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Perturbateurs endocriniens : la reproduction en péril ?

Depuis les années 1990, les scientifiques observent des anomalies de l’appareil génital mâle et de la reproduction au sein de la faune sauvage. Ces défauts se retrouvent également chez l’homme. Parmi les facteurs d’explication, les perturbateurs endocriniens. L’Association Française d’Urologie a profité des Journées d’Andrologie et de Médecine Sexuelle (JAMS), les 6 et 7 septembre 2019, pour faire le point.

Anomalies du tractus génital mâle, des micropénis au cancer 

« Cela fait des années qu’on observe des phénomènes anormaux au sein des populations animales mâles », explique le Docteur Eustache. Parmi ceux-ci : une féminisation de la population mâle chez les mouettes de la Côte-Pacifique [1], des alligators dotés de micropénis [2], ou encore une baisse de la production spermatique (reproduction) chez les panthères de Floride [3].

« Chez l’homme également, on a pu constater cette diminution de la spermatogénèse, avec notamment des variations géographiques de la qualité du sperme », indique le Dr Eustache. À cela, s’ajoute une augmentation de l’incidence du cancer du testicule depuis plusieurs années dans certains pays.

Les perturbateurs endocriniens sur le banc des accusés

« Les scientifiques ont cherché à expliquer ces phénomènes », rapporte le Dr Eustache. Cinq groupes de facteurs ont été analysés : les facteurs génétiques, physiques (température, radiation), biologiques (MST), socio-culturels (stress) et chimiques. « Les facteurs chimiques, et notamment les perturbateurs endocriniens, sont ceux qui ont attiré l’attention des chercheurs ».

En effet, « il est impossible d’échapper aux perturbateurs endocriniens : on les respire, on les mange, on les utilise comme cosmétiques », explique la biologiste. Chaque individu se trouve exposé aux perturbateurs endocriniens par de multiples voies et en de multiples milieux, à des niveaux de concentration plus ou moins importants et durant une période d’exposition continue puisqu’elle démarre in utéro et se poursuit tout au long de la vie.

Des liens ont ainsi été évoqués entre perturbateurs endocriniens et puberté précoce ou retardée, cancer du testicule ou de la prostate, cryptorchidie, infertilité… « Il a alors fallu vérifier ces liens », retrace le Dr Eustache.


Perturbateur endocrinien : kézako ?

Elle est utilisée régulièrement et devenue une expression du langage courant, mais finalement, que recouvre la formule « perturbateurs endocriniens » ?

Selon le Docteur Eustache, la définition de l’OMS en 2002 est la plus communément admise.

Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance ou un mélange exogène, possédant des propriétés susceptibles d’induire une perturbation endocrinienne dans un organisme intact, chez ses descendants ou au sein de sous-populations.
Définition Organisation Mondiale de la Santé
Ces molécules peuvent être d’origine naturelle ou synthétique et provenir de l’industrie ou de l’agriculture. C’est le cas de certains agents plastifiants, des détergents ou de nombreux pesticides.

Les perturbateurs endocriniens sont-ils vraiment dangereux ? 

Face à l’évocation de liens entre différents événements de santé, notamment reproductive, et perturbateurs endocriniens, les scientifiques ont d’abord eu recours aux modèles animaux. « Ces premières études, menées au début des années 2000, ont permis de prouver l’impact néfaste des perturbateurs endocriniens », explique le Dr Eustache.  « En revanche, les doses auxquelles étaient soumis les rongeurs étaient irréalistes et non compatibles avec une exposition humaine ».

Des études épidémiologiques ont donc été menées dans un second temps sur la population et ont confirmé l’effet négatif des perturbateurs endocriniens sur l’appareil génital et la qualité du sperme. « C’est avec ce type d’études que l’on a pu prouver l’impact de la chlordécone – un insecticide – sur le risque de cancer de la prostate par exemple [4]».

Outre le cancer de la prostate, une méta-analyse [5] a montré que les personnes exposées aux perturbateurs endocriniens avaient 20 % de plus de risques de souffrir d’un cancer du testicule ou encore 13 % de risques en plus de souffrir d’hypospadia (une anomalie congénitale du garçon chez lequel l’ouverture de l’urètre ne se trouve pas à l’extrémité du pénis mais sur la face ventrale).

Un effet transgénérationnel sur la reproduction ?

« Aujourd’hui, on peut confirmer le rôle négatif des perturbateurs endocriniens sur l’individu, et on essaye de mesurer des éventuels effets transgénérationels », explique le Dr Eustache.

Ceux-ci sont à distinguer des effets multigénérationnels, résultant d’une exposition in utero à différents toxiques. Les effets transgénérationnels sont quant à eux observés chez différentes générations n’ayant pas été exposées.

« On a pu constater que les perturbateurs endocriniens agissent sur l’appareil génital à travers les générations ».
Par exemple, « dans la triste affaire du Distilbène® (diéthylstilbestrol), les enfants exposés in utero ont développé des anomalies génitales et des cancers de l’utérus. Ce que l’on se demande aujourd’hui, c’est comment sont leurs garçons ? Or,même au sein de cette troisième génération – qui n’a donc pas été exposée ! –, on retrouve un nombre de dysfonctionnements élevés », explique le Dr Eustache. Ainsi, au sein d’une population de 205 mères exposées au DES, in utero, 4 garçons sont nés avec un hypospadias, contre 8 chez 8 729 mères non exposées [6].
 
L’une des pistes serait l’épigénétique : les perturbateurs endocriniens pourraient entraîner des changements d’expression des gènes transmissibles au travers des divisions cellulaires, voire des générations, sans changement de la séquence de l’ADN, via les spermatozoïdes. Toutefois, ces phénomènes ne sont pas encore totalement élucidés.

« À la question, « les effets néfastes des perturbateurs endocriniens sont-ils avérés ? », la réponse est nuancée :  c’est une question qui reste posée et qui nécessite le développement de multiples recherches ! », conclut le Dr Eustache. « Il faut replacer l’individu dans son environnement et augmenter le niveau de preuve. Cela implique notamment de prendre en compte l’exposition à une substance mais aussi à un mélange de substances, puis de comprendre leurs interactions au sein de l’organisme sur le long terme, dès la période du développement embryonnaire et pendant toute la vie. »
Sources :
[1] Fry et al., 1981
[2] Guillette et al., 1994
[3] Facemire et al., 1995
[4] Etude Karuprostate, Multigner et al., 2010
[5] Bonde et al., 2017
[6] Klip et al., 2002
Docteur Florence Eustache, Biologiste de la reproduction, invitée aux JAMS 2019. 
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