En lançant l’idée de créer un délit de non-partage des tâches ménagères au sein du couple, l’écologiste Sandrine Rousseau s’est attirée un torrent de critiques – notamment sur les réseaux sociaux – de la part de commentateurs tendant à présenter sa proposition comme une mesure « hors sol » sur un sujet d’intérêt secondaire. Or, d’après la nouvelle vague de « l’Observatoire Ifop-Consolab de la répartition des tâches ménagères », la proposition formulée par la candidate malheureuse à la primaire d’EELV est loin d’être jugée farfelue ou iconoclaste par les Français(es), et ceci d’autant plus qu’elle met le doigt sur un problème de société : l’inégale partage des tâches domestiques, qui peut affecter lourdement leur vie de couple. Réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de 1 992 personnes du 28 au 31 mars, cette enquête s’avère riche en surprises et en enseignements.

Une femme sur deux (50%, contre 44% des hommes) se dit aujourd’hui favorable à l’instauration d’un délit de non-partage des tâches domestiques qui permettrait de sanctionner le conjoint qui ne prend pas sa part des tâches ménagères ou parentales.

Et pour beaucoup, un tel dispositif législatif ne serait pas qu’une arme symbolique pour forcer leur conjoint à prendre sa part des tâches ménagères : 14% des personnes en couple pourraient y avoir recours, soit un potentiel d’un million de plaintes si l’on extrapole le pourcentage de personnes « certains » d’y avoir recours sur la base des 30 millions de personnes vivant actuellement couple (INSEE – RP 2011).

Il faut dire qu’une telle proposition met le doigt sur un sujet de fond, l’absence d’équité dans la division sexuelle du travail domestique, qui correspond encore aujourd’hui à une indéniable réalité statistique : la majorité des Françaises (57%) déclarent toujours en faire « plus » que leur conjoint, contre 37% qui disent en faire « à peu près autant » et seulement 8% qui se prévalent d’en faire « moins » que lui.

Certes, les inégalités de genre en la matière semblent s’atténuer depuis quelques années si l’on en juge par la baisse sensible du nombre de femmes en couple qui en font « beaucoup plus que leur conjoint » entre 2015 (45%) et 2022 (31%) mais aussi par le nombre de femmes se plaignant que leur conjoint(e) ne fait jamais la cuisine (17%, -10 points depuis 2010), les poussières (45%, -8 points) ou le repassage (69%, -7 points).

Mais le sentiment d’injustice que provoque ces inégalités peut nuire aux relations de couple au point de pousser les femmes à prendre de la distance avec leurs conjoint(e)s qui ne prennent pas leur part. Ainsi, 42% des Françaises ont déjà eu envie de partir quelques jours en laissant leur conjoint(e) se débrouiller avec vaisselles, lessives et autres repassages et 22% ont même envisagé de quitter leur conjoint(e) pour cette raison.

Et certaines sont déjà passées à l’acte si l’on en juge par la proportion significative de femmes (16%) qui ont déjà mis fin à une relation avec quelqu’un parce qu’il ne prenait pas sa part dans les tâches ménagères, en particulier dans les rangs des jeunes (23%), des cadres (32%) et des électrices de Yannick Jadot (30%).

Le point de vue de François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop

« Symptomatique de la persistance d’un « privilège de genre » de moins en moins accepté à l’ère « post-#MeToo », l’absence d’équité dans la division sexuelle du travail domestique suscite aujourd’hui un niveau d’opprobre social tel que le principe même que la justice puisse s’immiscer dans la sphère privée des Français(es) fait son chemin dans l’opinion. Certes, l’avis des Français sur le sujet reste partagé mais l’idée de l’ex-candidate à la primaire écologiste est loin de susciter une levée de boucliers ou d’apparaître comme l’expression « d’un principe d’un régime totalitaire » (Pascal Praud, CNews). En attendant que la prochaine étude « Emploi du temps » de l’INSEE (prévue pour 2023-2024) mesure l’impact que la révolution culturelle actuelle a dans un domaine – le travail domestique – où les inégalités de genre ont longtemps peu évolué, cette enquête a le mérite de montrer que la société est prête à changer à l’égard d’un problème du quotidien qui peut affecter lourdement la vie intime des Français. En cela, en mettant exergue une inégalité de genre qui est le produit historique d’une domination masculine ayant toujours assigné les femmes à la sphère du foyer, le déséquilibre des tâches et des rôles dans la division du travail domestique semble, dans le contexte électoral actuel, loin d’être un sujet à prendre à la légère ».

 

François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop

 

*Enquête menée par l’Ifop pour Consolab du 28 au 31 mars auprès de 1 992 personnes (dont 1 297 vivant en couple sous le même toit que leur conjoint) représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus.

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