A l’occasion de la Journée mondiale sans téléphone portable, une réflexion s’impose sur la relation objectale que nous entretenons avec le mobile. Freud aimait à l’analyser comme la manifestation des pulsions. Pulsions et impulsions téléphoniques ont souvent parties liées. Analyse d’un usage sociétal tout autant que symbolique.
En 1876, Graham Bell invente le téléphone, reliant pour la première fois les hommes entre eux, indifféremment des distances. Moins d’un siècle plus tard, les États-Unis donneront la maturité suffisante à la portabilité du téléphone pour le rendre mobile. L’industrialisation et la standardisation en feront rapidement un outil de communication de première nécessité. La fin des opératrices, du télégramme et des cabines téléphoniques signent notre ère et font presque office d’antiquités, trouvant leur place dans l’histoire muséale des télécommunications. Pulsions et impulsions téléphoniques : le portable, d’abord signe d’appartenance sociale réservé à des sociotypes identifiables, est devenu avec le smartphone, un produit grand public et pour ainsi dire transgénérationnel.
84% des Français utilisaient un smartphone en 2020 selon le Baromètre du Numérique. Et l’on trouve tout de leur vie sur ce qui est presque une troisième main à tout faire : photos, mails, carte de crédit, applications de toutes les natures. Prolongement existentiel, il aide à vivre mais renforce t-il vraiment la communication interpersonnelle ? Il est tout d’abord un facteur dangereux en matière d’attention lors de la conduite automobile, mobilisant le système cognitif et neurologique sur deux tâches simultanées. De même, il est un élément de distraction et un modèle d’évitement au travail ou dans nos relations sociales par une émission/réception permanente d’informations volontaires des utilisateurs ou générées par les applications.
Le smartphone, ce média à part entière
Sans vouloir tomber dans la caricature, il a remodelé notre vie en société en accentuant le manque de savoir-vivre, les conflits entre connectés et non usagers. De même, il a conduit à des mesures de prévention et de répression dans l’espace public. Pour autant, le smartphone rend beaucoup plus accessible les savoirs et leur partage par le web mais aussi l’accès à l’information, à condition que ces derniers soient convenablement sourcés. Pour ainsi dire, il autonomise l’individu dans ses démarches quotidiennes, en cela qu’il est désormais un média à part entière. L’utilisateur est, sans le savoir, citoyen du monde tout en étant dépendant de sa borne de relais tout à côté de chez lui. Le mobile questionne donc le rapport au temps et à l’espace. Pour autant, il est fondamental d’en réguler l’usage dans la sphère familiale et intime. Car son intrusion permanente dans ces deux espaces à tendance, sur le plan neuropsychologique, à modifier ce qu’on appelle nos modèles d’attachement à nos parents ou à nos proches, relativisant les temps d’échanges verbaux et leurs intentions conscientes.
Veiller au bon développement neurolinguistique
De même, qu’il ne fixe pas le tour de parole chez les plus jeunes au moment des repas ; élément capital de la psychologie comportementale et alimentaire. Laisser créer des attachements sécures par le biais du mobile auprès des enfants et des adolescents va entraîner une distorsion entre ce qui est réellement vécu et ce qui relève du virtuel. Sans priver ces derniers de rapports sociaux avec leurs semblables, il convient de faire du portable un outil de responsabilisation, avec des limites d’utilisation permettant la communication intrafamiliale, la préservation de temps de sommeil et le bon développement cognitif permis par le milieu scolaire. Enfin, de veiller à leur environnement neurolinguistique de sorte à préserver une expression de la langue française la plus conforme à la norme de compréhension grammaticale et orthographique. Si le smartphone peut être vu comme un gadget, il peut être aussi une arme de destruction massive de nos ados dans leur relationnel, dans leurs relations sentimentales et amoureuses. Pour les seniors, si on observe une familiarisation progressive aux technologies, il demeure un outil de communication classique qui n’a pas éprouvé leur perception du réel et leur soif de contacts interpersonnels ou de groupe.
En conclusion, loin d’établir et de dicter des conduites d’usages, nous conviendrons que la journée mondiale sans portable peut faire sourire. Pour autant, elle joue le rôle de l’attention vigile pour nous faire prendre conscience de la relation entretenue avec l’objet. Une relation objectale que Freud aimait analyser comme la manifestation des pulsions. Pulsions et impulsions téléphoniques ont souvent parties liées. Méditons sur la symbolique de l’usage : un objet ne manque à sa place, comme on le dit d’un livre sur le rayon d’une bibliothèque, que parce qu’il devrait être là…
Cyrille Darigade