Pourquoi ne nous rappelons pas de nos souvenirs d’enfance ? L’amnésie infantile est due au développement cérébral, aux facteurs psychologiques, et plus encore. Pour ceux qui s’intéressent à la psychologie de l’enfance et aux neurosciences voici les explications.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vos premiers souvenirs d’enfance sont si flous, voire inexistants ? Ce phénomène, connu sous le nom d’amnésie infantile, a longtemps intrigué les scientifiques et continue de susciter de nombreuses questions.
Comprendre l’amnésie infantile
L’amnésie infantile, également connue sous le nom de « trou noir de la mémoire« , touche la la plupart des personnes : celles-ci ne peuvent se souvenir de leurs premières années de vie. Cette particularité de la mémoire humaine suscite de nombreuses questions tant dans le domaine de la psychologie que des neurosciences. Mais qu’est-ce qui cause cette amnésie et comment pouvons-nous la comprendre ?
Le développement cérébral et l’amnésie infantile
Maturation de l’hippocampe
L’hippocampe est une structure cérébrale basé dans le cortex préfrontal essentielle pour la mémoire. Il joue un rôle fondamental dans la consolidation des souvenirs et les traces mnésiques, un processus par lequel les souvenirs à court terme sont transformés en souvenirs à long terme. Chez les enfants, comme il n’est pas complètement développé et ne commencera à l’être qu’à partir de l’adolescence pour se poursuivre jusqu’à l’âge adulte, il y a oubli.
Ce développement incomplet impacte, donc, la capacité de l’enfant à former et à retenir des souvenirs à long terme.
Connexions neuronales et plasticité
Le cerveau d’un enfant connaît une période de croissance rapide, avec des milliards de connexions neuronales se formant chaque jour. A noter, cette même plasticité peut aussi rendre les souvenirs d’enfance plus volatiles et moins accessibles à mesure que l’enfant grandit. Et rappelons-nous que le langage joue un rôle crucial dans la façon dont nous formons et rappelons les souvenirs. Les enfants, dont les compétences linguistiques sont encore en développement, n’ont pas la structure cognitive nécessaire pour encoder et stocker des souvenirs de manière qui puisse être facilement récupérée plus tard.
Avant deux ans, un enfant n’est pas en mesure d’utiliser le langage pour former ou retrouver un souvenir, ni de se servir des mots comme outils de mémorisation. De plus, la manière dont un enfant perçoit le monde est nettement différente de celle d’un adulte, en partie à cause de différences physiques comme la taille, qui change radicalement la perspective de l’environnement.
Par exemple, la cour de récréation de l’école maternelle, qui nous semblait vaste dans notre enfance, nous apparaît étonnamment petite en tant qu’adulte. Les centres d’intérêt varient également avec l’âge : un enfant peut être captivé par des détails mineurs comme les aspérités du sol ou le motif du papier peint dans la maison familiale, des détails que l’adulte qu’il deviendra pourrait ne pas remarquer ni retenir.
Cette plasticité cérébrale extraordinaire permet un apprentissage rapide (lecture, écriture,…) ainsi que l’adaptation à de nouveaux environnements et expériences (comme l’école, par exemple). A noter, cette même plasticité peut aussi rendre les souvenirs d’enfance plus volatiles et moins accessibles à mesure que l’enfant grandit.
Rôle du cortex préfrontal
Il est impliqué dans les fonctions exécutives comme la prise de décision et la régulation des émotions et se développe lentement ce qui influence la manière dont les souvenirs sont formés et stockés. Résultat : les souvenirs d’enfance sont moins précis ou détaillés.
Myélinisation des neurones
Un autre aspect important est la myélinisation, où les fibres nerveuses sont revêtues de myéline. Ce processus augmente la vitesse et l’efficacité de la transmission des signaux dans le cerveau. Cette myélinisation se poursuit tout au long de l’enfance et de l’adolescence, affectant la capacité de mémorisation et de rappel.
Facteurs psychologiques influant sur les souvenirs d’enfance
Ces expériences vécues pendant l’enfance jouent un rôle essentiel dans la formation des souvenirs. Les enfants sont extrêmement sensibles à leur environnement, et ces expériences précoces forment le substrat de la mémoire d’enfance. Cependant, en raison du développement cérébral en cours, ces souvenirs ne peuvent pas être stockés de manière aussi cohérente qu’ils le seraient plus tard dans la vie. La création d’un souvenir complet nécessite l’association de divers types d’informations en mémoire, telles que le lieu, le temps, et les personnes impliquées. Cela exige l’activation synchronisée de différentes régions cérébrales distantes pour l’intégration de ces informations, ainsi que l’utilisation de régions cérébrales de plus en plus spécialisées pour leur ségrégation.
De plus, pour transformer un événement en souvenir, il est important d’avoir une connaissance générale du monde et des scénarios habituels, comme comprendre ce qui se passe lors d’un pique-nique au parc avec ses parents. Ainsi, lorsque les parents organisent un pique-nique avec les amis de l’enfant, la singularité de l’événement peut laisser une empreinte mémorable chez l’enfant.
Le rôle de la conscience de soi dans la mémorisation de ses souvenirs d’enfance
La conscience de soi joue un rôle fondamental dans la capacité de mémorisation. Elle implique la reconnaissance de soi en tant qu’individu distinct et la compréhension de sa place dans le monde, influence profondément comment et ce que nous mémorisons. Pour comprendre l’interaction entre la conscience de soi et la mémoire, il est crucial de considérer les étapes de développement de cette conscience et son impact sur la formation des souvenirs.
La conscience de soi évolue à travers plusieurs étapes distinctes. Tout commence par la prise de conscience de notre individualité, de notre séparation d’avec l’environnement. La reconnaissance de nos caractéristiques physiques et de notre personnalité vient plus tardivement.
Par exemple, un bébé ne se reconnaît pas dans un miroir avant environ 18 mois. Pour former des souvenirs personnels, il est essentiel d’avoir développé une conscience de soi dans le temps. Cette faculté, qui permet de se projeter mentalement dans le temps, ne se développe que vers 4 à 6 ans, avec une variabilité notable d’un enfant à l’autre. Une expérience simple peut le démontrer : un enfant est filmé alors qu’un adulte lui colle discrètement une étiquette sur l’épaule. Si, en visionnant le film plus tard, l’enfant tente de retirer l’étiquette de son épaule, cela indique qu’il se reconnaît dans cette situation passée. Cette conscience temporelle est cruciale pour la formation de souvenirs autobiographiques, où l’individu se souvient d’événements de sa propre vie.
La conscience de soi influence la façon dont les souvenirs sont encodés, stockés et rappelés. Les souvenirs personnels ne sont pas de simples enregistrements d’événements ; ils sont filtrés à travers la perception de soi et les expériences vécues. Ainsi, deux personnes peuvent se souvenir différemment du même événement, en fonction de leur propre conscience de soi et de leur interprétation personnelle de l’expérience.
Influences socioculturelles
La culture et l’environnement familial jouent aussi un rôle dans la formation des souvenirs. Dans les cultures où le partage des histoires et des expériences est courant, les enfants peuvent développer une mémoire plus robuste de leurs premières années grâce à ces narrations répétées.
Projection dans le futur chez l’enfant et l’adolescent
Parallèlement au développement graduel de la mémoire des événements passés, la capacité de se projeter dans le futur évolue lentement. Des études d’imagerie cérébrale ont révélé que les zones du cerveau impliquées dans ces « voyages dans le temps » sont largement similaires. La mémoire prospective, qui consiste à penser à accomplir une action future (par exemple, dans 30 minutes), nécessite plusieurs compétences : se rappeler de ce qu’il faut faire, interrompre l’action en cours pour penser à la suivante, puis supprimer cette pensée pour éviter la répétition.
Cette capacité sollicite à la fois la mémoire à long terme (pour l’action à réaliser) et les fonctions exécutives, en association avec la mémoire de travail, une forme de mémoire à court terme. Les différentes formes de mémoire, qu’elles soient à court ou à long terme, ainsi que les fonctions exécutives, telles que le contrôle des émotions, continuent de se développer durant l’adolescence et jusqu’à 20-25 ans. Cette prise de conscience devrait nous inciter à la patience et à l’indulgence envers les jeunes, qui sont en plein « chantier de développement.
Sophie Madoun