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L’Agence du médicament (ANSM) refuse d’interdire l’amalgame au mercure dentaire, alors que ce dispositif médical est composé pour moitié de mercure métallique, une substance dont la toxicité est clairement établie. Des alternatives sont pourtant disponibles, remboursées de la même façon que les amalgames. Cette décision représente ainsi une infraction insupportable à la déontologie de l’expertise scientifique. Elle rappelle cruellement la nécessité de mettre en place au plus vite la Commission de déontologie prévue par la loi sur la protection des lanceurs d’alerte.

 

 

L’Agence du médicament (ANSM) a confié début 2014 la rédaction d’une expertise sur le mercure des amalgames dentaires à une équipe de l’Inserm spécialisée en pharmacovigilance [1]. L’association Non Au Mercure Dentaire conteste ces travaux pour deux raisons principales :

  • Les experts retenus font ce qu’ils savent faire, de l’épidémiologie, et refusent de prendre en compte les données de la toxicologie. Or les données épidémiologiques sont en l’occurrence non pertinentes : en effet, il n’existe pas de population témoin non exposée au mercure et il faudrait tenir compte de nombreux autres paramètres, comme les multi-expositions ou les susceptibilités génétiques. Seule la toxicologie peut ici fournir des indications valables.
  • Les experts minimisent considérablement l’exposition actuelle des Français au mercure d’origine dentaire, ce qui les amène à dire que si risque il y avait, il serait désormais derrière nous. Or, par rapport aux autres pays, les Françaises en âge de procréer sont aujourd’hui largement surexposées au mercure inorganique à cause de leurs amalgames.

Le 23 octobre dernier, ce rapport a été présenté devant la Commission de prévention des risques de l’ANSM par l’un de ses auteurs, le Pr Bégaud ; des représentants des instances dentaires et Marie Grosman, conseillère scientifique de NAMD, ont également été entendus [2].

Auditionné au titre de l’Union Française de Santé Bucco-Dentaire (UFSBD), le dentiste Julien Laupie [3] est parvenu à instiller, parmi les membres de la Commission, l’idée que « les coûts sont de 1 à 10 quand il s’agit de choisir » entre l’amalgame et les alternatives. Dès lors, plusieurs membres de la Commission ont pris la parole pour faire valoir qu’une interdiction serait inacceptable, en ce qu’elle reviendrait à priver de soins les plus pauvres.

L’argument ne serait pas sans force s’il reposait sur la réalité. Or – et les représentants de l’ANSM, qui se sont gardés de restaurer la vérité, ne peuvent l’ignorer – tous les matériaux d’obturation bénéficient de la même cotation à la Sécurité sociale ; quel que soit le matériau choisi, le patient se voit intégralement remboursé [4].

Les tristes conséquences du maintien du mercure dentaire

La conséquence du maintien de l’amalgame sur le marché serait en fait la suivante : les 20 % de la population qui cumulent 80 % de la maladie carieuse, c’est-à-dire grosso modo les 20 % de Français les plus pauvres, continueront de se voir surexposés au mercure dentaire via leurs amalgames, puisque, selon l’UFSBD, le recours à l’amalgame s’impose en cas de caries multiples. De surcroît, le jour où il faudra leur couronner une dent, ils ne pourront pas se faire poser de céramique pour des raisons économiques qui, à ce moment-là, interviendront effectivement : chez ces patients, les praticiens se verront donc contraints de poser des couronnes métalliques à côté des amalgames, en infraction avec les recommandations de l’ANSM [5].

L’autre argument phare de l’UFSBD, c’est que les alternatives dureraient beaucoup moins longtemps que les amalgames, obligeant le patient à retourner souvent chez le dentiste. Les études et méta-analyses ont pourtant démontré que cette assertion est fausse [6].

 

À l’appui de ces deux mensonges (l’alibi des pauvres et la longévité supposée de l’amalgame), l’ANSM n’a pas jugé utile de faire voter la Commission sur ce qui semblerait la logique même : faut-il éliminer l’amalgame dentaire ou doit-on se contenter d’en réduire fortement l’usage ?

 

L’ANSM estime en effet qu’aucun argument sanitaire ne justifie l’interdiction des amalgames. Le seul membre de la Commission qui ait refusé de se rendre à cet avis est précisément… le seul qui soit spécialiste de l’évaluation des risques chimiques. Il se déclare « effaré » : « le mercure c’est un reprotoxique avéré, le mercure c’est un mutagène supposé, le mercure c’est un cancérogène supposé ». La conséquence est simple : « pour des raisons sanitaires strictes », « on ne peut pas aujourd’hui se permettre de dire : ‘on peut mettre des amalgames aux enfants de 0 à 3 ans’. On ne peut pas aujourd’hui décemment dire : ‘on peut mettre des amalgames à des femmes qui sont en âge de procréer’ », c’est-à-dire (compte tenu de la durée des amalgames) entre 0 et 40 ans.

Ce spécialiste rappelle que la valeur toxicologique de référence (VTR), c’est-à-dire le seuil d’exposition qui, pour des raisons sanitaires et réglementaires, ne doit pas être dépassé, ne peut pas être calculé isolément pour chaque source d’exposition : « on regarde la totalité de l’exposition et si par hasard, par malheur, on dépasse la VTR, on regarde sur quel élément on peut jouer. Aujourd’hui, la VTR du mercure élémentaire, on est à la limite rien que par l’air ambiant et on est en train de nous dire : il y a un 2e élément d’exposition qui existe, c’est l’amalgame dentaire. Il est bien évident qu’on ne peut pas jouer beaucoup sur l’air ambiant »… en revanche, on peut se passer des amalgames puisque les alternatives existent.

 

Conclusion : si l’Agence n’interdit pas le mercure dentaire, elle se rend fautive non seulement de l’exposition de filles et de femmes à un reprotoxique avéré, mais aussi d’un dépassement, chez de nombreux patients, des valeurs d’exposition réglementaires au mercure.

 

À cet argumentaire, M. Mahmoud Zureik, Directeur de la stratégie au sein de l’ANSM, oppose deux semblants de réponses :

  1. Selon lui, en supprimant les amalgames dentaires, on ne corrigerait qu’« à la marge » le problème de l’exposition environnementale au mercure. Cette formidable intuition révolutionne tout ce que nous savons ! Il est en effet établi largement reconnu que l’amalgame représente le premier facteur d’imprégnation au mercure en Europe [7] (et a fortiori en France, le pays le plus exposé).
  2. Mais M. Zureik fait encore mieux : « On est d’accord avec vous sur le mercure mais pas sur les amalgames dentaires » – comme si le mercure était transmuté en quelque autre substance dès lors qu’il est à usage médical.

C’est donc un ensemble de formulations molles que l’ANSM s’apprête à publier : « information complète du patient concernant le choix du matériau de restauration… limitation de l’utilisation des amalgames dentaires contenant du mercure à des situations listées, limitées et justifiées [8]… » Que de précautions, pour ne surtout pas avouer que l’amalgame est un dispositif médical toxique !

Il est temps que l’Agence fonde ses avis sur les apports de la science et sur les outils d’évaluation des risques qui font consensus, plutôt que sur les principes pour le moins nébuleux de l’Alchimie.

Le problème ne se limite certes pas au mercure dentaire : c’est toute l’évaluation des dispositifs médicaux invasifs et des expositions de type environnemental associées aux produits de santé qui est à revoir. Ainsi, comment se fait-il que certains composites dentaires relarguent du bisphénol A ou des nanoparticules, à l’insu du praticien et du patient, sans que l’usage de ces substances dans des produits de santé ait fait l’objet d’évaluations rigoureuses avant leur mise sur le marché ?

 

Plus largement encore, ce cas de figure démontre qu’il faut d’urgence mettre en œuvre la loi de protection des lanceurs d’alerte du 16 avril 2013. Celle-ci prévoit en effet d’instaurer une Commission de déontologie dont le rôle sera d’émettre « des recommandations générales sur les principes déontologiques propres à l’expertise scientifique et technique dans les domaines de la santé et de l’environnement ». Manifestement, en l’absence de telles recommandations, il est aujourd’hui beaucoup trop facile pour une Agence de définir les règles d’un jeu dangereux pour l’ensemble de la population.

 

 

 Sources

[1]. L’expertise de cette équipe dirigée par le Dr Bégaud, ainsi que les commentaires que nous apportons, sont disponibles sur le site de NAMD : http://www.non-au-mercure-dentaire.org/les-dossiers.php?article=219
[2]. http://ansm.sante.fr/L-ANSM2/Commissions-consultatives/Commission-de-prevention-des-risques-lies-a-l-utilisation-des-categories-de-produits-de-sante/%28offset%29/4
[3]. M. Laupie cumule les postes de vice-président de l’Union Française de Santé Bucco-Dentaire (UFSBD) et Secrétaire adjoint de l’Association Dentaire Française (ADF) où il a été chargé de la charte du développement durable, laquelle « oublie » de mentionner le mercure.
[4]. Les coûts élevés évoqués par M. Laupie correspondent en fait à des inlays-onlays en céramique, qui ne font pas partie des alternatives à l’amalgame et qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale.
[5]. En effet, la proximité de différents métaux est à l’origine d’un « effet pile » qui provoque la corrosion des matériaux et, en particulier, le relargage de mercure.
[6]. Mickenautsch S, Yengopal V, Banerjee A. Atraumatic restorative treatment versus amalgam restoration longevity: a systematic review. Clin Oral Invest (2010) 14:233–240).
Frencken JE, Taifour D, van’t Hof MA. Survival of ART and amalgam restorations in permanent teeth after 6.3 years. J Dent Res, 85:622-626 (2006).
[7]. Agency for Toxic Substances and Disease Registry (ATSDR). Toxicological profile for mercury. U.S. DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES. 1999
Mark Richardson, et al., Mercury Exposure and Risks from Dental Amalgam Part 1: Updating Exposure, Re examining Reference Exposure Levels, and Critically Evaluating Recent Studies, rapport du 8 novembre 2010, SNC-Lavalin Environment, Ontario.
[8]. Voir sur la page de l’ANSM citée en note 2 le document intitulé : « Retour sur la séance du 23/10/2014 ».

 

Mercure dentaire, l’expertise tronquée