Une étude Franco-Suisse révèle l’impact à long terme des inégalités socio-économiques après un cancer du sein.

 

Dans le monde de la santé, les inégalités sont omniprésentes, et le cancer du sein en est un exemple poignant. Prévention, dépistage, diagnostic, traitement et survie sont des étapes où les disparités se manifestent. Mais qu’en est-il de la qualité de vie après la maladie ? Une étude menée par une équipe franco-suisse de l’Université de Genève (UNIGE), des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), de l’Inserm et de Gustave Roussy a exploré ce sujet crucial. En suivant près de 6000 patientes pendant deux ans, leur recherche, publiée dans le Journal of Clinical Oncology, révèle que le statut socio-économique a un impact durable et profond sur la qualité de vie des femmes, malgré une prise en charge médicale identique.

Des résultats frappants

Les déterminants sociaux-économiques, comme le revenu et le niveau d’éducation, jouent un rôle majeur dans la manière dont les personnes affrontent la maladie. Ces facteurs constituent l’une des principales causes des inégalités en matière de santé. En oncologie, ces disparités sont présentes tout au long du continuum de soins, de la prévention au diagnostic, traitement et survie.

« On ignorait néanmoins l’impact des inégalités économiques sur la qualité de vie des personnes atteintes d’un cancer du sein », explique José Sandoval, oncologue aux HUG et chercheur à l’UNIGE. Cette étude a cherché à quantifier cet impact, tant au moment du diagnostic que dans les deux années qui suivent.

Suivi de 6000 femmes pendant deux ans

L’étude a suivi 5900 femmes traitées en France pour un cancer du sein précoce, un type de cancer fréquent avec un taux de guérison supérieur à 80%.

« De nombreuses femmes recevaient un traitement lourd la première année suivant leur diagnostic, puis une hormonothérapie la deuxième année. Nous les avons suivies pour analyser l’évolution des différences de qualité de vie », souligne Gwenn Menvielle, directrice de recherche à l’Inserm et à Gustave Roussy.

Une augmentation rapide des inégalités

Les chercheurs ont évalué cinq domaines de la qualité de vie : la fatigue, l’état général, l’état psychique, la santé sexuelle et les effets secondaires, en fonction de divers indicateurs socio-économiques. Les résultats sont clairs : au diagnostic, les inégalités de qualité de vie sont déjà significatives, avec un score de 6,7. Ce score grimpe à 11 pendant le traitement et se maintient à 10 deux ans après, révélant une augmentation et une persistance des inégalités.

Pourquoi des inégalités socio-économiques persistantes suite à un cancer du sein ?

Les raisons de ces inégalités ne se trouvent pas dans le traitement médical, identique pour toutes, mais dans le soutien environnant.

« Avoir le temps, l’argent et l’accès à l’information pour prendre soin de soi et gérer les effets secondaires est plus facile pour les femmes de statut socio-économique élevé », explique José Sandoval. Une mère de famille monoparentale à faible revenu, sans soutien pour ses enfants, aura plus de difficultés à surmonter les obstacles posés par la maladie.

 

Facteurs contribuant aux disparités

La combinaison de plusieurs facteurs socio-économiques a été examinée : le niveau d’études, le revenu du foyer en tenant compte du nombre de personnes dans le foyer, et la situation financière perçue. Ces éléments ont permis de déterminer un score où 0 indique l’absence d’inégalités.

« Si on s’attendait à une certaine inégalité au début de la maladie, le fait que ces inégalités augmentent rapidement et perdurent autant constitue une surprise », analyse José Sandoval. « L’impact sur la qualité de vie est beaucoup plus prononcé chez les femmes moins favorisées, quelles que soient les caractéristiques biologiques de leur cancer, leur âge ou le traitement reçu. »

 

Prendre en compte les inégalités lors de l’accès aux soins

Il est clair que l’accès égalitaire aux soins ne suffit pas à éliminer les inégalités. Le contexte socio-économique a un impact majeur sur l’état de santé, au même titre que les caractéristiques biologiques.

« Lorsque l’on parle d’oncologie de précision, il faudrait inclure la dimension sociale de la personne », ajoutent les auteurs.

Les données de cette étude, bien que provenant de France où l’accès aux soins est relativement égalitaire, soulignent l’importance de considérer les déterminants socio-économiques dans le soutien aux femmes atteintes d’un cancer du sein. Dans des pays sans système de santé universel, ces inégalités pourraient être encore plus prononcées.

 

Impact psychologique et physique

Le stress financier et l’incertitude économique peuvent exacerber les symptômes physiques et psychologiques du cancer du sein. Les femmes de statut socio-économique inférieur sont plus susceptibles de rencontrer des obstacles dans l’accès aux ressources de soutien, telles que la thérapie psychologique, la réhabilitation physique, et les groupes de soutien.

« Or, ces éléments influent sur la maladie et ses conséquences pour la santé physique et psychique des patientes », souligne José Sandoval.

La capacité à gérer les effets secondaires et à maintenir une bonne qualité de vie est étroitement liée aux ressources disponibles et au soutien social et économique.

Recommandations pour l’avenir

Les résultats de cette étude appellent à une meilleure prise en compte des déterminants socio-économiques dans les programmes de soutien aux femmes atteintes d’un cancer du sein. Les auteurs suggèrent plusieurs pistes pour réduire ces inégalités :

  • Renforcement du soutien psychologique et social : assurer un accès équitable aux services de soutien psychologique et social pour toutes les patientes.
  • Programmes de réhabilitation ciblés : développer des programmes de réhabilitation qui tiennent compte des différences socio-économiques.
  • Éducation et information : améliorer l’accès à l’information et aux ressources éducatives pour aider les patientes à mieux gérer leur traitement et leurs soins post-traitement.
  • Politiques de soutien économique : mettre en place des politiques pour soutenir financièrement les patientes en difficulté, notamment celles ayant des responsabilités familiales.

Cette recherche, partie de l’étude CANTO (Étude des Toxicités Chroniques des Traitements Anticancéreux chez les Malades Porteurs de Cancer Localisé), met en évidence les inégalités persistantes et croissantes dans la qualité de vie des femmes après un cancer du sein. Financée par le gouvernement français dans le cadre du programme « Investissements d’avenir » géré par l’Agence nationale de la recherche (ANR), cette étude appelle à une prise en compte renforcée des facteurs socio-économiques dans les programmes de soutien pour améliorer la vie des patientes au-delà de la maladie.

 

 

Sources :

The magnitude and temporal variations of socioeconomic inequalities in the quality of life after early breast cancer: results from the multicentric French CANTO cohort

 

 

1) Unit of Population Epidemiology, Division of Primary Care, Department of Health and Community Medicine, Geneva University Hospitals and Faculty of Medicine, University of Geneva, Geneva, Switzerland
2) Division of Oncology, Department of Oncology, Geneva University Hospitals, Geneva, Switzerland
3) INSERM, Gustave Roussy Institute, University Paris Saclay, Unit Molecular Predictors and New Targets in Oncology, Villejuif, France
4) Medical Oncology Department, Gustave Roussy Institute, Villejuif, France
5) Universidade Católica Portuguesa, Lisbon, Portugal
6) UNICANCER, Direction des Data et des Partenariats, Le Kremlin-Bicêtre
7) Institut Godinot, Reims, France
8) Institut Bergonié, Bordeaux, France
9) Institut régional du cancer de Montpellier – Val d’Aurelle, Montpellier, France
10) Centre Oscar Lambret, Lille, France
11) Institut de cancérologie de Lorraine – Alexis Vautrin, Vandoeuvre lès Nancy, France
12) Institut de Cancérologie de L’ouest -Site Angers, Angers, France
13) Institut Curie, Paris, France
14) Centre François Baclesse, Caen, France
15) Interdisciplinary department for the organization of patient pathways (DIOPP), Gustave Roussy Institute, Villejuif, France

 

 

Journal of Clinical Oncology, 18 juin 2024
DOI: 10.1200/JCO.23.02099