Trois pharmaciens condamnés pour avoir lutté contre les pénuries de médicaments via la dispensation à l’unité. Une décision qui fait débat.

 

Des pharmaciens condamnés pour avoir lutté contre les pénuries de médicaments : c’est la décision prise le 30 avril 2025 par le Conseil Régional de l’Ordre des Pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine (CROP-NA).
Ces professionnels de santé, Eliza Castagné et Antoine Prioux, se sont vu infliger une interdiction d’exercer de six mois, dont quatre avec sursis, pour avoir mis en place la dispensation à l’unité dans leur officine.
Une méthode pourtant reconnue dans plusieurs pays pour limiter le gaspillage, prévenir l’antibiorésistance et garantir l’accès aux soins en contexte de tension d’approvisionnement.

« Cette décision intervient malgré un contexte de pénuries de médicaments, de scandales sanitaires récurrents et de crise écologique », soulignent-ils dans leur communiqué.

Pourquoi ils ont choisi la dispensation à l’unité ?

Les pénuries de médicaments sont en forte hausse en France, avec des conséquences directes sur la qualité des soins. C’est ainsi qu’en 2019, confrontés à une pénurie de cortisone, ces pharmaciens installés sur la Montagne Limousine choisissent d’expérimenter la dispensation à l’unité (DAU) pour ne pas interrompre les traitements de leurs patients.
En 2020, avec l’accord des médecins de leur Maison de Santé Pluriprofessionnelle Universitaire, ils étendent la DAU aux antibiotiques, pour lutter contre l’antibiorésistance.

Lutter contre l’antibiorésistance, éviter le gaspillage

La pratique est ensuite élargie à d’autres médicaments à risque iatrogène, comme les benzodiazépines, somnifères ou antalgiques opioïdes.
L’objectif : réduire les risques d’addiction, de chutes, ou encore de pertes de mémoire chez les personnes âgées.

« Cette mesure permet de soigner mieux, avec moins », expliquent-ils.

La dispensation à l’unité permet aussi d’éviter que des boîtes de médicaments partiellement utilisées ne finissent à la poubelle, ou dans les circuits d’automédication dont les antibiotiques. En effet, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’antibiorésistance est l’un des plus grands dangers pour la santé mondiale.

Un modèle de pharmacie repensé pour le bien commun

« Plus les gens consomment ou gaspillent des médicaments, plus la pharmacie gagne de l’argent. Ce modèle est contre-productif », affirment-ils.

Le modèle économique actuel est remis en cause par ces pharmaciens, qui dénoncent une logique de volume incompatible avec les enjeux de santé publique et de transition écologique.
Ils pointent également une crise d’attractivité de la profession : démotivations, fermetures d’officines, reconversions massives…

En Limousin, un engagement concret pour l’accès aux soins

Depuis 2013, Eliza Castagné et Antoine Prioux œuvrent au sein du pôle de santé MilleSoins, en Limousin.
Dans un territoire rural frappé par le vieillissement, les pathologies chroniques et le recul des services publics, ils agissent pour maintenir un accès aux soins de qualité.

Ils ont notamment :

  • instauré une collaboration renforcée avec les prescripteurs, grâce à l’accès partagé aux dossiers médicaux,

  • développé un logiciel de répartition équitable des produits de santé selon les besoins locaux,

  • contribué aux travaux du Shift Project et de l’Alliance Santé Planétaire,

  • représenté leur maison de santé au sein du réseau AVECsanté, en lien avec l’Assurance Maladie et France Assos Santé.

Ils participent également aux réflexions nationales sur la transformation du système de santé, comme l’a montré l’intervention d’Antoine Prioux lors des journées nationales d’AVECsanté 2024, consacrées à la résilience et à la soutenabilité en soins primaires.

 

Une condamnation contestée, une mobilisation en cours

Pour eux, la condamnation est disproportionnée. La dispensation à l’unité est une mesure déjà adoptée dans plusieurs pays, alignée avec les orientations institutionnelles, les avis d’experts et les attentes citoyennes. De plus, notons que cette approche est loin d’être marginale : la revue Prescrire, reconnue pour son indépendance, défend depuis plusieurs années la dispensation à l’unité comme une mesure de bon sens médical, permettant de mieux adapter les traitements, de réduire les risques d’erreurs et de limiter le gaspillage médicamenteux.

« C’est une mesure de bon sens, à la croisée des enjeux de santé publique, d’écologie et de justice sociale », résument-ils.

Face à cette décision, ils ont fait appel et lancé une pétition de soutien.

Pourquoi ces pharmaciens condamnés reçoivent un large soutien

Signer la pétition
Découvrir leur action

« Il faut sans cesse s’appuyer sur une avant-garde agissante. Il n’y a jamais de consensus préalable à l’innovation. Toute innovation transformatrice est d’abord une déviance » — Edgar Morin, 103 ans.

Leur condamnation soulève des questions fondamentales sur la liberté d’innovation en santé, la responsabilité écologique des professionnels de santé, et le rôle de l’Ordre dans un système en transition.

Ce qu’il faut retenir

  • Des pharmaciens engagés ont été condamnés pour avoir distribué des médicaments à l’unité, hors cadre réglementaire.

  • Cette pratique visait à répondre aux pénuries, réduire le gaspillage, et limiter l’antibiorésistance.

  • Leurs actions s’inscrivent dans une démarche écologique, solidaire et responsable.

  • Une mobilisation citoyenne est en cours pour défendre une autre vision de la pharmacie.

 

 

Sophie Madoun