Le terme d’eugénisme est apparu à de nombreuses reprises dans les débats publics à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique. Y fut en effet discutée l’utilisation de certaines techniques dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. « L’eugénisme, de quoi parle-t- on ? » s’interroge le Comité National d’Éthique (CCNE) dans son nouvel avis qui revient sur le sens de ce mot non seulement dans l’état actuel de la technologie et de ses applications, mais également dans ce que nous devons envisager comme la médecine « du futur.
L’eugénisme est souvent cité dans les débats contemporains sur le dépistage préimplantatoire, le dépistage préconceptionnel, ou encore le diagnostic prénatal. Lourdement chargée d’histoire et de traumatismes, la référence à l’eugénisme participe cependant davantage à bloquer le débat qu’à le favoriser. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans son nouvel avis « L’eugénisme, de quoi parle-t-on ? », souhaite participer à une éthique du débat en posant des définitions claires et en proposant des définitions claires et des analyses convoquant plusieurs disciplines : l’histoire, la philosophie, la technologie, les sciences, la médecine….
Qu’est-ce que l’eugénisme ?
L’eugénisme est un mot qui désigne une idéologie et des pratiques dont le champ ne peut se définir qu’en rapport avec l’histoire. Le CCNE en propose la définition suivante : l’eugénisme consiste en une recherche d’amélioration de l’espère humaine, au moyen de procédés de sélection d’individus soutenue par une politique d’État coercitive.
Doit-on, sur la base de cette définition, parler d’eugénisme lorsqu’on se réfère aux pratiques contemporaines de l’assistance médicale à la procréation qui sont, rappelons-le, encadrées par la loi dans notre pays ? Si ces pratiques ne relèvent pas de l’eugénisme selon le CCNE, il n’en demeure pas moins qu’elles posent la question éthique des critères posés pour établir a priori ce que serait une vie suffisamment bonne pour être vécue, et des choix qui s’ensuivent tant au niveau des individus que de la société. Aussi, si ces pratiques ne sont pas conduites sous une coercition étatique, elles nous interrogent sur une autre forme de coercition, sociétale celle-là. Plus insidieuse, elle pose à tous la question de notre rapport au handicap et alerte quant à une tentation d’uniformisation. À cet égard, le CCNE veut affirmer dans cet avis la richesse de la diversité, qui contribue à nous « améliorer » par la complémentarité des manières d’être.
C’est aussi le principe de diversité que le CCNE met au cœur de sa réflexion sur la médecine du futur. Le développement de la médecine génomique offre des espoirs probants en matière de thérapeutiques qui pourraient conduire à résoudre les dilemmes éthiques de sélection en prénatal. Il est concevable en effet qu’on laisse venir au monde des enfants porteurs de maladies graves pour lesquelles un dépistage précoce permettrait de diminuer l’expression de la maladie, voire de les en guérir.
En revanche, si elles étaient utilisées sur le génome des cellules germinales – transmissibles à la descendance -, ces mêmes techniques de médecine génomique laissent entrevoir la possibilité de réanimer le fantasme eugéniste de l’amélioration de l’espèce. Le CCNE appelle non seulement à la prudence, mais également à l’humilité face au très long et puissant processus de l’évolution dont l’analyse à travers l’histoire nous permet d’admirer sa contribution à la préservation du vivant et à sa diversité.
Comme le rappelle très justement Thierry Hoquet, « l’adaptation est un brevet de viabilité et non de perfection. Il n’y a pas de vie qui valent mieux que d’autres, il y a simplement des vies qui vivent »
Les dérives du transhumanisme
Enfin, si le transhumanisme ne peut être assimilé à l’eugénisme de par l’absence de transmissibilité à la descendance de ses visées d’amélioration de l’humain, le CCNE attire l’attention sur les dérives possibles d’un tel courant de pensée. Le risque est en effet qu’on définisse un prototype d’humain « meilleur » selon des critères de performance réduisant la diversité des « manières d’être humain ».
Face à ces défis, la question qui nous est posée n’est plus seulement celle du monde que nous voulons pour demain, mais aussi celle de l’humanité que nous souhaitons voir advenir et à laquelle nous souhaitons contribuer.