Selon un rapport de la Cour des Comptes, l’avenir de la filière volaille, touchée par les importations et les crises sanitaires, dépend de mesures urgentes par les services publics pour sa modernisation et sa compétitivité.
La filière volaille de chair occupe une place stratégique dans l’agriculture française. Avec une consommation en constante augmentation et un secteur en pleine mutation, cette filière fait face à des défis économiques, sanitaires et environnementaux majeurs. Les enjeux de compétitivité, de modernisation et de durabilité sont au cœur des préoccupations pour cette filière qui emploie près de 100 000 personnes en France. Alors que la production nationale peine à suivre la demande, les importations continuent de croître. Cet article propose une analyse approfondie des défis auxquels la filière est confrontée, et des soutiens publics dont elle bénéficie pour surmonter ces obstacles.
Une consommation de volaille en forte croissance : un atout pour la filière
La viande de volaille est devenue incontournable dans l’alimentation des Français. En effet, la consommation de volaille a augmenté de 54 % entre 1999 et 2022. Cette progression s’explique en partie par le coût relativement bas de la viande de volaille, ce qui en fait une option privilégiée pour les ménages, surtout dans un contexte de pression économique et de hausse des prix alimentaires. En 2022, ce sont près de 1,9 million de tonnes de viande de volaille qui ont été consommées en France, représentant une consommation moyenne de 28,3 kg par habitant. La volaille se positionne ainsi comme la deuxième viande la plus consommée après le porc.
Cette hausse de la consommation est particulièrement portée par la restauration hors domicile (RHD), où les produits transformés tels que les nuggets, les découpes et autres produits élaborés connaissent un fort succès. La restauration rapide, les chaînes spécialisées dans le poulet et l’augmentation des repas pris à l’extérieur alimentent cette tendance. En 2022, 25 % des volailles consommées en France provenaient de la restauration hors domicile, contre seulement 7 % en 2005.
Une production nationale stagnante : une dépendance croissante aux importations
Malgré cette forte demande, la production nationale de volaille est restée stagnante depuis 2009, avec une production annuelle stable autour de 1,5 million de tonnes. Ce contraste entre consommation et production explique une hausse considérable des importations pour combler l’écart. En 2022, plus de 850 000 tonnes de viande de volaille ont été importées, ce qui représente désormais 50 % du poulet consommé en France. Ce phénomène est encore plus marqué pour les segments des produits transformés et des découpes, qui ne sont pas suffisamment couverts par la production nationale.
Cette dépendance croissante aux importations provient principalement des pays de l’Union européenne, avec en tête la Pologne, la Belgique et les Pays-Bas. Ces pays ont su développer des infrastructures modernes et de grande capacité, avec des abattoirs traitant jusqu’à 750 000 poulets par jour en Pologne, contre seulement 300 000 à 550 000 par semaine pour les plus grandes installations françaises. Cette capacité industrielle accrue leur permet d’offrir des prix très compétitifs, défiant la filière française sur son propre marché.
Les flux d’importation indirects posent également des questions. Bien que les importations directes en provenance des pays tiers restent faibles, notamment du Brésil, de la Thaïlande ou de l’Ukraine, les viandes importées peuvent être transformées ou reconditionnées dans des pays européens avant d’être réexportées vers la France. Cette traçabilité imparfaite complique la quantification exacte des volumes provenant de ces pays, notamment dans un contexte de libéralisation des échanges avec l’Ukraine, ce qui accentue les préoccupations des producteurs français.
La compétitivité de la filière volaille : un défi majeur
La compétitivité prix de la filière volaille française est structurellement faible par rapport à ses voisins européens. Cela s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, les élevages et abattoirs français sont de taille plus modeste que ceux de leurs concurrents européens, ce qui les empêche de bénéficier d’économies d’échelle. Les coûts de production, notamment les coûts de main-d’œuvre et d’alimentation, sont également plus élevés.
La stratégie française de montée en gamme, amorcée dans les années 1980, a permis à la filière de se positionner sur des produits labellisés tels que le Label Rouge et le bio, qui représentent aujourd’hui une part significative de la production nationale. Environ 20 % des poulets produits en France sont labellisés, dont 49 % sous le Label Rouge et 13 % sous le label bio. Cependant, cette stratégie a un coût : les volailles labellisées sont plus chères à produire, et leur rentabilité est moins élevée que celle des poulets standards ou importés. De plus, la consommation de poulets labellisés a diminué de 12 % entre 2002 et 2022, reflétant un marché de plus en plus dominé par les produits transformés et les découpes standards, segments où la France est moins présente.
Des soutiens publics pour la filière volaille à la traîne : un Accompagnement insuffisant
La filière volaille de chair a longtemps été exclue des soutiens directs de la Politique Agricole Commune (PAC). Contrairement à d’autres filières agricoles, les éleveurs de volailles ne reçoivent que peu d’aides, celles-ci étant déconnectées de leur activité principale. En 2022, les éleveurs de volaille ne représentaient que 4 % du nombre total d’exploitations agricoles françaises, mais ne recevaient que 1,2 % des aides de la PAC, soit 102 millions d’euros. Les exploitations avicoles font donc partie des moins soutenues en termes de subventions.
Les plans d’investissement publics, tels que le Plan de Compétitivité et d’Adaptation des Exploitations Agricoles (PCAE) ou encore le Plan France Relance, ont permis de soutenir la modernisation de certains abattoirs, mais les montants alloués restent modestes : environ 40 millions d’euros ont été mobilisés pour moderniser principalement les petits abattoirs. De plus, ces aides ne ciblent pas toujours les secteurs les plus stratégiques ou porteurs pour la filière.
Un des rares mécanismes de soutien direct que la filière a reçu dans le passé était le système des restitutions à l’exportation, en vigueur jusqu’en 2013, qui subventionnait les exportations vers les pays tiers. L’arrêt de ce mécanisme a lourdement affecté les exportations françaises de viande de volaille, notamment vers des marchés historiques comme le Moyen-Orient. Depuis, la France a perdu son statut de premier exportateur européen de volaille, avec des volumes d’exportation divisés par deux au cours des deux dernières décennies.
La gestion des crises sanitaires : l’exemple de l’influenza aviaire
Un autre défi majeur pour la filière volaille est la gestion des crises sanitaires, en particulier les épidémies d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP), qui se sont multipliées depuis 2015. Ces crises ont eu des effets dévastateurs sur la filière, provoquant l’abattage de millions de volailles et perturbant gravement la production. Depuis 2020, ces crises se sont intensifiées, affectant non seulement les élevages du Sud-Ouest, mais aussi ceux du Nord-Ouest, avec des effets économiques qui perdurent sur le long terme.
Les aides publiques mises en place pour répondre à ces crises ont atteint près de 500 millions d’euros, mais la question de la soutenabilité de ces dispositifs se pose. Alors que la fréquence et l’intensité des crises augmentent, une réflexion stratégique concertée entre l’État, les régions et les professionnels devient impérative pour garantir la résilience de la filière face à ces aléas.
Quelle stratégie pour l’avenir ? Une nécessité de clarification et de coordination des soutiens publics pour la filière volaille
Face à ces multiples défis, des réflexions sont en cours pour redéfinir la stratégie de la filière volaille en France. Un consensus semble émerger sur la nécessité d’une meilleure coordination entre les pouvoirs publics et les acteurs privés, afin de mettre en place une stratégie cohérente et adaptée aux réalités du marché mondial et des attentes des consommateurs. La montée en gamme, bien que prometteuse, doit être mieux valorisée à l’export et bénéficier d’un soutien accru sur le marché intérieur.
En parallèle, des efforts de modernisation des infrastructures, une meilleure gestion des crises sanitaires, ainsi qu’une plus grande attention à la traçabilité des produits importés sont indispensables pour renforcer la compétitivité et la résilience de la filière. Le rapport de la Cour des comptes recommande notamment la mise en place d’un outil statistique permettant de suivre l’évolution de la production, des performances économiques et environnementales
Sources : La Cour des Comptes