Fin 2023, une loi européenne va obliger les producteurs de vin à afficher la valeur nutritionnelle et la composition précise de leurs produits, mettant fin à une exemption difficilement justifiable. En revanche, le projet d’imposer le Nutri-score aux bouteilles devrait en rester aux déclarations d’intention – logique au vu de la levée de boucliers contre cet affichage.
Le vin enfin rappelé à l’ordre
Le 8 décembre 2023 verra la fin d’une exception qui durait depuis plus de 40 ans. À cette date, une loi européenne obligera les producteurs de vin à mentionner sur la contre-étiquette de l’ensemble de leurs produits (bouteilles, cubis, vrac…) la liste précise des ingrédients, ainsi qu’un tableau des valeurs nutritionnelles : nombre de calories, quantité de matières grasses, d’acides gras saturés, de glucides, de sucres, de protéines, de sodium, etc. Cette évolution répond notamment à de nombreuses demandes d’associations de consommateurs, qui ne comprenaient pas la persistance d’une exemption difficile à justifier. Il semble en effet logique qu’un acheteur sache précisément ce que contient le produit qu’il souhaite consommer.
Cette exigence de transparence inquiète toutefois de nombreux acteurs du secteur, puisque la nouvelle loi européenne les obligera à révéler tous leurs petits secrets. Ils devront en effet mentionner les différents intrants utilisés lors de la vinification, notamment les sucres ajoutés (saccharose) et les éventuels additifs, comme les conservateurs et autres stabilisateurs. Les vins utilisant des acides exhausteurs de goût, les décriés E334, E330 ou E270, devront également tomber le masque. De quoi fragiliser certains vins (notamment les plus industriels), en particulier auprès des consommateurs soucieux de leur santé.
La filière aura toutefois du temps pour s’adapter, la Commission européenne laissant deux ans aux producteurs pour écouler leurs bouteilles ne disposant pas du fameux étiquetage. Surtout, la liste des ingrédients étant parfois fort longue, les producteurs pourront opter pour un QR Code à flasher. Certains industriels pourront ainsi continuer de dissimuler (partiellement) certains secrets peu avouables. Mais le consommateur avisé pourra toujours préférer une bouteille indiquant clairement qu’elle ne contient pas de produits controversés.
Toutefois, malgré la grogne montant contre cet affichage, les professionnels du vin peuvent s’estimer heureux : l’idée d’étendre le Nutri-score aux boissons alcoolisées, dans les tuyaux début 2022, devrait sans doute rester au fond d’un carton. Elle aurait conduit à apposer sur toutes les bouteilles d’alcool un « F », indiquant un produit « malsain », en plus de la classique notation de A à E pour les valeurs nutritionnelles.
Le Nutri-score, danger pour la filière ?
Lancé en 2017 en France, le Nutri-score n’est pas obligatoire, mais fortement conseillé par les pouvoirs publics. Toutefois, l’idée émise par certains parlementaires européens de l’imposer au vin serait un non-sens, car il n’apporterait rien de plus que les informations nutritionnelles désormais obligatoires. Le Nutri-score pourrait également stigmatiser d’une couleur rouge un vin plus sucré ou plus alcoolisé, alors que ces caractéristiques peuvent justement être celles recherchées par l’acheteur. Cela dit, voir le Nutri-score débarquer sur les bouteilles semble en réalité hautement improbable, tant le nombre de ses partisans diminue, notamment en Europe. Certes, l’Union européenne planche sur un affichage nutritionnel simplifié, mais les risques de voir la norme française choisie semblent désormais bien minces. Le Nutri-score devrait donc davantage reculer dans les rayons, qu’en conquérir de nouveaux.
Plusieurs pays européens – la Grèce, l’Italie, la Hongrie, la Lettonie, Chypre, la République tchèque et la Roumanie – ont par exemple récemment déposé un texte d’opposition devant la Commission européenne. La Roumanie a même été plus loin : le 1er mai 2023, l’Autorité nationale roumaine pour la protection des consommateurs (ANPC) a interdit l’utilisation du logo Nutri-score sur les emballages des produits alimentaires vendus au public.
En Pologne, le vice-premier ministre Henryk Kowalczyk a annoncé, en février 2023, son intention de s’opposer à la généralisation du Nutri-score à l’échelle européenne. De même l’Espagne, pourtant présentée comme favorable à cet affichage, a elle aussi reculé. En octobre 2021, la commission de la santé et de la consommation du Sénat espagnol a ainsi demandé au gouvernement d’arrêter la mise en œuvre du système Nutri-score jusqu’à l’adoption d’un système européen « harmonisé ».
Même en France, pays instigateur du projet, des voix s’élèvent pour critiquer cet affichage. En 2021, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Julien Denormandie, affirmait ainsi qu’il fallait « faire en sorte que la méthodologie elle-même n’en vienne pas à mal noter nos fromages et nos AOP ». En 2022, une quarantaine de députés LR ont déposé un projet de loi pour exclure du Nutri-score les IGP et AOP. L’argumentaire a été repris tout récemment par Carole Delga, présidente PS de la région Occitanie : le 10 juin 2023, elle a ainsi réclamé que « le fromage de Roquefort ainsi que tous les IGP et AOP n’aient plus à afficher le Nutri-score ».
Le risque, pour les producteurs de vin, de se voir stigmatisés par un Nutri-score peu avantageux, ne sera donc bientôt qu’un lointain souvenir.