A l’occasion de la Journée Mondiale contre le Cancer, l’Institut Curie fait le point sur les avancées prometteuses en matière de détection et d’analyse du matériel tumoral présent dans le sang des patients, appelés biomarqueurs tumoraux circulants. Grâce à une simple prise de sang, chercheurs et médecins espèrent révolutionner la prise en charge des cancers. Mieux dépister, optimiser les choix thérapeutiques, anticiper les rechutes… Les attentes sont nombreuses.
Matériel tumoral circulant : des indices semés par la tumeur
A l’instar de toutes les cellules de l’organisme, les cellules cancéreuses peuvent être amenées à se désagréger et à libérer dans le sang de l’ADN tumoral circulant, dénommé ADNtc. Certaines cellules de la tumeur peuvent par ailleurs être amenées à migrer dans l’organisme, via la circulation sanguine. Appelées Cellules Tumorales Circulantes (CTC), ces dernières peuvent être à l’origine de métastases en se fixant dans un autre organe.
« Ce matériel tumoral circulant, appelé biomarqueurs, est porteur d’un grand nombre d’informations utiles pour le suivi du patient. Toute la difficulté consiste à les détecter et à déterminer leur signification », explique le Pr François-Clément Bidard, oncologue médical et chercheur à l’Institut Curie, qui mène des projets de recherche sur le sujet aux côtés du Pr Jean-Yves Pierga et de Charlotte Proudhon dans le laboratoire des Biomarqueurs Tumoraux Circulants.
Car l’ADNtc ou les CTC ont de quoi séduire : accessibles par une simple prise de sang, ils renseignent sur la nature du cancer, la progression tumorale ou encore la réponse au traitement. La biopsie « liquide » permet ainsi de faciliter voire préciser le diagnostic, la mise en œuvre des traitements et la prévention des rechutes.
« Détecter très tôt l’apparition de lésions cancéreuses, avant même qu’une tumeur ait réellement commencé à se développer ou à réapparaître après un traitement, est l’un des objectifs majeurs des chercheurs et des médecins, ajoute le Pr François-Clément Bidard. Nous n’avons jamais été aussi proches d’utiliser en routine la biopsie liquide pour lutter contre certains cancers ».
Une avancée révolutionnaire dans la prise en charge des cancers
L’utilisation la plus aboutie des biomarqueurs circulants est celle d’aide au diagnostic et à la décision thérapeutique. Lorsqu’une biopsie classique est trop difficile à réaliser chez un patient, une recherche d’altérations spécifiques dans l’ADNtc (pour décider de la possibilité d’une thérapie ciblée) est effectuée grâce à une simple prise de sang.
Cette utilisation est complètement validée depuis 2014 dans les cancers du poumon, et est réalisée de manière quotidienne à l’Institut Curie. C’est ce que relate Henri B., traité à l’Institut Curie pour un cancer du poumon : « Grâce à une simple analyse sanguine, les médecins ont pu savoir très rapidement que je pouvais bénéficier d’une thérapie ciblée. Cela m’a permis d’éviter une biopsie qui semblait compliquée dans mon cas ». La prise de sang reste en effet un geste médical simple, rapide, peu douloureux et peu invasif en comparaison à une biopsie tissulaire.
Bien que ce soit encore préliminaire, les biomarqueurs tumoraux circulants pourraient se révéler être également une aide au dépistage des cancers. Plusieurs études cliniques, soutenues par l’Institut National du Cancer et coordonnées par l’Institut Curie, sont actuellement en cours pour valider le fait que suivre par prise de sang régulière permet de diagnostiquer précocement les nouveaux cancers ou les rechutes, notamment chez les femmes à haut risque de cancer du sein (Etude « CirCA01 ») et chez les patients traités pour un cancer du pelvis lié au virus HPV (cancer du col et du canal anal, étude « CirCA-HPV »).
Pour les médecins et chercheurs, les biomarqueurs tumoraux circulants offrent aussi la possibilité de préciser le pronostic d’un cancer ou de déceler rapidement une résistance à un traitement. La grande étude « PADA-1 », coordonnée par le Pr Bidard et les groupes Unicancer/Gineco, vise à adapter le traitement d’hormonothérapie des cancers du sein métastatiques en fonction des mutations de résistance apparaissant dans le sang. « L’essai PADA-1 rencontre un enthousiasme majeur des patientes et des oncologues au niveau national, avec une participation deux fois plus rapide que prévue et plus de 100 centres participants dans toute la France » précise le Pr Bidard.
Plusieurs essais cliniques, qui permettront à terme d’améliorer la prise en charge des patients atteints de cancer, sont donc initiés ; d’autres restent à mettre en place.
« Ces essais devraient permettre d’élargir considérablement l’utilisation en routine de la biopsie liquide au cours des prochaines années » conclut le Pr Pierga.
La biopsie liquide, une technique ‘miracle’ ?
Si l’ANDtc et les CTC sont théoriquement détectables dans le sang, il n’est pas aisé de les identifier et de les analyser tant ils sont rares et perdus au milieu de dizaines voire de centaines de milliers d’allèles sauvages pour l’un et de milliards de globules blancs pour l’autre. De nombreux travaux de recherche sont en cours à travers le monde pour améliorer les techniques de traitement et d’analyses des biopsies liquides.
A l’Institut Curie, l’équipe de biophysiciens dirigée par Jean-Louis Viovy et Stéphanie Descroix a mis au point des techniques originales : « Nous utilisons des microbilles magnétiques organisées en colonnes qui portent à leur surface des molécules qui vont spécifiquement se lier aux cellules cancéreuses et à elles seules. Une fois les CTC récupérées, elles peuvent être comptées et puis récupérées pour permettre l’analyse de leur ADN par exemple. » De nombreuses recherches sont en cours à travers le monde pour améliorer la sensibilité de ces techniques de traitements et d’analyses des biopsies liquides. L’objectif : mettre au point des méthodes pouvant être standardisées et utilisées en routine partout.
D’autres questions se posent encore aux chercheurs avant de pouvoir généraliser l’utilisation des biopsies liquides : « Les données techniques montrent que l’on ne trouve de l’ADNtc que chez 70 % environ des cas avérés, précise le Pr Bidard. On a aussi constaté que pour un même cancer, certaines tumeurs relâchent beaucoup plus de CTC que d’autres. Ce sont des différences qu’il nous faut comprendre avant de pouvoir utiliser ces biomarqueurs circulants en routine. »