Des chercheurs de l’Inserm et de l’université de Bordeaux viennent de montrer que la pollution atmosphérique augmente le vieillissement oculaire et ses effets néfastes sur le système nerveux central et le risque de glaucome est accru. Explications.
La pollution atmosphérique a un impact considérable sur la santé publique. De plus en plus d’études mettent en évidence les effets néfastes de cette pollution sur le système nerveux central, notamment en ce qui concerne les maladies neurodégénératives et les troubles neurodéveloppementaux. Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Inserm et de l’université de Bordeaux s’est penchée spécifiquement sur le lien entre pollution atmosphérique et glaucome, la deuxième cause de cécité dans le monde. Les résultats révèlent une corrélation que la pollution atmosphérique augmente le vieillissement oculaire. En effet, l’exposition aux particules fines et un amincissement accéléré de la couche des fibres nerveuses de la rétine, suggérant ainsi une augmentation du risque de glaucome chez les habitants des zones polluées, même à des niveaux inférieurs aux seuils réglementaires actuels. Ces découvertes soulignent l’importance de réduire les seuils de pollution atmosphérique et d’approfondir les recherches sur les effets des polluants sur le vieillissement oculaire.
L’étude sur l’impact de la pollution atmosphérique sur le glaucome
Méthodologie de l’étude et résultats obtenus
Dans une étude portant sur une cohorte composée de 683 personnes âgées bordelaises, dont le suivi a duré dix ans, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université de Bordeaux, au centre de recherche Bordeaux Population Health, ont mis en évidence un amincissement accéléré de la couche des fibres nerveuses de la rétine chez les personnes plus exposées à la pollution atmosphérique, notamment celles qui avaient une plus grande exposition aux particules fines (particules d’un diamètre inférieur à 2,5 microns = PM2,5). Cette étude suggère donc une possible augmentation du risque de glaucome pour les habitants des zones polluées aux particules fines, et ce même à des niveaux inférieurs aux seuils réglementaires actuels de l’Union européenne (25 microgrammes/mètre cube).
La couche des fibres nerveuses de la rétine (RNFL) fait partie du système nerveux central, et son amincissement représente la principale caractéristique du glaucome[1], une maladie de l’œil associée à la destruction progressive de votre nerf optique, le plus souvent causée par une pression trop importante à l’intérieur de votre œil. Cette pathologie constitue la seconde cause de cécité dans les pays développés.
Des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université de Bordeaux ont étudié l’effet de votre exposition à des concentrations plus élevées de polluants de l’air (particules fines[1] et dioxyde d’azote) sur les processus neurodégénératifs au niveau de l’œil. Ils ont pour cela suivi pendant dix ans une population bordelaise de 683 personnes âgées de plus de 75 ans au moment de leur inclusion dans la cohorte Aliénor[2]. Il s’agit de la première étude prospective réalisée sur ce sujet.
Dans le cadre de cette étude, les participants ont bénéficié d’examens oculaires tous les deux ans entre 2009 et 2020, afin de mesurer l’évolution de l’épaisseur de la couche des fibres nerveuses de votre rétine.
Par ailleurs, l’exposition à la pollution atmosphérique au cours des 10 années précédentes a été déterminée à partir de l’ adresse de leur domicile, à l’aide de cartographies d’exposition annuelle pour chaque polluant. Ces cartographies détaillées, ayant une résolution de 100 mètres, ont été réalisées à partir des mesures de stations de contrôle de qualité de l’air et de caractéristiques météorologiques et géographiques (proximité d’une route, densité de population, distance de la mer, altitude…)[4].
Selon les résultats de cette étude, les personnes ayant été exposées à des concentrations plus élevées de particules fines avaient au cours du temps un affinement plus rapide de la couche nerveuse rétinienne. Ces résultats sont représentés sur la figure ci-dessus sur laquelle vous pouvez voir que les participants exposés à une concentration de 25µg/m3 aux particules fines PM2,5 avaient une diminution plus rapide de l’épaisseur de cette couche en comparaison à ceux exposés à 20 µg/m3.
Ces résultats suggèrent que votre exposition à une forte concentration de polluants au cours du temps pourrait augmenter votre risque de glaucome.
En ce qui concerne les particules fines PM2,5, les estimations de l’exposition moyenne sur 10 ans étaient inférieures au seuil annuel réglementaire de l’Union européenne (établi à un maximum de 25 μg/m3) pour tous les participants, mais supérieures aux valeurs limites recommandées par l’OMS en 2005 (10 μg/m3) encore abaissées en 2021 (5 μg/m3).
« Les résultats de cette étude confirment les observations précédentes sur les effets de la pollution atmosphérique sur les processus neurodégénératifs, ici au niveau oculaire. Ils constituent un argument supplémentaire en faveur de la baisse des seuils réglementaires européens[5], comme recommandé par l’OMS, ainsi que de la diminution de votre exposition effective, qui continue de dépasser par endroit les seuils réglementaires actuels. »
Laure Gayraud, doctorante en épidémiologie et première autrice de l’étude.
« De façon plus générale, notre étude documente les effets des polluants atmosphériques sur votre vieillissement neurologique. En prenant l’exemple du vieillissement oculaire, elle suggère qu’une exposition à des concentrations élevées de polluants au cours du temps pourrait mener à une accélération de votre vieillissement neurologique, comme cela a été observé dans des études sur le vieillissement cérébral. »
Cécile Delcourt, directrice de recherche à l’Inserm, dernière autrice de ces travaux.
L’objectif est désormais pour les scientifiques d’élargir le terrain d’étude à l’échelle nationale, grâce à des données issues d’autres cohortes françaises, afin d’approfondir les connaissances sur les effets des polluants sur votre vieillissement oculaire.
Sources :
[1] Pour aller plus loin, consultez le dossier sur le glaucome.
[2] Les particules fines correspondent aux PM2,5 dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns.
[3] L’étude Alienor est une étude épidémiologique en population générale âgée qui explore les relations entre les maladies oculaires liées à l’âge et autres déterminants majeurs de ces maladies (facteurs génétiques, nutritionnels, environnementaux ou vasculaires).
[4] Ces cartographies ont été précédemment réalisées par l’équipe de Kees de Hoogh et Danielle Vienneau du Swiss Tropical and Public Health Institute (co-auteurs de la publication).
[5],Les députés de la commission de l’environnement au sein du Parlement européen ont récemment voté en faveur de l’abaissement des seuils de plusieurs polluants à l’horizon 2030, dont les particules fines.
Les résultats sont publiés dans la revue Environmental Research.