Site icon Santecool

Après la pandémie construire la société du « Care »

apres-la-pandemie-construire-la-societe-du-care

Il y a deux ans, la France entrait dans la vague épidémique et le premier confinement. Une telle privation de mouvements, même si les motifs ne sont pas comparables, n’avait été vécue depuis la Seconde Guerre mondiale. Quoiqu’un champ lexical relatif au conflit a été employé par le Président de la République : “nous sommes en guerre”. Notre pays s’est arrêté soudainement, se limitant aux activités dites essentielles. La société du speed a fait place au repli chez soi. Le manque s’est comblé par le zoom. Nous avons touché du doigt les ravages de  la solitude, agression physique tout autant cérébrale et vérifié que l’altérité est une stimulation biologique[1].

Il y a deux ans, la France entrait dans la vague épidémique et le premier confinement. Une telle privation de mouvements, même si les motifs ne sont pas comparables, n’avait été vécue depuis la Seconde Guerre mondiale. Quoiqu’un champ lexical relatif au conflit a été employé par le Président de la République : “nous sommes en guerre”. Notre pays s’est arrêté soudainement, se limitant aux activités dites essentielles. La société du speed a fait place au repli chez soi. Le manque s’est comblé par le zoom. Nous avons touché du doigt les ravages de  la solitude, agression physique tout autant cérébrale et vérifié que l’altérité est une stimulation biologique[1].

J’ai travaillé pendant ces 24 derniers mois à la manière d’un sociologue observant les hommes et la société. En voici quelques fragments. Tout d’abord, cette pandémie nous a traversé différemment selon notre catégorie sociale. Celle-ci est  se constitue aujourd’hui par le diplôme, comme l’explique Boris Cyrulnick, neuropsychiatre. Dans les années d’après-guerre, c’était le corps qui représentait la position sociale. La grande majorité des Français travaillait à l’usine ou encore à la mine pendant 15 heures par jour. Un ouvrier sur trois était une femme et si elle restait à la maison, son temps de travail s’estimait entre 12 et 14 heures par jour. Aujourd’hui, notre hiérarchie sociale se réalise par le diplôme, qui organise notre société. Il conditionne l’accès à un métier convenable, à un logement agréable, à des conditions de vie sécurisantes.  Ceux des Français qui bénéficient de cet environnement furent en mesure de mieux amortir les différents confinements. Ils ont acquis des facteurs de protection culturels avant le virus qui leur permettent d’enrichir un quotidien modifié : lire, écouter de la musique, écrire, cuisiner, jardiner…Les exemples ne manquent pas pour prouver leurs facultés d’adaptation En revanche, les Français sous diplômés, aux métiers ingrats ou instables, mal payés, ne disposaient pas d’un logement propice au repos, ni d’assurance en l’avenir. Traumatisés par le virus et les inégalités sociales, ils ont mal traversé cette période.

Catastrophe culturelle

Ces inégalités sociales n’ont pas forcément été prises en compte par les pouvoirs publics. Le déconfinement a fait écran à cette fracture car la vie a repris son rythme d’avant. Il n’y a plus d’applaudissements aux fenêtres en soutien aux soignants. Pourtant, les dysfonctionnements de notre système hospitalier sont loin d’être réglés. Bien sûr, les personnels ont bénéficié du Ségur de la Santé, mais le mal est plus profond et ne peut se résoudre par des enveloppes financières, fussent-elles facteur de reconnaissance pour l’investissement sans faille du corps médical. En réalité, plus qu’une crise, nous venons de vivre plutôt une “catastrophe culturelle” diffusée par notre manière de vivre. Allons nous remettre la poursuivre comme avant ou imaginer une autre solution pour reprendre notre développement ? Sur le plan historique, les ethnologues, les économistes, les historiens de même que les prévisionnistes vont avoir une équation à résoudre. En effet, l’histoire montre que le continuum volontaire après une catastrophe conduit à la reproduire. Après la guerre de 1914-1918, nous avons préparé les ferments de la guerre de 1940. Les épidémies de peste, combattues, ont connu des effets de ressacs pour revenir en force. Quid de la COVID-19 ? En vérité, “nous refusons souvent de croire à la réalité du danger, même si nous en constatons tous les jours la présence”, constate avec justesse Jean-Pierre Dupuis, Professeur de science politique à l’université Stanford. Il ajoute même que “face à cette situation inédite, la théorie du risque ne suffit plus : c’est à l’inévitabilité de la catastrophe et non à sa simple possibilité que nous devons désormais nous confronter[1]”.

Désert de sens

L’heure du réveil a donc sonné face au déni, car l’hexagone semble marqué par ce que Jules Michelet appelait le “désert de sens”[2]. Pour autant, après toute catastrophe, il est possible de tout repenser. Boris Cyrulnik évoque à juste titre que les groupes sociaux sont en capacité de changer. A l’instar de l’épidémie de peste qui conduisit le roi Louis le Hutin à abolir le servage en 1315 pour valoriser et motiver la paysannerie. Ou encore le séisme de 1755 survenu à Lisbonne qui obligea les autorités et les habitants à repenser leur ville et son architecture.  Nous pensons donc que le déclassement vécu par une partie de nos compatriotes n’est pas une fatalité si nous savons favoriser les équilibres[3].

Imaginer la société du “care”

C’est pourquoi, il nous faut tendre vers la société du “care”. Une nation où l’on ne s’abandonne pas dans  le “désert de sens” mais en privilégiant des liens entre les êtres. Cette renaissance est possible si l’on s’occupe des personnes en difficulté ou en souffrance. L’État doit promouvoir la prise en charge du grand âge dont le scandale ORPEA n’a été que la révélation d’un iceberg pourtant bien visible depuis des années. D’autant qu’en pleine épidémie, nous avons vécu avec nos grands-parents, un “adieu interdit”, alors qu’ils étaient dans la dernière trajectoire de leur vie[4]. Soutenir aussi l’enfance dès les 1000 premiers jours, par une politique centrée autour de l’enfant, de son développement harmonieux qui garantit simultanément aux parents un quotidien apaisé. Pourquoi durant les 1000 jours d’existence ? Parce qu’ils constituent une période sensible pour l’enfant, pour son développement et sa sécurisation et contiennent les prémices de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de sa vie. Précisément, sa construction psychique, affective, cognitive et sociale[5].  Plus généralement, cette crise nous a montré combien l’Homme seul n’existe pas et que nous avons besoin des autres pour être vivants. Renouer avec des lieux de paroles, où l’attachement peut se créer, serait le tranquillisant le plus naturel qui puisse exister. C’est pourquoi, la société du Care est indispensable car elle se fonde sur le « prendre soin » où l’on comprend que nos interdépendances sont des forces. Cynthia Fleury, psychiatre, exposait récemment cette vision humaniste de la vulnérabilité, inséparable de la puissance régénératrice des individus[6]. Elle a mené une réflexion sur l’hôpital où l’on naît, on se soigne et où l’on meurt, “sur les pratiques du monde soignant et sur les espaces de formation et d’échanges qui y sont liés, où les humanités doivent prendre racine et promouvoir une vie sociale et politique fondée sur l’attention créatrice de chacun à chacun”.

Cette société du “prendre soin” n’évitera sans doute pas le prochain virus mais l’humanité, dotée d’anticipation, mettra à profit l’expérience vécue durant la COVID-19 et saura mieux soigner ses blessures, pour reprendre son développement. C’est que l’on appelle aussi la résilience ou la psychologie positive.

 

Sources :

[1] Phénomène déjà démontré en 1981 et qui a permis à Hubel et Wiesel de recevoir le Prix Nobel de physiologie/médecine pour « leurs découvertes concernant le traitement de l’information dans le système visuel »

[2] DUPUIS Jean Pierre, “Pour un catastrophisme éclairé”, éditions du Seuil, 2004.

[3] La Sorcière, Chapitre III, Jules Michelet.

[4] L’Heure Bleue, émission de Laure Adler, Retour sur le traumatisme de l’épidémie, France Inter, 28 juin 2021

[5] HENNEZEL Marie, l’adieu interdit, édition Plon, 2020

[6] Rapport des 1000 premiers jours par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, et 18 expertes (spécialistes de l’éducation ou de l’éveil des enfants, sages-femmes, accompagnants sociaux des parents, pédiatres, cliniciens spécialistes de la grossesse) remis en septembre 2020 au Gouvernement.

[7] FLEURY Cynthia, Le soin est un humanisme, édition Gallimard, 2019.

 

 

Cyrille Darigade

Quitter la version mobile