Des scientifiques de l’Inserm, de l’université de Rennes 1 et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) à l’Irset et de l’université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) à l’UMS 11 se sont intéressés à un constituant des particules fines issu de combustions incomplètes notamment liées au trafic automobile, le carbone suie. Alors que ce composé a déjà été lié à de nombreux problèmes de santé, leurs travaux suggèrent pour la première fois qu’une exposition à long terme avec le carbone suie associé à un risque accru de cancer.
La pollution de l’air par les particules fines[1] est un enjeu majeur de santé publique. Depuis plusieurs années, la littérature scientifique a mis à jour un lien entre cette pollution et le risque de cancer. En 2013, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a d’ailleurs classé l’ensemble des particules fines comme des cancérigènes certains pour l’Homme. Les chercheurs viennent de découvrir que le carbone suie associé à un risque accru de cancer.
Toutefois, le terme de particules fines constitue une « boîte noire » : tous les composés de ces particules n’ont probablement pas le même impact sur le risque de cancer. Plusieurs candidats sont à l’étude pour expliquer leurs effets néfastes sur la santé. C’est le cas notamment du carbone suie (ou « black carbon » en anglais), un constituant des particules fines issu de combustions incomplètes (produisant de la suie ; ce composé est également appelé noir de carbone de par sa composition et sa couleur). Ce dernier avait déjà été pointé du doigt par l’OMS comme ayant un impact général délétère sur la santé.
Dans leurs travaux menés à l’Irset (Inserm/université de Rennes 1/EHESP) et à l’UMS 11 (Inserm/UVSQ), les chercheuses Inserm Emeline Lequy et Bénédicte Jacquemin ont évalué spécifiquement l’association entre exposition au carbone suie à long terme et cancer du poumon, pour mieux comprendre le rôle de ce composé dans les effets sanitaires délétères de la pollution de l’air.
Historique résidentiel et exposition à la pollution
Les scientifiques se sont appuyées sur les données de santé des participants de la cohorte Gazel mise en place par l’Inserm au sein de l’UMS 11 en 1989, qui regroupe environ 20 000 participants suivis tous les ans.[2] Point fort de cette cohorte : l’historique du lieu de résidence de tous les participants sur les trente dernières années est disponible. Les chercheuses avaient aussi accès à des estimations très précises des niveaux de pollution, issues du projet européen ELAPSE, au niveau de chacun des domiciles de chacun des participants sur cette longue période.
Par ailleurs, il s’agit d’une cohorte très bien décrite du point de vue de facteurs de risque de cancer, comme par exemple le tabagisme, la consommation d’alcool, et les expositions professionnelles des participants.
Sur la base de ces données, les chercheuses et leurs collègues ont déterminé le degré d’association entre niveau de pollution au domicile des participants depuis 1989 et risque de développer un cancer en général ou un cancer du poumon en particulier.
Grâce à des modèles statistiques ajustés pour prendre en compte les autres facteurs de risque et s’affranchir de l’effet concomitant des particules fines dont le carbone suie fait partie, elles ont pu montrer spécifiquement l’association entre carbone suie et risque de cancer.
Le carbone suie associé à un risque accru de cancer de 30%
Leur étude suggère ainsi que plus les niveaux d’exposition au carbone suie au domicile des participants étaient élevés, plus le risque de cancer du poumon était accru. Le carbone suie associé à un risque accru de cancer. Les personnes les plus exposées au carbone suie depuis 1989 présentaient ainsi un sur-risque de cancer en général d’environ 20% par rapport aux personnes les moins exposées. Ce sur-risque était de 30 % en ce qui concerne le cancer du poumon. Ce composé pourrait donc en partie expliquer les effets carcinogènes de la pollution de l’air.
Ces résultats, inédits sur l’incidence de cancer et qui viennent renforcer une littérature scientifique déjà existante sur d’autres problèmes de santé, sont importants pour guider la décision publique en ce qui concerne la régulation de la pollution de l’air et les politiques sanitaires.
« Au niveau individuel, il est difficile de recommander des mesures qui peuvent être prises pour limiter l’exposition au carbone suie des particules de l’air ambiant. Néanmoins, il est possible d’ajuster les politiques publiques si l’on arrive à montrer quels sont les polluants les plus nocifs dans la pollution de l’air. Nous espérons donc que nos résultats participeront à étendre les connaissances pour orienter et affiner ces politiques, par exemple en prenant des mesures spécifiques contre le carbone suie qui vient principalement du trafic automobile », souligne Bénédicte Jacquemin, dernière auteure de l’étude.
L’équipe souhaite désormais continuer ses analyses pour étudier l’effet sur la santé d’autres polluants spécifiques, notamment les métaux. L’objectif est également de continuer à étudier l’impact du carbone suie dans d’autres cohortes plus larges telles que Constances, avec des participants recrutés plus récemment, pour déterminer si la pollution atmosphérique, même à des niveaux bas, peut avoir des effets au niveau sanitaire.
[1] Particules d’un diamètre inférieur à 2,5µg, ou PM 2,5. Le terme regroupe à la fois des particules d’origines naturelles et d’origines humaines.
[2] La cohorte Gazel a été mise en place en 1989 par l’Inserm, en coopération avec plusieurs services d’EDF-GDF. Depuis 2018, la collecte d’information auprès des volontaires de Gazel a été harmonisée avec celle de la cohorte Constances. https://www.gazel.inserm.fr/
Sources :
Contribution of long-term exposure to outdoor black carbon to the carcinogenicity of air pollution: evidence regarding risk of cancer in the Gazel cohort
Emeline Lequy1,2*, Jack Siemiatycki2, Kees de Hoogh3,4, Danielle Vienneau3,4, Jean-François Dupuy5, Valérie Garès5, Ole Hertel6, Jesper Heile Christensen6, Sergey Zhivin1, Marcel Goldberg1, Marie Zins1, Bénédicte Jacquemin7*
1 Inserm UMS 011, Villejuif, France
2 Centre de recherches du centre hospitalier de l’université de Montréal, Québec, Canada.
3 Swiss Tropical and Public Health Institute, Basel, Switzerland
4 University of Basel, Basel, Switzerland
5 Univ Rennes, INSA, CNRS, IRMAR – UMR 6625, F-35000 Rennes, France
6 Dep. Env. Science, Aarhus University, Frederiksborgvej 399, 4000 Roskilde, Denmark
7 Univ Rennes, Inserm, EHESP, Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail) – UMR_S 1085, F-35000 Rennes, France
EHP, mars 2021 : https://doi.org/10.1289/EHP8719