de droit commun par l’assurance maladie, elle remplace l’Aide médicale d’urgence précédente.

Impact sur l’accès aux soins et la qualité de vie des populations vulnérables

Un amendement visant à supprimer l’AME au profit d’une aide ne couvrant que les « soins urgents » a été voté au Sénat le 15 mars 2023. Cette proposition va à l’encontre des principes des droits humains qui garantissent le droit à la santé pour tous sur le territoire français et européen. Du point de vue économique, elle est également absurde, car les prises en charge tardives des pathologies à l’hôpital sont particulièrement coûteuses. De plus, cela restreindra l’accès aux soins d’une population déjà vulnérable [1-4]. Il convient de noter que toutes les études démographiques démontrent que l’immigration pour des raisons de santé est minoritaire parmi les motifs de départ des pays d’origine, que notre système de protection sociale est généralement méconnu des migrants et que cette restriction n’aura aucun effet sur les flux migratoires.

Si cet amendement était adopté à l’Assemblée nationale, il limiterait l’accès aux soins primaires, à la prévention et à la prise en charge des pathologies chroniques de la population ciblée, ce qui aurait un impact sur leur santé et leur qualité de vie.

Une charge financière supplémentaire et une surcharge des services de santé

En plus des conséquences en termes de santé, cet amendement, loin de réduire les dépenses, serait coûteux. Il entraînerait une surcharge insupportable des Permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et des Services d’accueil et d’urgences (SAU) déjà saturés. De plus, il solliciterait excessivement les ressources spécialisées (soins spécialisés, hospitalisations et recours aux soins critiques) et prolongerait les durées d’hospitalisation, car il serait impossible de transférer les patients vers des soins de suite et de réadaptation [1-6]. Notre système de santé, épuisé après la crise du Covid-19, n’aurait pas la capacité de supporter les conséquences d’une politique contraire à la santé publique.

En outre, le coût des soins couverts par l’AME et le dispositif des soins urgents et vitaux, bien que significatif, ne représente que 0,4% des dépenses de l’assurance maladie en France, au bénéfice d’une population exposée aux maladies infectieuses transmissibles [7], aux maladies chroniques non transmissibles et à la souffrance psychique, notamment en raison de leurs conditions de migration et de vie [8-9].

Les travaux des économistes de la santé ne concluent pas à une surconsommation de soins inutiles par ces bénéficiaires, mais constatent au contraire une sous-utilisation de ce droit important (49% selon l’enquête Premiers pas, y compris pour les personnes atteintes de maladies chroniques) [10].

Les sociétés savantes rappellent que selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS),

« la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelle que soit sa condition […] économique et sociétale » [8].

Ces associations affirment que si un problème existe, la solution ne peut consister à restreindre l’accès aux soins et appelent solennellement les députés et les sénateurs à ne pas supprimer l’aide médicale d’État, à revenir sur les restrictions qui lui ont été imposées (délais de carence) et à garantir un accès effectif à cette aide essentielle.

 

Sources :

  1. Ganapathi et al. N Engl J Med 2019
  2. Prats-Uribe et al. Eur J Public Health 2020
  3. Guillon et al. EurJ Health Economics 2018
  4. Kraft et J Pédiatr 2009
  5. Allegri C et al. EClinicalMedicine 2022
  6. Cervantes et al. JAMA Intern Med 2018
  7. Vignier et al. Front Public Health. 2022 8- Keith et al. BMJ 2011
  8. https://www.irdes.fr/recherche/2022/qes-266-une-personne-sans-titre-de-sejour-sur-six- souffre-de-troubles-de-stress-post-traumatique-en-france.html
  9. https://www.irdes.fr/recherche/2019/questions-d-economie-de-la-sante.html#n245EN 11- Coristsidis et Am J Kidney Dis 2004
  10. Nandi et J Immigr Minor Health 2009
  11. https://apps.who.int/mediacentre/news/statements/fundamental-human-right/fr/index.html (accédé le 23 Mars 2023)