Anxiété, incapacité, isolement… c’est pour contrer les conséquences de la douleur chronique sur la qualité de vie de ses jeunes patients que le Docteur Eric Maupas, spécialiste de Médecine Physique et de Réadaptation au centre de rééducation pédiatrique Paul Dottin – ASEI, a émis en 2018 l’idée d’une prise en charge dédiée. Centré autour des activités physiques et de l’émulation, son but est de redonner confiance et d’accompagner les enfants vers une reprise durable de leurs activités familiales, scolaires et sociales.

La douleur chronique chez l’enfant, un handicap caché

Même traitées ou guéries, certaines lésions ou maladies peuvent provoquer, chez les adultes comme chez les enfants, des douleurs persistantes. La douleur est subjective : elle peut être ressentie de façon extrêmement différente selon les individus, mais aussi chez une même personne selon le moment ou l’environnement. Ces variations s’expliquent par le lien étroit entre la douleur et le contexte psycho-social.

Une douleur est dite chronique lorsqu’elle excède une durée de trois mois. Souvent invisible ou mal comprise, elle inhibe, décourage, déprime, isole et peut mener les enfants qui en souffrent à des incapacités motrices par inhibition du mouvement, à la déscolarisation ou à une coupure sociale. Un constat qui a conduit le Dr Maupas à mettre sur pied un programme unique en France. Adapté à ces enfants douloureux, il est inspiré de ceux imaginés pour les adultes souffrant de lombalgies chroniques.

« Il existe des centres anti-douleur et des consultations spécifiques, mais la douleur chronique ne se soigne pas que par les médicaments. Il faut apprendre à vivre avec elle, et on sait aujourd’hui que cela passe, entre autres, par l’activité et le mouvement. Dans le milieu habituel il est souvent difficile de trouver les ressources pour se réentraîner à l’effort. Ce programme a vocation à les réentraîner dans un cadre dédié avec une équipe pluridisciplinaire», explique le Dr Maupas.

« Nous sommes face à des enfants qui ont souvent une histoire médicale longue et complexe, et qui sont un peu en bout de course sur le parcours de la douleur, précise-t-il. Les traitements antalgiques ne suffisent pas, et les répercussions physiques, familiales ou scolaires de ce handicap caché peuvent être importantes. Notre but est de leur montrer qu’ils peuvent sortir, bouger et faire du sport et que leur qualité de vie s’en trouvera améliorée ».

Un séjour intensif

Le programme « Réadaptation à la douleur chronique » se déroule sur une période de trois semaines. Il accueille environ six fois par an 4 à 6 enfants dont l’âge varie de 8 à 17 ans, et dont l’état médical est stabilisé. Adressés par leur médecin traitant, leur spécialiste ou par leur centre anti-douleur, ils souffrent en majorité de douleurs ostéoarticulaires ou neurologiques persistantes, généralement liées à des pathologies telles que le syndrome d’Ehlers-Danlos ou des syndromes d’hypermobilité douloureuse, des séquelles d’algodystrophie, etc.

Ils sont reçus lors d’une consultation médicale de pré-admission qui permet d’évaluer leur motivation à s’impliquer, apprendre et appliquer de nouvelles stratégies pour gérer leur douleur. « Nous ne leur proposons pas un traitement de la douleur, précise Éric Maupas, mais une adaptation à la douleur. Ils doivent comprendre que le programme va leur apprendre à la gérer et à en diminuer les conséquences, pas à la faire disparaître totalement. »

La prise en charge interdisciplinaire, intensive, collective cherche en priorité à faciliter la réalisation de leurs activités quotidiennes et à améliorer leur qualité de vie. Le rythme est soutenu et si l’équipe mise sur l’effet de groupe pour motiver les enfants, elle propose également des activités personnalisées au cas de chacun.

Ils sont hospitalisés au centre durant tout le séjour, et rentrent chez eux le week-end.

Un programme qui s’appuie sur 4 axes

•  Adapter le traitement médical

L’entrée dans le programme commence par un état des lieux des différents traitements médicaux de l’enfant. Si nécessaire, ils peuvent être modifiés ou réaménagés. Les médicaments anti-douleur ne sont pas supprimés mais peuvent être réajustés selon l’évolution et les besoins de l’enfant.

•  En apprendre plus sur la douleur

Pour impliquer les enfants dans le processus de réadaptation, il est important de faire avec eux le point sur les connaissances médicales qu’ils ont pu glaner au cours de leur parcours, parfois long. Cette phase pédagogique est essentielle car elle permet de recadrer et de contextualiser les informations, de chasser les contre-vérités et de détailler clairement les mécanismes de la douleur. Mieux informés, ils réagissent plus positivement aux efforts demandés pendant le programme.

•  S’entraîner à contrôler la douleur

Les douleurs chroniques sont des douleurs installées, durables. Leur persistance a des conséquences physiques et psychologiques. Elle provoque chez celui qui en souffre des modifications qui vont participer à la douleur. La prise en compte simultanée de toutes les facettes d’une douleur (physiques, psychologiques, familiales, sociales) permet de désamorcer les divers cercles vicieux responsables de sa persistance.

En aidant l’enfant à identifier les facteurs qui impactent sa douleur, en l’amplifiant ou en la diminuant, l’équipe va lui donner des clés qui l’aideront à la gérer. Parmi ces facteurs, la fatigue, la peur, la tension, la dépression, qui l’augmentent; le plaisir, la relaxation, la gaieté, qui la diminuent. « Le but est de lui faire comprendre que sa perception de la douleur varie en fonction de son sentiment de sécurité ou d‘insécurité, et de l’inciter à favoriser tout ce qui va contribuer à renforcer son sentiment de sécurité et diminuer ainsi la douleur, souligne Éric Maupas. Avec lui, nous cherchons à identifier ses « zones de sécurité » comme la musique ou les sorties avec les copains, qui rendent la douleur moins présente ou plus supportable. »

Faire des activités pour augmenter ses capacités

« On leur dit souvent : ne bouge pas, tu vas te faire mal ! Eh bien si, il faut bouger », insiste le médecin. Le mouvement est à la base de toute la réadaptation. On espère ainsi diminuer la sensibilité à la douleur. Les enfants suivent un entraînement physique intense, avec séances de kinésithérapie,     activités     physiques     adaptées, ergothérapie, psychomotricité quotidiennes. Au terme du programme, les enfants doivent pouvoir reprendre l’école, une activité sportive, leurs sorties et leurs activités quotidiennes. Ils doivent pour cela prendre conscience de leur capacité à bouger et de l’importance de le faire. « Réaliser en groupe les exercices chaque jour renforce leur confiance en eux, leur prouve qu’ils sont capables, que la douleur ne doit pas être un frein aux activités qui leur font plaisir. Plus ils font, plus ils pourront faire », ajoute- t-il.

Des bénéfices durables

Des efforts qui portent leurs fruits, même si les effets restent difficilement quantifiables. « Nous revoyons les enfants 6 mois et un an après la fin du programme, explique-t-il. Ce que nous observons globalement, c’est la persistance des résultats : les enfants qui ont participé pleinement au programme et qui en sont repartis plus mobiles, plus actifs, sont ceux qui continuent d’en appliquer les principes, même plusieurs mois après. Ils ont appris à gérer leur douleur, ce qui est notre but. »

 La suite ? « Nous préparons la prochaine session, se félicite Eric Maupas. Nous souhaiterions aussi mettre en place une session pédagogique pour les familles, car un entourage bien informé soutiendra les efforts de l’enfant. A terme l’idéal serait également de formaliser les éléments à transmettre à l’entourage scolaire pour renforcer les stratégies mises en place»