Faut-il vraiment adopter une loi pour interdire la fessée en France ? Depuis que la députée Maud Petit a soumis sa proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires (dont la fessée ou la gifle), les débats font rage autour de cette pratique entrée depuis longtemps dans les mœurs. Éléments de réponse.
Que l’interdiction soit adoptée ou non le 29 novembre sur une loi anti-fessée, ce sujet brûlant reviendra tôt ou tard dans l’actualité. La France est en effet l’un des rares pays de l’Union Européenne à ne pas avoir voté cette mesure (avec la Belgique, l’Italie, le Royaume-Uni et la République Tchèque) alors que l’article 19 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, qu’elle a ratifié il y a 29 ans, l’engage expressément à le faire. De plus, en février 2016, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a demandé pour la quatrième fois à la France d’interdire totalement les châtiments corporels (y compris dans les familles où jusqu’à présent « un droit de correction » existe toujours).
Dans ce contexte, plusieurs questions se posent : la fessée est-elle vraiment nocive ? s’agit- il vraiment d’une violence ou au contraire d’une technique éducative comme une autre ? et faut-il légiférer sur le sujet ?
La fessée, un outil indispensable « pour qu’il comprenne » ?
Alors que 70% des Français sont contre cette loi interdisant les châtiments corporels, il faut commencer par se demander si la fessée est réellement utile pour faire face au comportement parfois déroutant de nos enfants.
Voici une réflexion souvent entendue dans la bouche des parents :
“Quand cela fait 5 fois (voir 15) que je lui dit de ne pas toucher au lecteur CD, à un moment faut bien qu’il comprenne !”
Oui mais… si cela fait 5 fois aujourd’hui que je dis à mon mari de descendre les poubelles et qu’il ne le fait toujours pas, est-ce que lui mettre une claque sera la bonne réaction ?
Parfois notre enfant a des comportements “inacceptables” : il vient de taper son petit frère qui lui a pris son jouet, le petit frère hurle… Alors hop, la claque part… On marque le coup pour dire “Clac ! Ce que tu viens de faire est “inacceptable !”.
Or si on décortique ce qui se passe, l’absurdité de la situation s’impose comme une évidence.
Notre enfant a tapé son frère car, à ses yeux, son comportement est inadmissible (= il lui a arraché son jouet) et il n’a pas réussi à se faire entendre autrement. Mais pour faire comprendre à notre enfant que ce n’est pas bien, comme nous ne parvenons pas à lui faire comprendre autrement, nous faisons exactement la même chose : nous le tapons. Alors comment notre enfant pourra-t-il comprendre qu’il doit agir différemment avec les autres ?
« Imaginez que vous ayez une dispute avec votre femme ou votre mari. Si votre conjoint est hors de lui, qu’il vous insulte, croyez-vous vraiment que la claque soit une bonne option pour lui remettre les idées en place ? Et plus généralement, croyez-vous que vous allez réellement réussir à communiquer avec quelqu’un (conjoint, collaborateur, enfant…) en le tapant ? »
Des « vertus » pédagogiques qui n’existent pas dans la réalité
La fessée, comme n’importe quelle violence, n’a jamais réussi à développer l’empathie ou une bonne compréhension du problème qu’elle vise à éviter.
Prenons l’exemple du stationnement sur les places pour personnes handicapées. Tout le monde sait qu’il ne faut pas s’y garer mais il y a toujours des personnes pour le faire car « cela les arrange » (c’est le fameux « je n’en ai que pour quelques minutes » ou encore « il n’y a jamais personne qui utilise cette place »). De contraventions en contraventions, elles finissent par éviter de s’y garer mais uniquement par peur de la sanction. Dans un régime totalitaire, les coups seraient utilisés à la place des amendes, mais l’objectif poursuivi serait le même. Le recours à la force n’a d’autre finalité que d’aboutir à contraindre les personnes à modifier leurs comportements.
En revanche, la force n’a aucune vertu pédagogique : ce n’est pas grâce aux contraventions que vous allez devenir davantage empathique envers les personnes handicapées. La force n’éduque pas, elle soumet. Alors qu’une politique de sensibilisation aux personnes handicapées, avec qui vous passeriez par exemple une journée pour comprendre leurs problématiques, pourrait être beaucoup plus productive. En favorisant le développement de l’empathie, elle redonnerait du sens et pousserait chacun à éviter de se garer sur leurs places.
Avec la fessée, c’est la même chose. Si elle (ou n’importe quelle forme de tape) était efficace, elle serait utilisée avec les délinquants ! Brûler une voiture ou autre est beaucoup plus grave que l’obsession de notre petit de 2 ans de monter l’escalier… Si les policiers ne les frappent pas, ce n’est pas par angélisme mais par pragmatisme : on sait depuis longtemps maintenant que la violence engendre la violence et qu’elle ne donne pas de sens à l’interdit. Frapper n’élève pas le niveau de conscience ! Dans le meilleur des cas, cela crée simplement la peur de la réprimande et dans le pire, cela génère de la colère, voire de la rage, et aboutit à décupler la violence.
Un délinquant n’est pas « méchant » de nature, il est simplement motivé par un sentiment d’injustice, par un manque de considération et par la difficulté à trouver sa place dans la société, etc. Violenter cette personne ne fait donc qu’aggraver la situation… C’est pour cela que les jeunes qui sont passés par la prison ressortent plus cassés qu’ils ne l’étaient, alors qu’un accompagnement psychologique permettrait d’aller beaucoup plus loin.
Le mythe de « la petite fessée qui ne fait pas de mal »
Pour se mettre à la place de l’enfant, rien de tel que de transposer « la gentille petite claque » du côté des adultes.
On entend souvent dire « Faut pas exagérer, une petite fessée ne fait pas de mal ! ». Mais imaginez que vous soyez à une soirée avec votre conjoint. Cela fait 5 fois qu’il vous demande de dire au revoir car vous devez partir pour vous rendre à un autre rendez- vous. Il revient alors vers vous et il vous donne une petite claque, pas très forte, pour vous montrer que vous allez trop loin. Comment allez-vous réagir ?
« La question n’est pas seulement de faire physiquement mal ou non. Avec la claque ou la fessée, il y a une forme d’humiliation et on affiche en public sa domination sur l’autre. »
Une objection qui est fréquemment opposée à ce constat est le classique : « Ce n’est pas la même chose puisque c’est un enfant et qu’on est un adulte ».
Faisons un petit retour en arrière. De tous temps, il y a eu des individus considérés comme « inférieurs » : les noirs au Moyen-Âge, les femmes en 1700 (tant dans l’opinion publique que dans le Code civil puisqu’il été spécifié que la femme devait obéissance à l’homme)… Ce n’était pas la pensée de quelques marginaux mais de toute une société.
Il y a 40 ans, lorsque la loi contre les violences faites aux enfants, a été promulguée en Suède, la majorité des personnes n’y étaient pas favorables. Les interviews réalisées à l’époque étaient éloquentes : les parents estimaient que l’enfant avait besoin de limites, d’obéir, et que parfois la fessée était la seule solution. Aujourd’hui, ils n’imaginent pas lever un jour la main sur leur enfant et considèrent cette pratique comme faisant « partie d’un autre temps ».
En France aussi, le regard porté sur les violences dites « éducatives » a bien évolué ! Il y a quelques années, il semblait normal qu’un professeur mette un enfant « en position » et lui tape sur les doigts avec une règle pour se faire respecter en cas de dérapage. De nos jours, c’est l’inverse : il parait anormal qu’un professeur tape un enfant (et l’inverse également).
« L’enfant n’aura jamais les mêmes obligations ni les mêmes responsabilités que les adultes. En revanche, il a droit au même respect. Alors si on lui interdit de taper ses parents ou d’autres enfants, la réciproque est vraie : les parents n’ont pas à taper leurs enfants. »
Une loi anti-fessée est-elle vraiment nécessaire ?
Nous apprenons tous par imitation de nos parents. C’est pour cela qu’il n’est pas toujours évident de renoncer à la fessée quand on n’a connu que cela alors qu’un adulte qui n’a pas reçu de fessée petit n’en donnera probablement jamais à ses enfants.
Le changement se fait petit à petit, de génération en génération. A l’époque de nos grands-parents, il était fréquent d’avoir un martinet chez soi. Nos parents n’ont pas souhaité reproduire cela chez eux et aujourd’hui cela nous semble inconcevable.
Progressivement, nous apprenons donc à nous comporter de façon bienveillante avec nos enfants.
Pourtant, faire passer une loi « anti-fessée » serait une avancée positive. D’abord parce qu’elle pose le principe qu’il est strictement interdit de battre son enfant. Certains reprochent le manque de nuances mais en pratique cela parait difficile à mettre en place : l’Etat ne pourra pas déterminer avec précision ce qui relève de la tape interdite et de la tape autorisée (ex : « une fessée par trimestre, c’est permis si elle n’est pas forte »).
Ensuite, la loi permet de fixer un cap en incitant les parents à ne plus utiliser cet outil dans leur éducation. La garde de l’enfant ne sera jamais retirée à un parent s’il enfreint cette règle, mais cette nouvelle obligation le pousse à chercher les moyens de faire autrement.
Parce que oui, il existe des solutions ! L’éducation positive offre de nombreuses méthodes et perspectives pour rester serein face aux caprices et aux colères de notre cher bambin, et les gérer positivement. Dans de nombreux pays, et même en France, des enfants sont éduqués sans fessée et ils ne deviennent pas pour autant des enfants- rois. Mais très clairement ceci est loin d’être simple pour la plupart des parents en France, et cela demande un vrai travail sur soi qui se fera petit à petit. Soyons déjà fiers de chaque petit pas que l’on fait vers plus de bienveillance avec nos enfants.
Enfin, et c’est un immense avantage, la loi transmet un message fort à tous les enfants en indiquant qu’en aucun cas ils ne « méritent » d’être tapés. Une bêtise ou un caprice ne justifie pas le recours à la violence (tout comme une femme ne mérite jamais d’être battue par son mari). Avec la loi, on explique à l’enfant qu’un autre parent, dans la même situation, aurait réagi différemment. C’est extrêmement important pour l’estime de soi.
« Quand un enfant se fait taper ou rabaisser par un de ses parents (ou les deux), il a généralement le sentiment de ne pas être à la hauteur. Si le schéma se répète, en grandissant, le manque de confiance peut alors être la source d’une grande souffrance dans sa vie d’adulte. »
A lire :
Cool Parents Make Happy Kids, Charlotte Ducharme – Marabout
Charlotte Ducharme