L’Académie nationale de médecine vient de publier une mise en garde sur les implants cérébraux. Voici ses espoirs et la vigilance qu’elle souhaite.
Les formidables avancées des implants cérébraux
Dans le prolongement du développement, en médecine, de solutions techniques pour pallier les déficiences organiques ou fonctionnelles provisoires ou définitives, des recherches sont en cours, notamment pour traiter ou soulager les malades atteints de maladies neurologiques. Parmi ces voies de recherche, l’activité neuronale, recueillie soit par des microélectrodes implantées dans le cerveau soit par des électrodes placées à la surface du crâne, est utilisée pour commander différents dispositifs externes comme un fauteuil roulant, un bras robotisé ou un exosquelette (1). En 2020, l’Académie nationale de médecine et l’Académie des technologies avaient souligné le développement rapide de ces recherches et les espoirs qui s’y rattachent pour les malades (2).
L’objectif principal des recherches actuelles est d’augmenter considérablement le nombre de neurones reliés par autant de fibres à un micro-processeur afin d’enregistrer et de stimuler l’activité cérébrale pour traiter des maladies neurologiques, comme la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou l’épilepsie, ou étudier l’activité neuronale à des fins de recherche.
L’activité scientifique déployée dans ce domaine a connu une très forte croissance, de moins d’une dizaine de publications par an autour des années 1980, jusqu’à plus de mille publications en 2021 (3), certains travaux récents faisant état de la possibilité d’enregistrer l’activité électrique de milliers de neurones différents dans plusieurs régions du cerveau (4-6).
Défis éthiques
A cette activité de recherche, essentiellement académique, s’ajoute celle d’entreprises de biotechnologie, comme Synchron, Neuralink, Precision Medicine ou Paradromics, pour ne citer que les plus connues. Après autorisation des autorités compétentes, plusieurs ont commencé des implantations chez l’Homme. Synchron (aux Etats-Unis en 2021, puis en Australie sur 4 patients en 2022) a été la première. Neuralink, ayant reçu son autorisation le 26 mai 2023, a ouvert un registre permettant à de potentiels patients de s’inscrire (7). Cette entreprise se prévaut aussi d’expériences concluantes chez les primates. D’une manière générale, ces entreprises mettent en avant, sans toujours les publier dans des revues internationales avec comité de lecture, des progrès technologiques (mise en place par un robot, nombre accru de microélectrodes, miniaturisation, simplification du système de stimulation cérébrale profonde), dont pourrait résulter un meilleur enregistrement de l’activité neuronale et, partant de là, des signaux de commande plus performants pour les dispositifs.
Si la grande majorité des sociétés investissant dans ce domaine vise, semble-t-il, à développer des implants cérébraux à usages strictement médicaux, certains acteurs, comme Neuralink, ne cachent pas leurs ambitions de doter les humains d’implants pouvant augmenter leurs capacités intellectuelles (mémoire, calcul, motivation, créativité, transmission de pensée…), créant ainsi une classe d’êtres humains « augmentés ».
Cette quête d’un transhumanisme est porteuse de risques très importants, comme de créer deux nouvelles catégories d’êtres humains, l’une, dont le comportement, préfiguré par celui de nombreux utilisateurs actuels de réseaux sociaux, pourrait rester sous le contrôle de l’entreprise responsable de l’implant, instaurant une nouvelle forme d’esclavage (8-10), l’autre, disposant de capacités intellectuelles supérieures lui permettant de dominer la population non équipée.
Face aux annonces de mise en place, chez l’Homme, d’implants cérébraux de nouvelle génération, l’Académie nationale de médecine tient à souligner :
– la nécessité que les pouvoirs publics soutiennent ce domaine de recherche porteur d’espoirs pour de nombreux malades souffrant notamment d’affections neurologiques ;
– l’importance que des publications scientifiques étayent les résultats obtenus, y compris chez l’animal et celle d’être vigilants et lucides par rapport aux annonces faites à la presse par les entreprises de biotechnologie ;
– la nécessité que les organismes d’assurance maladie prennent en charge des appareillages efficaces et sûrs pour les malades, mais de coût élevé ;
– l’opportunité d’une réunion internationale au cours de laquelle médecins, scientifiques et politiques débattraient d’un moratoire sur l’utilisation des implants cérébraux destinés à augmenter les capacités intellectuelles des êtres humains en dehors du contexte de maladies, à l’instar de celle tenue à Asilomar en 1975 sur les recombinaisons génétiques (8), et de l’adoption de règles strictes relatives à l’utilisation des données générées à partir de ces implants.
Références
- – Collinger J.L. et al., High-performance neuroprosthetic control by an individual with tetraplegia. The Lancet 2013, 381, 9866 pp 557-56
- – Bioulac B, Jarry B, Ardaillou R., Interfaces cerveau-machines : essais d’applications médicales, technologiques et questions éthiques. Bull Acad Natl Med 2020 ; 205 : 118-129.
- – PubMed avec la requête « neural implants »
- – Burton A., et al., Wireless battery-free and fully implantable electrical neurostimulation in freely moving rodents ; Microsyst Nanoeng, 2021
- – Juska V., et al. Silicon microfabrication technologies for biology integrated advance devices and interfaces. Biosens Bioelectron
- – Obaid A., et al. Massively parallel microwire arrays integrated with cMOS chips for neural recording, Sciences Advances 2020 Vol 6/12
- – https://neuralink.com/patient-registry
- – Galibert F., Le transhumanisme : du rève au cauchemar, Bull Acad Natl Med 2020;204:363—6.
- – Huriet C., Le transhumanisme : un nouvel esclavage, Bull Acad Natl Med 2021;205:1-3.
- – Mattei JF. La médecine est-elle l’alibi du transhumanisme?, In : Questions de conscience- De la génétique au posthumanisme. Paris : Les Liens qui Libèrent, 2017.
[1]Communiqué de la Plateforme de Communication Rapide de l’Académie
Académie nationale de médecine