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Revenir au travail après un cancer… Tel est l’un des enjeux centraux autour duquel s’articulera le 3e plan cancer (2014-2018), qui sera présenté le 4 février prochain lors de la journée mondiale du cancer. Selon une étude de l’Institut Curie*, 8 salariés sur 10 retravaillent après la maladie, la moitié d’entre eux rencontrent des difficultés lors de leur réinsertion professionnelle. Les anciens patients doivent donc être accompagnés pour opérer au mieux cette transition vers le retour à la vie professionnelle.

Cet enseignement a conduit l’Institut Curie à s’engager et œuvrer pour aider les anciens patients dans leur reprise du travail, étape essentielle pour leur reconstruction après la maladie. Pour ce faire, une équipe de l’Institut Curie a élaboré un livret et un dispositif d’accompagnement sur-mesure pour les patients. Il comprend des entretiens psychosociaux qui permettent, entre autre, un « repérage » des problèmes et une orientation vers un coach professionnel qui leur propose soit des entretiens individuels, soit des ateliers pour anticiper les difficultés qu’ils seront amenés à rencontrer lors de leur retour au travail.

Le retour au travail après un cancer, une étape encore mal appréhendée

Chaque année, en France, plus de 350 000 personnes sont touchées par un cancer. 100 000 d’entre elles travaillent. Une situation qui, avec le recul de l’âge du départ en retraite, risque d’être de plus en plus fréquente. Or, le retour au travail est un élément essentiel de la phase de reconstruction du patient. Une étape qui, si elle ne se déroule pas dans les meilleures conditions, peut compromettre la réinsertion socioprofessionnelle sur le long terme.

Pour le Dr Laure Copel, cancérologue au sein du département interdisciplinaire des soins de support à l’Institut Curie, deux risques majeurs se présentent : « Dans certaines situations, l’ancien patient peut retourner au travail sans se rendre compte qu’il garde encore des stigmates de la maladie… avec notamment une fatigabilité intense. Cela peut parfois conduire à un nouvel arrêt de travail ; le patient est alors malheureux de se sentir moins performant qu’avant, voire se culpabiliser si on lui fait sentir qu’il n’a pas été assez courageux. Inversement, d’autres patients se sont bien préparés à leur retour au travail mais ils arrivent dans une entreprise qui, elle, ne l’est pas, et qui leurs fait comprendre qu’elle n’a plus besoin d’eux. Le sentiment d’inutilité ou de mise à l’écart peut également engendrer des dégâts psychiques considérables »

L’étude menée en 2008 par Monique Sévellec, psychosociologue à la Maison des patients et des proches de l’Institut Curie à Saint-Cloud, avec le Dr Bernard Asselain et des médecins du travail, sous l’égide de la Fondation ARC et de l’INCa, révèle en partie ce phénomène. 90 % des patients, traités ou en sortie de traitement à cette période, avaient répondu à ce questionnaire sur le retour au travail, preuve que la question était au cœur de leurs préoccupations. L’étude a révélé que 80 % des patients, qui avaient arrêté leur travail pendant les traitements, reprenaient ensuite leur activité professionnelle. Dans le même temps, 60 % d’entre eux confiaient souffrir encore de fatigue, même un an après la reprise, et avoir du mal à retrouver leur place, à savoir qui ils étaient…

Anne-Laure Grandsir, architecte dans une agence d’une centaine de salariés, ancienne patiente de l’Institut Curie
« Une opération, 5 mois de chimiothérapie, 12 mois de traitement à l’Herceptine, une 2e opération, une radiothérapie… Après les traitements et les soins, j’étais très fatiguée, j’avais des douleurs, des problèmes de mémoire et de concentration. Tant que la maladie se voit (perte des cheveux, teint grisâtre), tout le monde est compréhensif. Mais après la dernière perfusion, les gens ont du mal à comprendre que vous n’êtes tout de suite en état de reprendre… Plus la date théorique de ma reprise approchait, plus j’angoissais à l’idée de reprendre. En même temps, j’avais envie de retrouver une place dans la société et je culpabilisais d’être absente. »
Le dispositif de l’Institut Curie : faciliter la réinsertion professionnelle !

Confrontée à ces résultats, Monique Sévellec, psychosociologue à la Maison des patients et des proches de l’Institut Curie à Saint-Cloud, a conçu un livret, en collaboration avec des médecins du travail et la Caisse régionale d’Assurance Maladie d’Île-de-France (Cramif). Ce document, conçu à partir des récits des salariés recueillis au cours de l’étude, réunit conseils et témoignages pour aider les patients à anticiper les difficultés du retour au travail, à en prendre conscience et trouver les aides disponibles, à demander des aménagements de poste… Il s’adresse également aux employeurs, car le retour d’un travailleur dans de bonnes conditions est un bénéfice pour l’entreprise.

Depuis un an, un dispositif d’accompagnement sur-mesure*** a été également mis en place en collaboration avec Géraldine Deblaye, coach professionnel : « Il n’y a pas de solution unique pour tous : il ne s’agit pas de choisir une voie confortable si elle risque d’être ennuyeuse pour l’ancien malade, ni de lui imposer un projet trop ambitieux qui risque d’aboutir à un échec. Certains n’ont besoin que d’un ou deux entretiens en solo pour vaincre la peur de reprendre, de renouer avec des collègues. D’autres ont besoin d’un travail plus en profondeur », explique-t-elle. Pour ceux qui ont besoin d’un accompagnement plus poussé, la coach a créé une série de 7 ateliers en petits groupes, étalés sur 3 ou 4 mois pendant la période de convalescence, c’est-à-dire quand la personne a fini ses traitements et se remet doucement sur le chemin du travail. « Le travail en groupe permet de se nourrir les uns des autres, dans un cadre confidentiel et de non-jugement concrétisé par une charte signée au début des ateliers », ajoute Monique Sévellec.

Tous les 2 à 3 mois, Monique Sévellec et Géraldine Deblaye co-animent également des réunions d’information, où elles invitent d’anciennes patientes à témoigner sur leur parcours, et un représentant de la Cramif vient aussi rappeler les aides mises en place par l’Assurance Maladie.

Angélique, a repris le travail en janvier 2013 après une année d’arrêt
« Pour moi, il était tout naturel de reprendre le travail après les traitements. Je ne me posais pas de question. Mais les ateliers ont bouleversé mes certitudes. C’est surtout le travail en groupe, les interrogations des autres patients qui m’ont permis de me rendre compte que mes priorités avaient changé. J’ai d’abord repris en temps partiel thérapeutique et maintenant j’ai décidé de travailler à 80 % pour consacrer plus de temps à ma famille et à d’autres activités… »

« On parle d’abord de leurs peurs, de leurs appréhensions, puis on détermine leurs besoins professionnels mais aussi personnels, familiaux, financiers, existentiels… On travaille ensuite sur leurs aspirations, et on valide ensemble la ou les options viables de reprise. Sont-ils capables, ont-ils envie et sont-ils prêts ? » détaille Géraldine Deblaye.

Une réinsertion réussie nécessite la mise en place d’actions coordonnées avec les différents acteurs (salarié, médecin du travail, oncologue, médecin traitant, direction des ressources humaines…). Mieux préparer la réinsertion du patient dans le monde professionnel doit être une priorité de tous pour faciliter sa reconstruction et sa resocialisation après un cancer.

Le retour au travail vu par les Français**
64 % des Français pensent que le cancer est une maladie que l’on guérit de mieux en mieux, et 72 % estiment qu’une personne guérie d’un cancer peut retrouver la même vie qu’avant d’être malade.
Mais paradoxalement, pour 30 % d’entre eux, se réinsérer dans le monde du travail constitue la principale difficulté rencontrée après un cancer, devant la reprise d’une vie sociale (21 %) ou les difficultés psychologiques (21 %).

* Répercussion du cancer sur la vie professionnelle, sous l’égide de la Fondation ARC et l’INCa, réalisée Monique Sevellec, psychosociologue à l’Institut Curie, et le Dr Bernard Asselain, chef du service de Biostatistiques de l’Institut Curie, en collaboration avec 82 médecins du travail, incluant 402 salariés (240 femmes, 162 hommes, âgés en moyenne de 49 ans) d’Ile-de-France, ayant eu un cancer. (in Situation de travail et trajectoires professionnelles des natifs atteints de cancer, rapport de synthèse des recherches de l’appel à projet Fondation ARC et INCa 2006 pp. 47 à 66).
** Résultats du baromètre Cancer Institut Curie Viavoice 2013
*** Le dispositif pilote d’accompagnement a pu exister grâce au mécénat de la fondation Dominique et Tom Alberici.

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