Le congé menstruel, vraie ou fausse bonne idée ? Enquête sur les difficultés à vivre ses règles au travail et l’attrait des salariées pour le congé menstruel.
Si l’Espagne fait figure de pionnière en Europe, il n’y a pas encore en France de projet de loi visant à donner aux femmes la possibilité de bénéficier d’un congé menstruel au travail alors même l’on y compte encore très peu d’entreprises ayant pris une telle initiative.
Or, cette enquête de l’Ifop réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de 1 000 salariées montre qu’une telle mesure répondrait aux attentes d’une large majorité de femmes actives qui, pour beaucoup, souffrent souvent douloureusement de leurs règles dans un cadre – le travail – où leur gêne est au mieux sous-estimée, au pire l’objet de railleries et de sobriquets.
Riche en enseignements, cette étude, réalisée pour le fabricant de culottes menstruellesEVE AND CO,montre néanmoins qu’une telle mesure n’est pas sans suscitée certaines appréhensions : nombre de salariées redoutant que le congé menstruel constituenotamment un frein à l’embauche des femmes et/ou un obstacle à leur évolution professionnelle.
Les chiffres clés de l’étude sur le congé menstruel
66% des salariées sont favorables au congé menstruel en entreprise et 64% des femmes concernées pourraient y avoir recours
66% estiment qu’une entreprise proposant le congé menstruel serait plus attrayante
82% des salariées craignent toutefois que le congé menstruel puisse être un frein à l’embauche ou à l’évolution des femmes
65% des femmes en activité salariée ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail
53% des salariées ont des règles douloureuses
35% déclarent que leurs douleurs menstruelles impactent négativement leur travail
37% des salariées disent que la gêne des règles est sous-estimée dans leur entreprise
54% des salariées interrogées n’ont jamais évoqué leurs règles avec des collègues féminines
21% des salariées menstruées ont déjà fait l’objet de moqueries ou de remarques désobligeantes
Le point de vue de Louise Jussian, chargée d’études au pôle « Politique / Actualités » de l’IFOP
Si l’instauration du congé menstruel en entreprise séduit aussi largement les salariées, c’est parce qu’il répond à un vrai besoin mis en exergue par cette étude. Ce congé est considéré comme une solution qui peut compenser les moments de faiblesse et les réelles difficultés liés aux menstruations, notamment par celles qui sont, ou ont été, victimes de moqueries, ainsi que par les femmes dont les règles sont très douloureuses. Néanmoins, il s’agit là d’un sujet dont il reste compliqué de parler au travail, particulièrement avec des collègues ou des supérieurs hiérarchiques masculins. A cette « invisibilité » de la question des règles au travail s’ajoute la crainte puissante que l’utilisation du congé menstruel donne lieu à des suspicions, à des moqueries, voire constitue un frein pour la carrière professionnelle des femmes, qu’il s’agisse de leur recrutement ou de leur évolution. Face à ce sentiment qu’ont les femmes d’une société pas encore prête à accepter sans préjugés le congé menstruel, l’instauration d’une telle mesure doit à l’évidence s’accompagner d’une libération de la parole visant à briser le tabou des règles chez l’ensemble des salarié(e)s et de leurs dirigeants.
Les principaux enseignements
Une large adhésion au congé menstruel, mais des craintes quant à ses conséquences
Si les deux tiers des salariées sont favorables à la mise en place d’un congé menstruel au sein des entreprises, mesure qui rendraient ces dernières plus attrayantes à leurs yeux, elles sont nombreuses à redouter les conséquences d’une telle obligation qu’elles voient comme un frein potentiel à l’embauche des femmes et à leur évolution.
66% des salariées interrogées par l’IFOP (et 92% de celles qui ont subi des moqueries et remarques) se déclarent favorables à la mise en place d’un congé menstruel dans leur univers professionnel. Près des deux tiers des femmes concernées (64%) seraient susceptibles d’y avoir recours.
Parmi les femmes qui disent qu’elles n’auraient pas recours au congé menstruel, plus de la moitié (53%) expliquent qu’elles craignent qu’on ne les croit pas ou qu’on les considère comme paresseuses. 39% y renonceraient par peur du regard que les autres pourraient porter sur elles, qu’il s’agisse de leurs collègues, leurs managers ou leur clients et fournisseurs.
Une très forte majorité des salariées redoutent les conséquences éventuelles que pourraient avoir l’instauration d’un congé menstruel sur leur carrière. Elles sont ainsi 71% à considérer qu’une mesure de cet ordre constituerait un frein à l’embauche des femmes, 70% un obstacle à leur prise de responsabilités et 66% un sujet de moqueries et de remarques désobligeantes.
En dépit de ces réticences, elles sont 66% à dire qu’une entreprise proposant le congé menstruel serait à leurs yeux plus attrayant qu’une autre ne le faisant pas, appréciation significativement plus forte chez les plus jeunes puisque partagée par plus des deux tiers (76%) des femmes âgées de 15 à 34 ans.
Plusieurs millions de femmes en France voient leur travail impacté par leurs règles
La France compte près de 14,5 millions de femmes actives, dont plus de la moitié indiquent dans l’enquête menée par l’IFOP que leurs règles sont douloureuses, et 35% qu’elles ont un impact négatif sur leur travail. Celles qui travaillent dans le bâtiment et l’industrie sont les plus nombreuses à avoir été victimes de remarques ou de moqueries liées à leurs règles.
53% des salariées interrogées indiquent subir des règles douloureuses, 16% disant qu’elles sont « très douloureuses ». Une douleur qui affecte notamment les plus jeunes, 63% des 18-34 ans expliquant être dans ce cas contre 47% chez les 35-49 ans et 31% chez les plus de 50 ans.
Plus des 2/3 des salariées (35%) jugent que leurs règles ont un impact négatif sur leur travail. Une proportion qui monte à 85% chez celles dont les règles sont très douloureuses.
65% des femmes interrogées dans le cadre de cette étude ont rencontré au moins une difficulté liée à leurs règles dans le cadre professionnel. Elles sont ainsi 48% à avoir eu des problèmes de concentration, 44% à peiner à se tenir debout ou encore 38% à avoir rencontré des difficultés pour accéder aux toilettes afin de changer leur protection hygiénique. Les femmes exerçant des fonctions d’encadrement sont également les plus exposées, 74% d’entre elles faisant état de l’un ou l’autre de ces problèmes.
De nombreuses salariées – 21% – ont déjà été victimes de remarques désobligeantes ou de moqueries liées à leurs règles au sein de leur entreprise. Celles d’entre elles qui travaillent dans des secteurs à forte dominance masculine sont les plus exposées : 37% des salariées de l’industrie et 36% des salariées du bâtiment en ont été la cible.
Un sujet difficile à aborder au sein de l’entreprise
Encore tabou et sujet à moqueries, la question des règles n’est pas de celles que les femmes abordent facilement dans le cadre professionnel, particulièrement vis-à-vis de leurs responsables, qu’ils soient femmes ou hommes.
Plus de la moitié des salariées interrogées (54%) n’ont jamais évoqué leurs règles avec des collègues féminines, mais 32% pourraient le faire.
Si 80% d’entre elles n’en n’ont jamais parlé avec leur manager direct de sexe féminin, plus du tiers (38%) disent que cela leur serait possible.
En revanche, dès lors qu’il s’agit d’aborder le sujet avec un homme, qu’il soit collègue ou manager, la réticence est plus forte. Ainsi, 92% des femmes n’ont jamais parlé de leurs règles avec leur responsable hiérarchique masculin et 72% assurent qu’elles ne pourraient le faire.
Plus du tiers (37%) des femmes interrogées estiment que la gêne relative aux règles est sous-estimée dans leur entreprise contre 59% qui pensent qu’elle est prise en compte à sa juste valeur. La proportion de salariées faisant état d’une sous-estimation est plus forte (45%) lorsque l’équipe à laquelle elles appartiennent est exclusivement masculine.
Enquête réalisée par l’IFOP pour EVE AND CO du 12 au 15 septembre 2022 par enquête auto-administrée auprès de 993 femmes salariées âgées de 15 ans et plus.