Deux mois après l’amorce du déconfinement, le pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop publie une vaste enquête permettant d’observer l’ampleur prise par la pratique du « No Bra » (absence de soutien-gorge) qui a été, au même titre que d’autres « tendances beauté » comme le « No Make-up » (absence de maquillage) ou le « No Poo » (absence de shampoing), boostée par l’isolement imposé par le confinement. Voici le boom du « No Bra ».

Le boom du « no bra » observé durant le confinement n’aura pas été qu’une mode éphémère… Au contraire, cette tendance semble plutôt s’inscrire dans la durée, portée par un mouvement davantage dicté par des soucis de confort ou de santé que par des motivations féministes. Mais en montrant à quel point les poitrines féminines restent hyper-sexualisées, cette étude met aussi en lumière l’ampleur des freins à une visibilité accrue des seins féminins : la charge érotique qui leur reste attachée restreint encore fortement la liberté vestimentaire des femmes dans l’espace public en les surexposant notamment à des risques de harcèlement ou d’agression sexuelle…

  1. Aujourd’hui, une jeune fille sur six (18%) de moins de 25 ans ne porte jamais de soutien-gorge, soit une proportion quatre fois supérieure à celle mesurée avant le confinement (4%). Malgré un retour à des conditions de vie plus « normales », les adeptes du « No Bra » reste donc quasiment aussi nombreuses que durant le confinement (20% en avril), signe d’un certain ancrage de cette nouvelle pratique chez les jeunes françaises.
  2. Mais au-delà leurs habitudes quotidiennes, un nombre de femmes bien plus élevé sont déjà sorties au moins une fois dans leur vie sans soutien-gorge : 44% parmi l’ensemble des Françaises, jusqu’à 59% chez les moins de 25 ans. L’expérience du « No Bra » dans le cadre de son activité professionnelle reste en revanche plus limitée (14%), sauf en télétravail : 50% l’ont déjà pratiqué dans ce contexte, dont 44% ces 12 derniers mois.
  3. Les motifs de ces adeptes du « No Bra » semblent plus dictés par un désir de confort (53%) que par une réelle sensibilité aux discours féministes, sauf chez les jeunes qui sont beaucoup plus nombreuses (32%) que la moyenne (15%) à expliquer que leur choix est déterminé par « le souhait de lutter contre la sexualisation des seins féminins qui impose de les cacher au regard d’autrui ».
  4. Chez les jeunes de moins 25 ans, les freins au boom du « No Bra » sont les même que ceux pour le topless sur les plages, à savoir la gêne d’exposer leurs tétons (69%) et « la crainte d’être l’objet d’agression physique ou sexuelle » (57%). En cela, les jeunes filles, qui sont aussi les plus exposées au harcèlement de rue, semblent avoir intériorisé les risques qu’elles ont de ne pas couvrir leurs poitrines – et notamment leurs tétons – en public.
  5. L’analyse des représentations associées par les Français à la pratique du « No bra » révèle l’ancrage de la « culture du viol » et des injonctions à la « pudeur » pesant sur les poitrines féminines : l’idée selon laquelle « le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut devrait être, pour son agresseur, une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle » étant ainsi encore partagée par 20% des Français.
  6. Il faut dire que nombre de jeunes filles rapportent avoir déjà été victimes de diverses formes de harcèlement en raison de leur poitrine : 55 % des femmes de moins de 25 ans déclarent que leurs seins ont déjà fait l’objet de regards concupiscents et environ 40 % de remarques gênantes ou d’insultes sexistes. Un quart d’entre elles (25%) rapportent même que leur poitrine a déjà fait l’objet d’attouchement sans leur consentement.

Boostée par le confinement, la pratique quotidienne du « No Bra » semble perdurer, notamment chez les jeunes…

Aujourd’hui, une jeune fille sur six (18%) de moins de 25 ans ne porte jamais de soutien-gorge, soit une proportion quatre fois supérieure à celle mesurée avant le confinement (4%). Malgré un retour à des conditions de vie plus « normales », les adeptes du boom du « No Bra » restent donc quasiment aussi nombreuses que durant le confinement (20% en avril), signe d’un certain ancrage de cette nouvelle pratique chez les jeunes françaises. Et si l’absence de soutien-gorge reste une pratique quotidienne plus limitée chez l’ensemble des Françaises (7%), le nombre d’adeptes du « No Bra » y est aussi largement supérieur au niveau observé par l’Ifop avant le confinement (3% en février).

L’absence de « soutif » dans un lieu public : une expérience désormais vécue par près d’une Française sur deux

Mais au-delà leurs habitudes vestimentaires quotidiennes, un nombre de femmes bien plus élevé admettent être déjà sorties au moins une fois dans leur vie dans un lieu public sans soutien-gorge : 44% parmi l’ensemble des Françaises âgées de 18 ans et plus, jusqu’à 59% chez les moins de 25 ans.

Ce chiffre global masque toutefois de fortes différences d’expérience selon les contextes et lieux fréquentés. En effet, si une femme sur trois (32%) est déjà sortie sans soutien-gorge dans un lieu dédié aux bains de mer ou de soleil – lieux où le dénuement des corps est toujours jugé socialement plus acceptable –, elles sont nettement moins nombreuses à avoir osé le « No Bra » dans un jardin public (20%), les transports en commun (17%) ou un établissement scolaire (11%).

Dans le détail des résultats, il n’en reste pas moins important de signaler que l’expérience du boom  du « No bra » dans un lieu public dépend avant tout de la morphologie des femmes. En effet, c’est dans les rangs des femmes n’ayant pas forcément besoin de soutien – comme les femmes aux « petites poitrines » (57% des femmes ayant un bonnet A, contre 33% des femmes ayant un bonnet E+) ou celles portant des prothèses mammaires (78% des femmes ayant des prothèses, contre 46% des femmes ayant des seins « naturels ») – que l’on recense le plus de personnes ayant osé ne pas porter de soutien-gorge en public.

La capacité à s’affranchir des injonctions sociales pesant sur cette partie du corps féminin apparaît également plus forte chez les femmes ayant un niveau social et culturel supérieur à la moyenne, se reconnaissant une part d’homosexualité ou une sensibilité féministe mais aussi chez celles qui, résidant dans les grandes agglomérations, souffrent généralement moins du contrôle et du regard des autres. Enfin, les adeptes du boom du « No Bra » s’avèrent plus nombreuses dans les rangs des femmes ayant été confinées seules, signe que l’expérimentation de ce genre de nouvelles pratiques est toujours facilitée par l’absence du regard d’autrui sur la gestion de son apparence corporelle.

Une tendance portée plus par un désir de confort que par une sensibilité féministe

Pour ces adeptes de plus en plus nombreuses « No bra », les raisons de se débarrasser de leurs soutiens-gorges restent largement plus dictée par un désir de confort que par une sensibilité aux discours féministes…

En effet, si les motivations qui poussent les femmes à faire ce choix sont aussi nombreuses que variées, leur décision semble d’abord liée à la volonté de se débarrasser de « l’inconfort procuré par le port du soutien-gorge » (53%), très loin devant des motifs d’ordre sanitaires – comme la prise de conscience de l’impact négatif qu’un soutien-gorge peut avoir sur les seins (24 %) – ou encore de nature esthétique comme la volonté d’afficher une poitrine sans artifice (16 %) et/ou affranchie des normes relatives aux silhouettes féminines (17 %).

En revanche, les motivations explicitement féministes s’avèrent marginales chez l’ensemble des adeptes du « no bra » (15 %, 6ème raison sur 9), à l’exception notable des plus jeunes qui sont beaucoup plus nombreuses à expliquer que leur choix est déterminé par « le souhait de lutter contre la sexualisation des seins féminins qui impose de les cacher au regard d’autrui » (32 %, 3ème raison sur 9).

Le tabou du téton… Quand le poids du regard des autres et la peur de l’agression sexuelle empêchent les jeunes femmes de se débarrasser de leurs soutiens-gorges…

Cette étude fournit aussi des renseignements précieux sur les raisons pour lesquelles les femmes n’enlèvent pas ce sous-vêtement, sachant que les freins des jeunes générations ne sont pas les mêmes que ceux de leurs aînées. En effet, si l’attachement de l’ensemble des Françaises à leur soutien-gorge tient d’abord au confort qu’il leur procure (65%) et son impact positif sur le maintien de leurs seins (54%), les réticences des jeunes à le lâcher reposent, elles, avant tout sur les injonctions à la pudeur et la « pression sexuelle » qu’elles subissent dans l’espace public.

Effectivement, chez les jeunes femmes de moins 25 ans, on observe à peu près les mêmes raisons de ne pas enlever leur soutien-gorge sous leur haut en public que celles avancées pour ne pas pratiquer le topless sur les plages, à savoir « la gêne à l’idée que les gens voient leurs tétons » (69%) et « la crainte d’être l’objet d’agression physique ou sexuelle » (à 57%). De même, la crainte d’attiser le regard concupiscent des hommes – frein numéro un des jeunes filles au topless – est avancée par la moitié des jeunes (50 %) pour expliquer leur refus du « No Bra » alors qu’en moyenne, elle n’est mise en avant que par une femme sur trois (36 %).

En cela, les jeunes de moins de 25 ans, qui sont aussi les plus exposées au harcèlement de rue, semblent avoir intériorisé les risques de « rappel à l’ordre » dans le cas où elles transgresseraient les injonctions à couvrir leurs poitrines – et notamment leurs tétons – dans l’espace public.

Ne pas porter de soutien-gorge reste encore pour certains un facteur légitime d’agression sexuelle

Il est vrai que l’analyse des représentations associées par les Français (hommes et femmes) à la pratique du « No bra » révèle à quel point la non dissimulation de la poitrine féminine reste un facteur d’agression sexuelle pour la moitié des Français : 48 % d’entre eux estiment que « une femme qui ne porte pas de soutien-gorge prend le risque d’être harcelée, voir agressée ». Mais un autre indice révèle l’ancrage de la « culture du viol » et des injonctions à la « pudeur » pesant sur les poitrines féminines : l’idée selon laquelle « le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut devrait être, pour son agresseur, une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle ». Malgré la radicalité de cette affirmation (déjà testée dans de précédentes enquêtes), le fait qu’elle soit partagée par un Français sur cinq (20 %) s’avère indéniablement inquiétant, sachant que c’est dans les catégories de la population les plus populaires (28 % des ouvriers la partagent, contre 11 % des cadres), les moins diplômées (34 % des noms titulaire d’un bac) et les plus imprégnées par la morale religieuse (42% des musulmans) qu’elle est la plus répandue.

Des Français encore très partagés sur une évolution de la législation relative à l’exposition publique des seins

La forme de blâme moral qui frappe les bustes féminins alors que les torses masculins sont jugés socialement acceptables illustre également l’idée selon laquelle le non-port d’un soutien-gorge serait une forme d’indécence.

L’idée selon laquelle les réseaux sociaux comme Facebook « ne devraient pas pouvoir censurer les photos laissant apparaître des tétons de femme alors qu’ils ne censurent pas les tétons d’homme » est loin de susciter l’unanimité : seuls 50 % des Français y adhère, signe qu’ils ont encore du mal à considérer qu’il faut mettre sur le même plan l’exposition numérique des seins féminins et des seins masculins.

La poitrine des femmes, un objet de désir qui les sur expose à des risques d’agression sexuelle

Mais les freins à cette libération corporelle qu’incarne le « No bra » ne peuvent pas se résumer qu’aux pesanteurs culturelles liées à ces représentations très sexualisées des seins féminins. Cette étude permet également de montrer à quel point les poitrines peuvent être à l’origine de violences visuelles, verbales ou physiques qui constituent toutes autant un frein à leur visibilité dans la vie de tous les jours.

Ainsi, les jeunes filles moins de 25 ans, qui correspondent souvent plus que les autres aux critères de beauté dominantes, rapportent dans de fortes proportions avoir déjà été victimes de diverses formes de harcèlement en raison de leur poitrine : 55 % d’entre elles déclarent que leurs seins ont déjà fait l’objet de regards concupiscents et environ 40 % de remarques gênantes ou d’insultes sexistes.

Un quart des jeunes filles de moins 25 ans (25%) rapportent même que leur poitrine a déjà fait l’objet d’attouchement sans leur consentement.

De même, il est important de signaler à quel point cette objet de désir peut réduire leur liberté vestimentaire si l’on en juge par la proportion de femmes qui rapportent avoir déjà dissimulé leur décolleté sous un foulard ou un gilet pour éviter le regard des hommes : 32 % parmi l’ensemble des femmes, jusqu’à 50 % chez les jeunes de moins de 25 ans.

Le boom du « No Bra » : le point de vue de François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop

Si le « No Bra » n’est pas la seule pratique corporelle à avoir été boostée par le confinement – d’autres « tendance beauté » comme le choix de ne pas se maquiller, de ne pas s’épiler ou de ne pas se laver les cheveux ont aussi profité cette période propice à l’affranchissement des diktats esthétiques pesant habituellement sur la gent féminine -, elle a le mérite de mettre en lumière les limites de la liberté vestimentaire des femmes dans une société où l’hyper-sexualisation des poitrines féminines les surexpose encore à des formes de harcèlement ou de « rappels à l’ordre ». Bien qu’il soit aujourd’hui soutenu par un mouvement plus large de libération à l’égard des normes de beauté féminine – trouvant notamment un écho sur les réseaux sociaux avec des hastags comme #FreeTheNipple ou #NoBraChallenge – , l’abandon de ce que les féministes des années 60 avait érigé en symbole de l’oppression vestimentaire des femmes ne semble pas à la portée de toutes… D’abord pour des raisons physiques et esthétiques : l’étude confirme que toutes les formes de seins ne peuvent s’affranchir aussi facilement de ce tissu et que nombre de femmes apprécient cette lingerie dans laquelle elles se sentent à la fois plus belles et plus féminines. Ensuite en raison des difficultés culturelles à « dés-érotiser » une partie du corps féminin qui, restant un puissant objet de désir, attise plus que d’autres les formes de « pression sexuelle » subies par les femmes dans l’espace public.

Boom du « no bra » : Si l’abandon du port du soutien-gorge est donc bien un symbole d’un « féminisme du quotidien » illustrant la capacité des femmes à s’affranchir des injonctions pesant sur elles, il est donc bon de rappeler que cette forme de réappropriation de son corps est encore loin d’être donnée à tout le monde…

 

Étude Ifop pour Xcams  réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 9 au 12 juin 2020 auprès d’un échantillon de 3 018 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine