Le mot « flexitarisme » a intégré les dictionnaires Robert et Larousse en 2017. Cette pratique alimentaire, née aux États-Unis, désigne des individus qui limitent leur consommation de viande sans pour autant être exclusivement végétariens. Ce phénomène prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux, avec des citations en progression de 210 % par rapport à l’année dernière. Par ailleurs, le flexitarisme est généralement adossé à deux autres mots-clés : la viande et la santé.Quelle est l’ampleur de ce phénomène? Que cela signifie? Réponses.

 

Le flexitarisme à l’épreuve des chiffres1

L’étude Kantar Worldpanel, présentée en exclusivité lors du MeatLab Charal, a permis d’interroger 12 000 foyers français pour connaître leur rapport aux produits d’origine animale (œufs, produits carnés, de la mer et laitiers). Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser à la lecture des publications sur les réseaux sociaux, les Français sont encore loin d’y avoir renoncé.

  • Les protéines animales présentes dans 3 paniers d’achats sur 4

Cette année, l’ensemble des produits d’origine animale représentait 38,1 % du poids des dépenses alimentaires des foyers français pour un budget de 1 628 € par an, à raison de 94 actes d’achat. Ils sont donc présents dans 3 paniers de courses sur 4, comme c’était déjà le cas en 2013.

Par ailleurs, si l’on observe un repli des produits carnés dans les dépenses des ménages, -5 % en volume et même -8 % pour la viande de boucherie entre 2013 et 2017, 85 % des individus en consomment au moins 3 fois par semaine et 31 % plus d’une fois par jour ! Enfin, la viande reste encore très ancrée dans les habitudes de consommation des Français, puisque tout le monde en achète au moins une fois dans l’année.

  • Le flexitarisme : un phénomène en progression

Aujourd’hui, 1/3 des ménages déclarent néanmoins limiter leur consommation de protéines animales, alors que ce chiffre n’était que de 1/4 en 2015. Concernant l’évolution du profil de ces consommateurs, on remarque un rajeunissement, avec de plus en plus d’individus de moins de 35 ans.

Au niveau des profils de foyers qui rejoignent cette démarche : 38 % ont plus de 65 ans ; 37 % ont suivi des études supérieures ; 50 % se revendiquent comme biocitoyens, faisant attention à l’impact de leur consommation sur la planète (consommation majoritairement bio, en vrac, via les circuits courts…) ; et, enfin, 46 %, classés dans la catégorie « self-control », s’inscrivent dans une dynamique de maîtrise de leur alimentation au sens large (moins de gras, moins de sucre, moins d’additifs…). Autant de raisons différentes qui expliquent qu’un foyer choisisse de diminuer sa consommation de protéines animales.

  • Moins de viande en volume, mais pas en valeur

Les foyers pouvant être considérés comme flexitariens ont une propension plus forte que les autres à se tourner vers l’offre traiteur végétale, mais ils sont également de fervents adeptes des légumes secs, de la semoule, des céréales et des œufs. Bien entendu, ils achètent en moyenne 3,5 kg de moins de charcuterie, de produits de la mer et de viande qu’un foyer lambda. Toutefois, 96 % d’entre eux en achètent au moins une fois dans l’année.

  • Le végétarisme : une tendance encore confidentielle

Depuis 3 ans, Kantar Worldpanel mesure dans son échantillon le nombre de personnes au sein d’un foyer qui se déclarent végétariennes. En 2015, 1,5 % des 12 000 ménages concernés répondaient à cette question par l’affirmative contre 1,9 % aujourd’hui. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit généralement d’une décision individuelle, à savoir qu’un seul membre du foyer adopte ce comportement alimentaire. Une proportion de la population encore très faible, donc, par rapport à l’explosion du nombre de citations autour de cette tendance sur les réseaux sociaux ou dans les médias.

 

Le flexitarisme à l’épreuve du terrain

Dans le cadre de ses consultations, Corinne Peirano, diététicienne-nutritionniste spécialisée dans l’alimentation du sportif et les troubles du comportement alimentaire, a constaté que beaucoup de questions se posent autour de la table des Français.
Ce qui est certain, c’est que depuis 7 ou 8 ans, le discours ambiant, qui recommande de moins consommer de viande, influe sur le comportement alimentaire des Français.

Mais que signifie exactement « être flexitarien » ? 

Besoin de s’affirmer par le biais de son alimentation, « problème de riche » ou évolution naturelle d’une société ayant trop longtemps baigné dans l’excès ? À en croire les experts présents lors de cette rencontre, le flexitarisme est un peu tout cela à la fois…

  • C’est affirmer son individualité 

Comment interpréter le flexitarisme d’un point de vue sociologique ? Ce comportement serait avant tout lié à un processus d’individualisation.

  • C’est être en quête de sens

Au début du XXe siècle, pour expliquer que l’on gagnait bien sa vie, on disait « Je gagne mon pain ». Puis, après la Seconde Guerre mondiale, « Je gagne mon bifteck ». Ensuite, on a mis « du beurre dans les épinards ». Entre-temps, le beurre a été déclaré ennemi public n° 1, avant d’être récemment réhabilité. Aujourd’hui, le sucre est l’abomination ultime et la viande est à son tour montrée du doigt.

Aujourd’hui, dans les sociétés développées, nous sommes arrivés à une période où l’homme moderne a réglé un certain nombre d’incertitudes, notamment en ce qui concerne la possibilité de se nourrir en quantité suffisante. La viande est désormais accessible à tous et ne représente plus ce « superaliment » qu’elle a été pendant des millénaires. On peut dès lors se poser autour d’elle des questions de qualité, de sécurité ou encore d’éthique.

Ainsi, la tendance dans la restauration est au concept déclinant un produit unique. Celui-ci donne l’assurance au consommateur qu’il va profiter du meilleur de ce produit, aussi bien au niveau de l’approvisionnement que de la qualité gustative.

Les marques de l’agroalimentaire doivent également prendre en compte l’ensemble de ces évolutions sociétales pour adapter leurs propositions.

  • C’est être un omnivore intelligent
L’homme oublie trop souvent qu’il est biologiquement un omnivore, et ce depuis la nuit des temps. Toutes les études scientifiques le montrent : lorsque l’on a accès à tous les aliments et que l’on mange de tout, les problèmes de santé liés à la nutrition disparaissent.
Il serait donc faux de penser qu’il existe de « bons » ou de « mauvais » aliments pour notre santé. Les évictions font rentrer les individus dans le risque et ce dernier augmente à mesure que l’on supprime certains aliments de son régime. Dans des pays comme la France, où nous pouvons manger de tout en quantité, il est en revanche tout à fait légitime de se poser la question de la juste dose.

Ainsi, le flexitarisme serait une réaction à nos excès du passé, où nous avons abusé de tout, sans nous poser de questions. Et si manger trop induit des risques pour notre santé, supprimer des aliments nous en ferait donc prendre tout autant.

Manger, c’est transmettre, mais c’est aussi prendre du plaisir

Au travers de l’alimentation, de nombreux affects s’expriment, qui peuvent déboucher sur des comportements excessifs ou trop sélectifs. Pour bien manger, il faut envisager l’alimentation de façon positive et non anxiogène. Avec des journées où la famille est éclatée, le repas est le moment de se retrouver tous ensemble. Aussi les plaisirs de la table sont-ils une notion typiquement française, qu’il faut préserver.

Alors demain, tous flexitariens ?

Il y a aujourd’hui, à n’en pas douter, une remise en cause de notre alimentation et, tout particulièrement, de la place de chaque aliment dans notre assiette. Après avoir succombé aux excès, la modération est à l’ordre du jour. Sans même en avoir vraiment conscience, nous serions déjà tous ou presque flexitariens, la qualité supplantant désormais la quantité. Manger de tout, oui, mais de façon raisonnée et raisonnable, en redonnant du sens à son alimentation. Les Français restent toutefois attachés aux protéines animales et, notamment, à la viande pour ce qu’elle leur apporte, mais aussi et surtout par goût. Il serait donc prématuré, voire mensonger, d’affirmer que celle-ci est amenée à disparaître de nos assiettes dans les prochaines années. En revanche, les enjeux éthiques, environnementaux et sanitaires influent désormais sur ce marché, qui doit aller vers une plus grande transparence et une qualité renforcée.

 

Tous les chiffres de cette partie sont issus de l’enquête « Le flexitarisme : les Français et la consommation de produits d’origine animale – Entre modes et tendances de fond », réalisée par Kantar Worlpanel pour le MeatLab Charal en septembre 2017 sur la base de

506 répondants.