Alors que la natalité est structurellement en recul en France depuis le début des années 2010 (cf Insee Première, janvier 2022), ELLE a commandé à l’Ifop une grande enquête pour voir comment le désir d’enfant avait évolué chez les Françaises ces dernières années et quels pouvaient être les motivations (ex : liberté personnelle, éco-anxiété, féminisme…) des femmes faisant le choix d’une infécondité volontaire. Alors, avoir un enfant ou pas ?

S’il y a une quinzaine d’années, la maternité était encore l’idéal de la quasi-totalité des Françaises (98% en 2006), elle n’est plus aujourd’hui un rêve pour toutes : 13% des Françaises âgées de 15 ans et plus (+11 points depuis 2006) expriment leur préférence pour une vie sans enfant, et leur nombre est trois fois plus élevé chez les femmes sans enfant en âge et en capacité de procréer[1] (31%). A l’inverse, la « famille nombreuse » (3 enfants et plus), qui était un idéal de vie pour près d’une femme sur deux il y a encore une quinzaine d’années (49% en 2006), n’attire aujourd’hui plus qu’une Française sur trois (32%).

Le point de vue de François Kraus : Très fort dans les milieux féministes et écologistes mais aussi chez les femmes les plus éloignées du modèle du couple hétérosexuel, ce désir de ne pas vouloir « faire famille » nous paraît très symptomatique de la capacité croissante des Françaises à s’affranchir des injonctions à la parentalité et, plus largement, du modèle liant intrinsèquement féminité et maternité.

CHILDFREE OR NOT CHILDFREE ? 30% DES NULLIPARES EN CAPACITÉ DE PROCRÉER NE SOUHAITENT PAS D’ENFANT

Interrogées plus spécifiquement sur le sujet, les femmes susceptibles d’avoir des enfants semblent de plus en plus nombreuses à assumer le choix de l’infécondité volontaire : 30% des femmes sans enfant, en âge (18-49 ans) et en capacité de procréer déclarent ne pas souhaiter « avoir d’enfants, que ce soit maintenant ou plus tard ». Or, l’enquête Fécond 2010[2] – menée il y a une douzaine d’années sur une cible similaire mais selon des modalités techniques incitant à comparer les données avec prudence – donnait un taux très largement inférieur (4,6%).

Le point de vue de François Kraus : Il est difficile de ne pas voir dans ce nombre record de « childfree » le signe d’un changement culturel majeur dans le rapport des Françaises à la maternité. Et le fait que l’infécondité volontaire ait un tel nombre d’adeptes chez les plus féministes et les plus écologistes tend à montrer que ce choix serait plutôt le fruit d’une vision construite et élaborée de la société, de la planète et des rapports de genre.

VERS UNE DISSOCIATION CROISSANTE DU LIEN ENTRE MATERNITÉ ET FÉMINITÉ…

Cette chute du désir d’enfant va de pair avec une dissociation croissante du lien entre maternité et féminité. Aujourd’hui, une Française sur trois âgée de 15 ans et plus (34%) estime que la maternité n’est pas « nécessaire ou souhaitable au bonheur d’une femme », soit trois fois plus qu’il y a une vingtaine d’années (12% en 2000). Alors que leur opinion sur le sujet était stable jusque-là, les Françaises ont donc complètement évolué en une vingtaine d’années. Alors que l’équation « féminité = maternité » a longtemps été présentée comme quelque chose d’intangible, elle est devenue caduque en quelques décennies pour nombre de Françaises.

Le point de vue de François Kraus : Les nouvelles générations sembleraient ainsi réinventer une définition du féminin qui n’intègre pas le principe essentialisant selon lequel on a forcément besoin d’être mère pour être une femme accomplie. Cette rupture quasi anthropologique, c’est aussi la défaite des préceptes conservateurs et religieux qui ont toujours essayé de reléguer la femme à son rôle de procréatrice en charge de la sphère domestique.

Autre enseignement important du sondage : les Françaises ne sont plus enfermées dans l’idée qu’être en couple doit être un préalable indispensable pour avoir un enfant. En effet, avec l’ouverture de la PMA pour toutes il y a un an, près d’une Française sur deux (47%) déclare aujourd’hui qu’elle pourrait se lancer seule dans l’aventure en étant célibataire. Ces chiffres confirment ceux de l’Agence de la biomédecine qui indiquait qu’un an après l’ouverture de la PMA pour toutes, les femmes célibataires avaient été plus nombreuses que les couples de femmes à avoir eu recours à cette technique.

Le point de vue de François Kraus : Grâce aux techniques médicales actuelles, les Françaises peuvent de plus en plus dissocier leur projet maternel de leur projet matrimonial. Fruit d’une indépendance acquise dans tous les domaines de la vie (sexuelle, professionnelle…), cette capacité à se projeter seule en tant que mère est bien le signe d’une révolution sociétale qui permet une autonomie totale de la femme par rapport à l’homme.

CE NON-DÉSIR D’ENFANT REPOSE MOINS SUR L’ECO ANXIETE QUE SUR LA CRAINTE QUE CE SOIT UN FREIN A SON ÉPANOUISSEMENT PERSONNEL

Interrogées plus spécifiquement sur les motifs de leur choix, les femmes ne désirant pas avoir d’enfants mettent surtout en avant des motifs reflétant une volonté de vouloir rester indépendantes et maîtresses de leur destin : 50% estiment qu’un enfant n’est pas indispensable à leur développement personnel et 48% citent l’envie de rester libre, deux motifs jusque-là plutôt associés à la gent masculine… Les différentes crises qui touchent le monde actuel semblent aussi des motifs de dissuasion, mais moins importants : 39 % des femmes évoquent les risques liés à l’évolution du climat, 37 % les crises politiques et sociales et 35 % la crainte de surpopulation.

Le point de vue de François Kraus de l’Ifop

Si le non-désir d’enfant est un phénomène multi-causal, cette enquête montre que les motifs d’ordre politique (éco anxiété, féminisme, insécurité…) arrivent loin derrière des logiques beaucoup plus individualistes. Comme pour tous ces hommes qui retardent l’échéance de la paternité, on semble être avant tout dans le « Je pense à moi d’abord ». Pour une gent féminine française qui se distingue par des degrés élevés de sécularisation, d’activité professionnelle et de conscience féministe, le choix de l’infécondité volontaire semble donc exprimer un rejet de la « charge maternelle » associée généralement à la naissance d’un enfant. Pour les natalistes de tout poil qui s’en inquiéteraient, il sera donc difficile de ne pas voir dans l’inégale répartition des tâches parentales une des causes structurelles de cette infécondité volontaire croissante des Françaises.

 

« Étude Ifop pour Elle réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 12 au 15 septembre 2022 auprès d’un échantillon de 2 005 femmes âgées de 15 ans et plus.

 

Sources :

[1] Les données « Femmes sans enfants en âge et en capacité de procréer » font référence aux femmes âgées de 18 à 49 ans, n’étant pas enceintes, n’ayant pas d’enfant et étant en capacité physique de procréer.

[2] Enquête Fecond a été réalisée par l’Inserm et l’Ined par téléphone du 9 juin 2010 au 6 janvier 2011 auprès d’un échantillon aléatoire de 5 275 femmes âgées de 15 à 49 ans. Le taux d’infécondité volontaire y était calculé sur la base des femmes de 18 à 49 ans, sans enfant, n’en attendant pas et ayant répondu « non » à la question : « Vous-même souhaitez-vous avoir des enfants, que ce soit maintenant ou plus tard ? ».