La maladie de Huntington est une pathologie héréditaire qui entraîne la dégénérescence de neurones impliqués dans des fonctions motrices, cognitives et psychiatriques. Les traitements actuels sont symptomatiques et soulagent certains troubles mais ne permettent pas de modifier le cours de la maladie. Des chercheurs de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes et du CHU Grenoble Alpes au Grenoble Institut des Neurosciences proposent aux patients un premier traitement neuroprotecteur, c’est-à- dire protégeant les neurones.
2 ÉTUDES POUR REGENER LE CERVEAU DANS LA MALADIE DE HUNTINGTON
La maladie de Huntington est une pathologie neurodégénérative rare et héréditaire. Elle débute habituellement entre 30 et 50 ans et se manifeste par des troubles cognitifs, psychiatriques et des mouvements incontrôlés qui s’aggravent avec le temps jusqu’au décès, environ vingt ans plus tard. En France, environ 18 000 personnes sont concernées. 6 000 d’entre elles ont déjà des symptômes tandis qu’environ 12 000 sont porteuses du gène muté et savent qu’elles seront touchées dans les années qui viennent. L’équipe de Frédéric Saudou, directeur du Grenoble Institut des Neurosciences (Inserm/Université Grenoble Alpes/CHU Grenoble Alpes) travaille sur une nouvelle piste thérapeutique pour essayer d’apporter des solutions à ces patients.
La maladie est due à une anomalie sur le gène codant pour la protéine huntingtine qui interagit et régule l’activité d’au moins 400 autres protéines impliquées dans différentes fonctions cellulaires, dont le transport de molécules. Cette anomalie entraîne notamment une réduction du transport d’une molécule très importante appelée BDNF dans le cerveau entre le cortex et le striatum. Son le rôle est de promouvoir la survie des neurones et d’assurer les connexions entre eux. Cette réduction de transport provoque donc chez les patients la mort des neurones dans ces régions cérébrales.
Régénérer les neurones
L’équipe de recherche (Sorbonne Université / Inserm / CNRS / AP-HP) dirigée par Christian Néri, directeur de recherche Inserm à l’Institut de biologie Paris-Seine1 en collaboration avec le Buck Institute for Research on Aging (USA), vient de mettre en évidence que les neurones du cerveau peuvent devenir sénescents très tôt dans la maladie de Huntington et que l’inhibition des gènes pro-sénescence possèdent des effets neuro-protecteurs.
Protéger les neurones du cerveau contre les maladies neurodégénératives comme la maladie de Huntington demeure un objectif difficile à atteindre.
Les chercheurs savaient déjà que face à ces maladies, le cerveau mobilise des mécanismes de défense qui permettent aux neurones et aux autres cellules du cerveau de compenser les dommages cellulaires qu’elles provoquent. Ils savaient également que l’efficacité de ces mécanismes dits de « compensation cellulaire » finit par s’épuiser. Ils peuvent en outre s’accompagner d’un effet délétère majeur : la sénescence cellulaire chronique, une forme de vieillissement accéléré des cellules qui favorise leur dysfonctionnement et peut conduire à leur dégénérescence.
En revanche, deux questions restaient en suspens : quels sont les mécanismes susceptibles de s’opposer à la sénescence cellulaire chronique dans les maladies neurodégénératives et à quel moment cette sénescence cellulaire peut-elle se mettre en place au cours de la vie des neurones ?
Cette nouvelle étude2 parue dans Aging Cell montre que la sénescence cellulaire peut s’installer dès les phases de différenciation neuronale pour s’aggraver ensuite dans les neurones matures. Les chercheurs ont aussi démontré que l’inhibition de gènes notoirement connus pour favoriser la sénescence cellulaire au cours du vieillissement possède des effets protecteurs, comme l’’inhibition du gène p16INK4a, par exemple. Naturellement déclenchée par la cellule, elle reste cependant insuffisante pour empêcher la sénescence neuronale face à l’importance du stress cellulaire induit par la maladie de Huntington, d’où le besoin de développer des thérapies qui inhibent les gènes inducteurs de la sénescence cellulaire chronique.
Pour parvenir à ces résultats, l’équipe de recherche a utilisé des techniques de génomique permettant d’étudier la reprogrammation des mécanismes de réponse au stress cellulaire. Ils ont ainsi pu l’observer dans un modèle cellulaire du noyau caudé – une structure cérébrale fortement affectée par la maladie de Huntington – pendant la différenciation de cellules souches pluripotentes induites humaines en cellules neurales et en neurones. Cette approche leur a permis de détecter que les principaux facteurs de défense et de réparation cellulaire, comme les protéines FOXO3 et les gènes qu’elles régulent, peuvent s’opposer au risque précoce de sénescence neuronale dans la maladie de Huntington en réduisant les niveaux d’expression des inducteurs de sénescence cellulaire.
En révélant la dynamique des effets de sénescence neuronale au cours du temps dans les neurones qui composent le noyau caudé, et en identifiant un nouveau mécanisme de régulation de ces effets, les chercheurs ouvrent une nouvelle piste thérapeutique pour rendre le cerveau biologiquement résilient aux effets précoces de la maladie de Huntington.
Une molécule pour rétablir le transport de BDNF
« Bien avant l’apparition des symptômes, nous observons une diminution du transport de BDNF. Cette molécule est indispensable à la survie des neurones et aux connexions neuronales entre le cortex et le striatum, deux régions impliquées entre autres, dans le contrôle de l’humeur et des mouvements », explique Frédéric Saudou, professeur à l’Université Grenoble Alpes et au CHU Grenoble Alpes.
Le chercheur et ses collègues pensaient donc que restaurer la circulation de ce facteur permettrait au moins en partie de protéger le cerveau de la mort neuronale.
En collaboration avec la directrice de recherche Inserm Sandrine Humbert, le chercheur et son équipe avaient déjà montré que cette molécule BDNF est transportée au sein de vésicules composées de nombreuses protéines, dont la huntingtine. Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont identifié une enzyme qui régule le transport de ces vésicules à BDNF en contrôlant un mécanisme cellulaire appelé « palmitoylation ». En augmentant le mécanisme de palmitoylation à l’aide d’une molécule appelée ML348, ils ont pu rétablir le transport des vésicules de BDNF.
Plusieurs expériences in vitro sur des neurones humains et in vivo chez la souris, ont montré que la molécule ML384 passe la barrière hématoencéphalique et qu’elle restaure le trafic de BDNF du cortex vers le striatum. Administré chez un modèle de souris atteint de la maladie, elle a permis de réverser les symptômes.
« L’injection de ML348 a réduit les troubles comportementaux moteurs et psychiques, permettant aux animaux de retrouver une activité proche des souris normales non malades », explique Frédéric Saudou.
Par ailleurs, cette molécule améliore également le transport de BDNF dans des neurones humains issus de cellules souches pluripotentes de patients atteints de la maladie de Huntington (cellules IPS), démontrant que cette molécule est potentiellement capable d’agir chez l’Homme.
Suite à cette preuve de concept, le chercheur et son équipe vont passer à la phase des essais précliniques destinés à évaluer sur des modèles cellulaires et animaux, le comportement de la molécule dans l’organisme, sa sécurité d’emploi, ou encore à identifier les doses efficaces. L’objectif final est de développer un médicament pour les patients. Si ces résultats se confirment, cette molécule pourrait devenir le premier traitement « neuroprotecteur » contre la maladie de Huntington, épargnant certains neurones de la dégénérescence, avec peut être à la clé un ralentissement de la progression de la maladie.
Sources :
Increasing brain palmitoylation rescues behaviour and neuropathology in Huntington disease mice
Amandine Virlogeux1*, Chiara Scaramuzzino1*, Sophie Lenoir1, Rémi Carpentier1, Morgane Louessard2, Aurélie Genoux1, Patricia Lino2, Maria-Victoria Hinckelmann1, Anselme L. Perrier2,3, Sandrine Humbert1, Frédéric Saudou1
- Grenoble Alpes, Inserm, U1216, CHU Grenoble Alpes, Grenoble Institut Neuroscience, GIN, 38000, Grenoble, France.
- INSERM U861, UEVE, I-STEM, AFM, 91100, Corbeil-Essonnes, France
- Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives (CEA), Direction de la Recherche Fondamentale, Institut François Jacob, Molecular Imaging Center (MIRCen), CNRS UMR 9199, Université Paris-Saclay, 92265, Fontenay-aux-Roses, France.
Science Advances, 31 mars 2021
Référence :
FOXO3 targets are reprogrammed as Huntington’s disease neural cells and striatal neurons face senescence with p16INK4a increase. Jessica Voisin, Francesca Farina, Swati Naphade, Morgane Fontaine, Kizito‐Tshitoko Tshilenge, Carlos Galicia Aguirre, Alejandro Lopez‐Ramirez, Julia Dancourt, Aurélie Ginisty, Satish Sasidharan Nair, Kuruwitage Lakshika Madushani, Ningzhe Zhang, François‐Xavier Lejeune, Marc Verny, Judith Campisi, Lisa M. Ellerby, Christian Neri. Aging Cell first published August X, 2020.
DOI: 10.1111/ACEL.13226
1 Sorbonne Université, CNRS.
2 Ces travaux de recherche ont mobilisé d’importants moyens de subventions en provenance de l’ANR, du NIH, de fondations, et d’associations de patients comme l’association Huntington France.
3 Facteurs de contrôle de l’expression ds gènes qui au travers de leurs gènes cibles, régulent plusieurs mécanismes d’homéostasie cellulaire.