Quels sont les produits de maquillage dangereux pour la santé ?

Wecf France, qui a déjà enquêté sur des produits cosmétiques bébé et solaires enfants, publie aujourd’hui une nouvelle enquête sur les cosmétiques féminins. L’association a mené une analyse experte de l’étiquetage de 47 produits de maquillage : 17 BB crèmes, 15 anticernes et 15 mascaras, dont l’usage n’a pas faibli avec la crise sanitaire. Alors, quels sont les produits de maquillage dangereux pour la santé ? Réponses.

Les produits de maquillage sont utilisés au quotidien par de nombreuses femmes, y compris enceintes, ou ayant des projets de grossesse. Ils font partie des produits de consommation courante qui contribuent à l’exposition de la future maman et de l’enfant à naître à des substances pouvant parfois être problématiques pour la santé, tels que de potentiels perturbateurs endocriniens.

Trop de substances problématiques dans les produits de beauté

• Sur les 47 produits dont nous avons examiné la composition, nous avons identifié 37 substances problématiques. Sur ces 37 substances, nous en avons classé 13 très préoccupantes (ROUGE), 9 préoccupantes (ORANGE) et 15 assez préoccupantes (JAUNE). 7 sont des perturbateurs endocriniens très préoccupants.
• Les BB crèmes sont la famille la plus problématique. Sur les 17 examinées, 6 contiennent au moins 10 substances problématiques. 10 BB crèmes contiennent au moins 5 substances très préoccupantes ou préoccupantes.
• Sur les 15 anticernes objets de l’enquête, 5 contiennent au moins 5 substances problématiques. 3 contiennent au moins 5 substances très préoccupantes ou préoccupantes.
• Aucun des 15 mascaras de l’enquête ne contient plus de 4 substances problématiques. 3 références ne contiennent aucune substance problématique.
• 11 produits de l’enquête, dont 8 produits bio, ne contiennent pas d’ingrédients plastiques.
• Les produits bio de l’enquête s’en sortent globalement mieux, étant principalement concernés par la problématique du dioxyde de titane (préoccupant) et des allergènes de parfums assez préoccupants.

Wecf a sélectionné et acheté 47 produits en mai 2021, dont un certain nombre en ligne du fait du contexte sanitaire, à la fois en grande distribution, parfumerie, (para)pharmacie et enseignes bio. L’association a décrypté les étiquettes, recensé la liste des ingrédients et identifié des substances problématiques en se basant sur la littérature scientifique disponible : perturbateurs endocriniens, nanoparticules, allergènes, substances aux effets néfastes pour l’environnement, etc.

Les BB crèmes, famille la plus problématique

Sur les 17 BB crèmes examinées, 6 contiennent au moins 10 substances problématiques, le record étant de 13 substances problématiques pour une référence. 10 BB crèmes contiennent au moins 5 substances très préoccupantes ou préoccupantes. Une seule BB Crème bio ne contient aucune substance très préoccupante ou préoccupante.

Les BB crèmes

Classement alphabétique par marques Substances très préoccupantes Substances préoccupantes

Substances assez préoccupantes

Les anticernes

Les mascaras

Perturbateurs endocriniens (PE) : toujours peu réglementés

Un PE est défini par l’ OMS comme « une substance ou un mélange exogène qui altère une/(des) fonction(s) du système endocrinien et cause en conséquence des effets néfastes sur la santé d’un organismeintact, sa descendance ou des (sous) populations».6 Leur mise en cause dans de nombreuses maladies et troubles (cancers, diabète, obésité, troubles de la reproduction, du comportement, respiratoires, du développement, associée à leur caractère ubiquitaire, leurs effets à de très faibles doses et en mélanges, notamment lors de périodes critiques du développement, en font des substances à éviter, et à réglementer plus largement. Une réglementation des PE en cosmétique était prévue au niveau européen « au plus tard le 11 janvier 2015 ». La Commission européenne a publié une Stratégie succincte en matière de PE7 et un rapport sur les PE en cosmétique.8 Par la suite, après consultation des Etats membres, elle a publié une liste prioritaire de 28 substances utilisées en cosmétique, à évaluer : groupe A (14 substances prioritaires pour l’évaluation9) et B (14 substances10 pour lesquelles aucune évaluation n’a débuté, ou pour lesquelles le risque identifié porte sur l’environnement, et non la santé humaine). L’enquête montre la présence de 7 perturbateurs endocriniens dans les 13 substances que nous avons classées très préoccupantes. Ils sont souvent présents en mélanges.

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Nanoparticules : le défaut d’étiquetage est-il courant ?

L’article 2 du règlement européen cosmétiques définit un nanomatériau comme : « un matériau insoluble ou bio-persistant, fabriqué intentionnellement et se caractérisant par une ou plusieurs dimensions externes, ou une structure interne, sur une échelle de 1 à 100 nm ». La taille nanométrique des ingrédients leur donne des propriétés intéressantes qui justifient le recours qu’en font les fabricants de produits cosmétiques. Dans un avis de janvier 2021, le SCCS fait le point sur la sécurité de l’usage des nanomatériaux en cosmétique, et en cible certains comme prioritaires pour l’évaluation des risques.11 Les autorités de contrôle (DGCCRF) et de sécurité (ANSM) nationales ont encore récemment rappelé aux fabricants leurs responsabilités en matière d’usage de nanomatériaux dans les cosmétiques, portant sur les obligations d’étiquetage, la charge de la preuve ou encore la pertinence des méthodes d’analyse.

La présence de silice (non nanoparticulaire) est indiquée dans 10 BB crèmes, 6 anticernes et 7 mascaras de notre enquête. Sa forme nanoparticulaire n’apparaît que dans nanoparticulaires, sur le respect de l’obligation d’étiquetage [nano] par les fabricants. Le dioxyde de titane non nanoparticulaire apparaît dans 16 BB crèmes, 9 mascaras et tous les anticernes de notre enquête. Se pourrait-il que certains d’entre eux contiennent en réalité du dioxyde de titane nanoparticulaire ? La DGCCRF signale en effet régulièrement des défauts d’étiquetage des ingrédients nanoparticulaires lors de ses contrôles de produits cosmétiques.

Allergènes : un étiquetage et une réglementation à renforcer

Près de 2500 fragrances seraient utilisées en cosmétiques. Certaines fragrances allergènes sont interdites en cosmétique. 26 autres sont soumises à restrictions et obligatoirement mentionnées sur l’étiquette.13 Le terme « parfum/fragrance » est lui obligatoire au-delà d’une certaine concentration. En 2012, le SCCS identifie 62 substances supplémentaires comme allergènes connus par contact pour l’être humain, et en cible 20 (12 substances chimiques et 8 extraits naturels) comme particulièrement préoccupantes,14  demandant leur étiquetage obligatoire, y compris pour leurs dérivés. Trois particulièrement préoccupantes, déjà soumises à restriction, le HICC, l’atranol et le chloroatranol sont totalement interdites depuis le 23 août 2021. Un rapport rendu pour le compte de la Commission européenne en novembre 202015 préconise d’élargir sans délai la liste des allergènes à indiquer, suivant l’avis du SCCS, que ce soit sur les emballages, le produit ou bien par voie numérique. Notre enquête révèle la présence de nombreux allergènes que nous considérons assez préoccupants, souvent présents en mélanges, dans un très grand nombre de BB crèmes notamment.

(Micro)plastiques : trop présents dans les produits !

Nylon, polyéthylène, polyuréthane, polyacrylates, silicones…nous avons identifié dans les produits de notre sélection environ une cinquantaine de polymères de synthèse. Ces matières microplastiques, interdites en cosmétique bio remplissent des fonctions diverses : agent filmogène, contrôle de la viscosité, agent fixant d’autres ingrédients, opacifiant, etc. Leur usage est courant comme l’atteste un rapport de 2015.16 Les émissions de microplastiques constituent une menace majeure pour l’environnement aquatique dans lequel ils s’accumulent et persistent durant des décennies. Ils envahissent la chaîne alimentaire, créent des atteintes irréversibles à la faune marine et véhiculent d’autres polluants persistants. Leur présence dans notre alimentation17 et notre corps a fait l’objet de plusieurs études scientifiques, avec des conséquences pour la santé18 encore peu évaluées.

Au niveau règlementaire, après une première interdiction des microbilles de polystyrène dans les cosmétiques exfoliants, un projet d’interdiction des microplastiques devrait aboutir très prochainement dans l’UE19 : il concerne les microplastiques définis comme inférieurs à 5 mm, non solubles dans l’eau et non dégradables, présents dans des produits dont l’usage implique le rejet dans l’environnement. Un collectif d’ONG dont Wecf20 a demandé à la Commission européenne de réduire les délais de transition qui seraient accordés au secteur cosmétique, où les services rendus par les microplastiques ne sont pas essentiels et disposent d’alternatives plus écologiques.

L’association a identifié une cinquantaine d’ingrédients plastiques dans 36 des 47 produits.

Avertir les consommateurs

Voici quelques-unes des principales demandes de l’association :

• Interdire les ingrédients que nous avons classés très préoccupants dont les perturbateurs endocriniens suivants : benzyl salicylate, BHT, butylphenyl methylpropional, ethylhexyl methoxycinnamate, ethylparabène, méthylparabène, octocrylène.
• Mettre en place un logo d’avertissement pour les femmes enceintes, similaire à celui existant pour l’alcool, sur les produits cosmétiques contenant des ingrédients suspectés d’être des perturbateurs endocriniens.
• Renforcer les travaux de recherche et d’expertise de l’ANSM et de l’ANSES pour identifier les risques liés à l’usage des produits cosmétiques contenant des ingrédients problématiques, spécifiquement pour les femmes enceintes.

SOURCES

1. Voir notamment le webinaire « Santé-environnement : mieux protéger les 1000 premiers jours » organisé par Wecf France le 29 juin 2021, https://wecf-france.org/les-1000-premiers-jours-au-coeur-de-la-prevention-en-sante-environnement/
2. « Le marché du maquillage, victime collatérale inattendue du Covid-19 ? », 20 Minutes, 12 juin 2020, https://www.20minutes.fr/ arts-stars/mode/2798203-20200612-marche-maquillage-victime-collaterale-inattendue-covid-19
3. « Cosmétiques : comment la pandémie a bousculé les habitudes d’achat des Français », 18 mai 2021, La Dépêche, https://www. ladepeche.fr/2021/05/18/cosmetiques-comment-la-pandemie-a-bouscule-les-habitudes-dachat-des-francais-9552071.php
4. « Dictionnaire égoïste des cosmétiques », Laurence Coiffard, Celine Couteau, https://books.google.fr/ books?id=wfeGDAAAQBAJ&pg=PA33&dq=bb+cream+inventeur#v=onepage&q=bb%20cream%20inventeur&f=false
5. Doctipharma : https://www.doctipharma.fr/conseils-de-pharmacien/article/bb-creme-cc-creme-dd-creme-quelles-differences- laquelle-choisir
6. Endocrine Disrupting Chemicals, Summary for Decision makers, Edited by Åke Bergman, Jerrold J. Heindel, Susan Jobling, Karen A. Kidd, R. Thomas Zoeller WHO/UNEP, 2012
7. Communication de la Commission européenne, Vers un cadre complet de l’Union européenne en matière de perturbateurs endocriniens, COM 2018 (734) final, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX:52018DC0734
8. Rapport de la Commission européenne au Parlement et au Conseil européens, COM 2018 (739) final, Révision du règlement (CE) N°1223/2009 relatif aux produits cosmétiques en ce qui concerne les substances présentant des propriétés perturbant le système endocrinien, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52018DC0739&from=EN
9. Benzophenone-3, acide kojique, 4-methylbenzylidene camphor, propylparabène, triclosan, résorcinol, octocrylène, triclocarban, BHT, benzophenone, homosalate, benzyl salicylate, génisteine, daidzéine.
10. Butylparabène, BHA, ethylhexyl methoxycinnamate (EHMC)/octylmethoxycinnamate (OMC)/octinoxate, benzophenone-1, benzophenone-2, benzophenone-4, benzophenone-5, methylparabène, cyclopentasiloxane/ decamethylcyclopentasiloxane/D5, cyclomethicone, acide salicylique, butylphenyl methylpropianol/BMHCA, triphenyl phosphate et deltaméthrine.
11. Scientific advice on the safety of nanomaterials in cosmetics, SCCS, janvier 2021, Corrigendum mars 2021, https://ec.europa. eu/health/sites/default/files/scientific_committees/consumer_safety/docs/sccs_o_239.pdf
12. Note d’information pour l’application de la définition des nanomatériaux dans le cadre du règlement (CE) N°1223/2009 relatif aux produits cosmétiques, DGCCRF/ANSM, 5 juillet 2021, https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/la-dgccrf-et-lansm- publient-une-note-dinformation-relative-la-definition-des-nanomateriaux
13. Annexe III, entrées 67 à 92 de l’actuel règlement cosmétiques. Il s’agit de : amyl cinnamal, amyl cinnamal alcohol, anise alcohol, benzyl benzoate, benzyl cinnamate, benzyl salicylate, butylphenyl methylpropional, cinnamal, cinnamyl alcohol, citral, citronellol, coumarin, eugenol, farnesol, geraniol, hexyl cinnamal, HICC (hydroxysohexyl carboxaldehyde), hydroxycitronellal, isoeugenol, alpha-isomethyl ionone, (DL)-limonene, linalool, methyl 2-octynoate, evernia furfuracea extract (tree moss extract), evernia prunastri extract (oak moss extract).
14. Les 12 substances sont : cinnamal, cinnamyl alcohol, citral, coumarin, eugenol, farnesol, geraniol, hydroxycitronellal, HICC, isoeugenol, limonene, linalool.
15. Impact assessment study on fragrance labelling on cosmetic products, final report, novembre 2020, VVA, Ecorys, ConPolicy, https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/71005243-433b-11eb-b27b-01aa75ed71a1/language-en
16. Plastic in cosmetics, UNEP, 2015, https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/9664/-Plastic_in_cosmetics_Are_ we_polluting_the_environment_through_our_personal_care_-2015Plas.pdf
17. Sur leur présence dans les fruits de mer, voir notamment : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30116998/
18. Environmental exposure to microplastics: An overview on possible human health effects, https://pubmed.ncbi.nlm.nih. gov/31733547/
19. https://echa.europa.eu/hot-topics/microplastics – https://echa.europa.eu/-/scientific-committees-eu-wide-restriction-best-way-to- reduce-microplastic-pollution
20. https://eeb.org/library/ngo-position-on-eu-restriction-of-microplastic/
21. US Supreme Court rejects J&J talc cancer case appeal, 1 juin 2021, BBC News, https://www.bbc.com/news/business-57322979
22. Les géants de la cosmétique prêts à renoncer à la poudre de talc accusée d’être un cancérigène, L’Usine nouvelle, juin 2020, https:// www.usinenouvelle.com/article/les-geants-de-la-cosmetique-prets-a-renoncer-a-la-poudre-de-talc-accusee-d-etre-un-cancerigene. N973546
23. https://echa.europa.eu/fr/-/grouping-of-chemicals-speeds-up-regulatory-action